Posté le 27 mars 2021 par Groupe Socialiste Universitaire
NB : Les députés russes ont adopté, mercredi 24 mars, une loi qui donne à Vladimir Poutine le droit de se présenter pour deux nouveaux mandats présidentiels, ouvrant la voie à son maintien potentiel au Kremlin jusqu’en 2036.
Vladimir Poutine, l’homme qui occupe le pouvoir depuis 2000 pourrait y rester encore jusqu’en 2036, il aura alors 84 ans. Ces 36 années peuvent sembler ridicules face aux 46 ans de pouvoir de Kim Il-Sung en Corée du Nord ou encore face aux 47 ans du sultan d’Oman. Mais à la différence de ces derniers, la Russie n’est, a priori, ni une dictature ni une monarchie.
L’article 81 alinéa 3 de la Constitution russe pose une interdiction de cumul des mandats présidentiels dans le temps : « une même personne ne peut exercer la fonction de Président de la Fédération de Russie plus de deux mandats consécutifs » (1).
Alors comment, dans un pays où constitutionnellement il est interdit de briguer deux mandats présidentiels consécutifs, Poutine a pu cumuler quatre mandats depuis 2000 et peut aujourd’hui s’imaginer en obtenir deux supplémentaires ?
Le 26 mars 2000 Vladimir Poutine devient président de la fédération de Russie à la suite d’un véritable passage de témoin de la part de son prédécesseur, Boris Eltsine. Après avoir été nommé premier ministre, M. Poutine accède, par intérim, à la fonction présidentielle. Fidèle à sa formation au cœur du pouvoir, il déclare que sa ligne politique sera celle de « la discipline, l’ordre et la sécurité » (2). Alors qu’il parvient au sommet de l’Etat dès 48 ans, l’opinion publique se demande déjà si l’ancien directeur du FSB (Service fédéral de sécurité de la fédération de Russie) arrivera à se défaire du pouvoir.
Après deux mandats présidentiels, Vladimir Poutine est contraint de laisser sa place en 2008, conformément à l’article 81 de la Constitution. Mais il ne l’entend pas de cette oreille. Il a passé accord avec son premier ministre (Dimitri Medvedev) qui lui est redevable, afin que ce dernier se présente à la présidentielle et que lui-même puisse prendre sa place comme chef du gouvernement. Ce stratagème a fonctionné et D. Medvedev a ainsi succédé formellement à V. Poutine dans le but de contourner les règles constitutionnelles. Même si quelques désaccords surviennent entre les deux hommes (3), c’est bien M. Poutine qui va diriger politiquement le pays pendant la période 2008-2012.
A la fin de ces quatre années « d’alternance », un nouveau jeu de chaises musicales s’opère et Vladimir Poutine sera réélu président de la fédération de Russie pour deux nouveaux mandats.
En 2024, Vladimir Poutine aura 72 ans et la Constitution le poussera une nouvelle fois à se questionner publiquement sur son avenir. Malgré son âge, il serait illusoire de l’imaginer quitter ainsi le pouvoir. N’oublions pas que sa référence politique est le tsar Nicolas Ier qui est resté 42 ans à la tête du pays (4). On pourrait alors penser que l’opération de 2008 va être renouvelée, mais cette fois le président ne semble pas prêt à passer la main, même symboliquement. L’option choisie est donc celle de réviser la constitution.
La réforme constitutionnelle de 2020 porte sur quarante-six amendements tels que : l’interdiction du mariage pour les homosexuels, la protection de la vérité historique, l’intégration de Dieu dans la Constitution ou encore l’interdiction pour les hauts fonctionnaires d’avoir une double nationalité. Le but derrière ce grand nombre d’amendement était clairement de noyer autant que possible son véritable enjeu : permettre à Poutine de rester au pouvoir jusqu’en 2036.
Lors des débats, un amendement de l’article 81 est présenté tardivement, au cours de la discussion en 2ème lecture à la Douma (10 mars 2020). Il est proposé par Valentina Terechkova, députée du parti présidentiel (Russie Unie) et bien connue de l’opinion publique pour avoir été la première femme cosmonaute. L’amendement porte sur une « remise à zéro » du nombre de mandats présidentiels. Il ne s’agit pas d’abroger l’interdiction de cumuler dans le temps plus de deux mandats successifs. Il permet « simplement » de considérer que les deux mandats précédents de M. Poutine n’existent pas d’un point de vue constitutionnel. La révision de la loi fondamentale se fait donc au seul profit de Vladimir Poutine, sans aucun fondement juridique et débat politique. Le moment est historique et orchestré. Une fois l’amendement proposé par la figure populaire Terechkova, le président entre dans l’hémicycle pour y prononcer son discours annuel et annoncer qu’il ne s’oppose pas à l’amendement. La Douma vote le texte, 382 députés pour, 44 abstentions et 0 contre (5).
