Posté le 10 avril 2020 par Groupe Socialiste Universitaire
« Le seul régime politique capable d’endiguer le plus vite possible une pandémie comme le Coronavirus est un régime autoritaire, une dictature, quoi ». Ces mots m’ont été récemment dits par un ami médecin se battant contre le Covid-19 dans un hôpital américain. Il est difficile de souscrire à cette idée tant qu’on ne saura pas le bilan de cette catastrophe en Chine, et dans d’autres pays aux régimes autoritaires, la dissimulation de chiffres et d’informations véritables étant le fondement même de la persévérance d’un tel régime.
Or, bien que nos démocraties occidentales affichent plus de transparence, force est de constater les faillites de tous nos systèmes politiques face à ce virus extrêmement contagieux. Ni l’Union européenne, ni ses membres à titre individuel n’ont été préparés à cette « guerre » sanitaire, la preuve s’il en faut dans les récits quotidiens de la faiblesse criante de nombreux systèmes de santé nationaux.
De même, le « corona-fédéralisme » américain n’est guère à la hauteur. Le Président Trump proclame des idioties, ment, insulte les gouverneurs et met les états en concurrence les uns avec les autres. Si cela ne tenait qu’à lui et à son Administration, on pourrait oser espérer qu’une fois parti, un nouveau Président réagirait mieux à une telle hécatombe. Malheureusement, l’histoire nous a montré que plus que la personne à la tête de la branche exécutive, c’est le système même du fédéralisme américain et le sacro-saint « droit des états » émanant des 9ème et 10ème Amendements à la Constitution qui sont ici en cause. La grippe espagnole (janvier 1918-décembre 1920) a compté 50 millions de morts dans le monde, et 675 000 morts aux États-Unis avec, en particulier, des taux de mortalité très élevés parmi les jeunes de 18-44 ans et en bonne santé.
Dans son célèbre ouvrage The Great Influenza, l’historien John M. Barry revient longuement sur les graves dysfonctionnements du gouvernement fédéral américain de l’époque : certes, les États-Unis étaient en guerre – une guerre qui allait se terminait le 11 novembre 2018 – mais jamais le Président Wilson n’a fait référence publiquement à la guerre sanitaire à l’intérieur du pays, et les États n’ont reçu aucune aide de Washington ! Les grands journaux nationaux ont enrobé la vérité : tout article faisant état d’une préoccupation de l’extension de la grippe était accusé de saper le moral des troupes et des civils. De nombreux responsables américains de l’époque – comme le Président Trump et son Administration aujourd’hui – ont mis en avant l’importance de l’économie et du marché aux dépens de la santé publique.
Quelles leçons devons-nous en tirer ? La première est qu’aucun système politique n’a su ou n’a pu répondre à cette nouvelle urgence sanitaire. La deuxième leçon est à trouver dans les exemples où les autorités politiques, quelles qu’elles soient, ont réagi de façon rapide et efficace pour enrayer le plus possible le nombre de morts : parmi eux, aux États-Unis, quatre gouverneurs (New York, Illinois, Vermont, New Jersey), à l’instar de Gavin Newsom, gouverneur de la Californie, ont fermé mi-mars toutes les écoles et décrété le confinement obligatoire. Or, comme le nuage de Tchernobyl, le Covid-19 ne s’arrête pas aux six frontières que compte par exemple l’Illinois (le Wisconsin, le Michigan, l’Indiana, le Kentucky, le Missouri et l’Iowa). Mais le Président Trump persiste et signe et refuse toujours de décréter le confinement à l’échelle fédéral.
La troisième leçon, surtout pour l’avenir car il est trop tard maintenant, nous vient des spécialistes scientifiques et médicaux. Relayant les appels de ses collègues du monde entier, le médecin Harvey Fineberg dans un récent article publié dans le New England Journal of Medecine insiste sur six actions nécessaires à mettre en œuvre dans le contexte d’une pandémie : 1/ Établir immédiatement une commande centrale et indépendante exclusivement consacrée à la maladie et sa propagation, 2/ Fournir le plus rapidement possible des millions de tests de diagnostics, 3/ Fournir en amont aux médecins, soignants et personnels médicaux tout l’équipement nécessaire (masques, blouses, respirateurs) afin d’être prêts avant l’afflux de patients, 4/ Diviser la population en cinq groupes selon le degré de la maladie et traiter en conséquence, 5/ Informer et mobiliser les citoyens, et enfin 6/ Poursuivre la recherche fondamentale en temps réel de l’épidémie.
Ces mesures ne relèvent en rien d’un type de régime politique ou d’un autre. Tous peuvent les appliquer, et ceux qui ne le feront pas en payeront le prix … politique.
Par Jennifer Merchant, politologue, américaniste, et professeure à Paris 2