Du 25 juin au 1er juillet 2020, 67,88 % des russes ont pris le chemin des urnes pour s’exprimer par référendum. Ce vote arrive à mi-mandat alors que la cote de popularité de Poutine chute (6). L’enjeu est double, réaffirmer l’autorité du président dans une crise sanitaire et sociale et sonder l’avis des russes sur leur volonté de maintenir Poutine au pouvoir. Cette réforme est une réussite puisque le Oui l’emporte à 77,92%. Le résultat reste cependant à relativiser au regard des nombreuses suspicions de fraude (7) et sur le fait qu’avec quarante-six amendements, on ne sait concrètement pas à quoi les russes disent Oui.
En dépit de ces deux mandats précédents, Vladimir Poutine est donc en situation de pouvoir se représenter en 2024 et en 2030. Le principal intéressé a simplement évoqué le fait de « ne pas exclure » cette possibilité tout en précisant qu’il fallait « éviter que tout le monde soit occupé à chercher des successeurs au lieu de travailler » (8). Cette réforme permet donc de maintenir l’autorité du « grand patron » et d’envisager sur la durée sa succession, évitant ainsi une guerre publique d’héritage pouvant venir affaiblir son pouvoir. Alors même que le régime est en perte d’influence depuis l’empoisonnement et l’arrestation d’Alexei Navalni (principal opposant politique) le 17 janvier dernier (9).
La Russie va vivre l’une des transitions les plus importantes de son histoire. Pour autant il est difficile de prédire quand l’ère Poutine en tant que chef d’Etat s’achèvera : 2024, 2030, 2036… Pour Alexeï Navalni, Vladimir Poutine restera de toute façon « dirigeant à vie » quel que soit le poste qu’il occupe. Cette situation n’est pas sans rappeler celle de Noursoultan Nazarbaïev qui a présidé pendant trente ans le Kazakhstan. Il était le dernier dirigeant de l’ex URSS encore en poste quand il renonce en 2017 à un nouveau mandat et devient chef du parti hégémonique au Parlement ainsi que président du Conseil de sécurité du Kazakhstan. Il sera consacré comme « père de la nation » et la capitale, Astana, sera renommée Noursoultan en son honneur (10).
Avec l’âge, Vladimir Poutine pourrait lui aussi envisager, en 2030, de diriger dans l’ombre. Avec un rôle au cœur des institutions comme président de la Douma, du Conseil d’Etat ou encore chef du parti majoritaire à la manière de Jaroslaw Kaczynski en Pologne (11). L’autre hypothèse serait celle du Conseil de sécurité de Russie. Une institution proche de l’exécutif qui traite des sujets de sécurité nationale et qui est présidée par le président de la fédération de Russie lui-même. Vladimir Poutine pourrait ne pas se représenter tout en se maintenant président du Conseil de sécurité. Quel que soit le poste lui permettant de maintenir son influence, il y a fort à parier qu’il y aura une volonté de l’aménager en sa faveur. Il ne serait donc pas étonnant de voir à l’avenir d’autres réformes survenir afin d’augmenter les prérogatives des postes qu’il serait amené à occuper.
L’avenir de Noursoultan Nazarbaïev ou celui de Vladimir Poutine sont autant d’inspiration auxquelles peuvent se raccrocher Xi Jinping, Nicolas Maduro (Venezuela) ou encore Alexandre Loukachenko (Biélorussie). La question de leur reconversion devra se poser, sous peine de devenir cette caricature du chef d’Etat vieillissant s’accrochant au pouvoir jusqu’à son dernier souffle. Vladimir Poutine sera alors peut-être un exemple de transition artificielle consistant à quitter la tête du pays pour un poste ad hoc où il est toujours possible, dans l’ombre, de peser de tout son poids sur les décisions.
Finalement en ayant révisé la loi fondamentale à son seul profit, M. Poutine nous amène à nous interroger sur le sens d’une telle révision. Que reste-t-il de la règle du non cumul des mandats présidentiels dans le temps ? Initialement, cette règle à pour but d’éviter que le pouvoir ne se retrouve indéfiniment entre les mains d’un même homme. L’expérience Russe pose ainsi question, le non cumul des mandats présidentiels dans le temps constitue-t-il véritablement, une mesure « garde-fou » ?
Par Guillaume Boulay-Laurent, membre du pôle Institutions