Posté le 9 avril 2020 par Groupe Socialiste Universitaire
Les promesses sont difficiles à tenir, surtout pour l’Union Européenne. Il nous avait été promis de l’entraide, nous n’avons eu que rationalisation économique. La coopération, invitée-phare des quelques réunions d’urgence de la zone euro a encore répondu absente malgré l’appel à la mobilisation générale lancée aux quatre coins du vieux continent. Certains commencent déjà à y écrire le récit de son macabre avenir. D’autres se rassurent en se disant qu’au moins son bagage, une enveloppe d’environ 1 100 milliards d’euros de rachat de titres, est arrivé à bon port.
Que ne se méprennent les lecteurs de ces quelques lignes, je ne crie pas à l’inaction mais à l’absence de vision. Ce mal ne date pourtant pas d’hier : la crise des subprimes, la crise de l’euro, la crise migratoire et le Brexit sont autant d’occasions manquées de donner un cap au navire. Dirigeants nationaux et présidents de la Commission semblent se léguer de mandats en mandats les œillères de l’austérité, propres au diktat de la rigueur imposée par Bruxelles. Profitant de l’incapacité à relever le défi des divergences, l’absence de vision a métastasé l’ensemble des rouages du projet européen. A tel point que Jacque Delors, ancien président de la Commission Européenne dont la parole est si rare, s’est senti obligé de se retirer de son mutisme pour tirer les cartes du projet de sa vie. L’augure Delors a parlé, Charon se prépare à la venue de l’OPNI[1] européen. Pourtant tant a déjà été accompli au fil des années. Coopération et solidarité ont motivé une monnaie commune, une cour de justice de l’Union Européenne, un parlement, une commission, des élus, des fonds, une citoyenneté et j’en passe.
L’Union Européenne est le plus grand marché unique au monde, la deuxième puissance économique et commerciale, et ce alors même que l’intégration européenne est encore loin d’être pleinement aboutie. D’aucun me répondront sûrement qu’à ce jour, la réponse européenne à la pandémie du coronavirus est historique et que notre Union a sorti l’artillerie lourde : 750 milliards d’euros de rachat de dettes, presque 2 000 milliards d’euros de mesures budgétaires nationales, 410 milliards à disposition des états membres par le biais du Mécanisme Européen de Stabilité (MES) et la Banque Européenne d’Investissement (BEI – qui est appelée à devenir la future banque européenne du climat) est prête à mettre sur la table 200 milliards d’euros supplémentaires. Ce à quoi je vous répondrai : « le poids des mots a un sens sauf pour ceux qui les utilisent »[2] et que l’histoire ne s’écrit pas au verso d’un chèque.
Avec la crise pandémique, l’humanité tourne la page des « soixante-dix paisibles », l’une des périodes de paix les plus longues de l’histoire. Je voudrais être optimiste, je voudrais avoir foi en l’avenir mais je suis de cette génération à qui l’on a dit que le réchauffement climatique serait une priorité ; à qui l’on a promis l’égalité sans considération sociale, raciale ou sexuelle ; à qui l’on a promis des jours meilleurs tout aussi longtemps qu’elle ferait des efforts. Oui, je suis de la fameuse génération à qui l’on a tout promis, spectatrice de ce vaudeville européen et qui aujourd’hui écope tant qu’elle le peut avant que le navire ne sombre pour de bon. Je vois déjà les réactionnaires, les contempteurs du « pourquoi » et autres « rank-and-files » de l’ordre pour l’ordre me dire que tant a déjà été fait, que les caisses sont vides, ou encore que le marché serait tout-puissant. Et bien, je leur répondrai par les mots d’un second illustre europhile :
« Je ne suis pas, Messieurs [et Mesdames], de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde, la souffrance est une loi divine, mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. […] Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas le fait, le devoir n’est pas rempli. »[3]
A l’égard de dirigeants européens, ci-suit une liste de devoirs desquels nous considérons que vous nous en êtes redevables :
Encore une fois, je préfère prévenir que guérir : le grand rebond attendu ne passera pas par le levier de l’exportation. Pourquoi ? Je répondrai à cette question par une autre question : à qui voulez-vous vendre ? La crise sanitaire d’aujourd’hui sera demain une crise mondialisée de la demande dont notre seule échappatoire réside dans une Union qui porterait enfin un nom à la hauteur de ses ambitions. Espagnols, Italiens ou encore Grecs nous ont promis l’amour de l’Europe dans les bons comme les mauvais moments. Et, ce sont dans ces mêmes mauvais moments que se dessine et se construit l’histoire des peuples. Alors lorsque tout ceci sera passé et croyez-moi cela passera, les peuples jugeront ceux qui se trouvent du mauvais côté de l’histoire. Vous donc, faussaires de l’Europe, vous voilà prévenus : notre génération n’a que trop pardonné. Ceci est votre dernière chance.
Ces quelques mots n’ont pas vocation à apporter les réponses à vos incohérences mais entendons-nous, à défaut, sur ce qui ne peut plus être mis sous le tapis :
Ce ne sont sûrement que les mots d’un jeune idéaliste derrière son écran mais je suis peiné, et comment ne pas l’être, à l’idée qu’une fissure de plus vienne fragiliser les espoirs portés par notre beau prix Nobel de la paix. Seulement vous, dirigeants des 27, avez entre vos mains un sacrifice de trop, certes, mais de plus pour fortifier les arcanes du sentiment européen. Vous avez appelé à la guerre, se tiennent devant vous 512,4 millions de soldats. En première ligne, le corps médical fait front avec une exemplarité et une abnégation qu’il ne faudra pas oublier de conter dans les livres d’histoire. A l’arrière, nous pouvons compter sur les personnels de la grande distribution, les infirmier(e)s, les ouvrier(e), les artisans, les gardien(ne)s de la paix, les fonctionnaires, les professeur(e)s, les agriculteur(e)s, et autres héro(ine)s du quotidien pour assurer la sécurité et la survie de notre union. Vous, dirigeants des 27, avez aussi votre rôle à jouer. Soyez braves, l’Europe vous regarde.
Par Sacha Pasquier, directeur des recherches du GSU
[1] OPNI : Objet Politique Non Identifié
[2] Propos de Robert Badinter rapportés de son procès contre Robert Faurisson
[3] Ce discours de Victor Hugo (1802-1885) le 9 juillet 1849 à l’Assemblée nationale législative soutient la proposition d’Armand de Melun visant à constituer un comité destiné à « préparer les lois relatives à la prévoyance et à l’assistance publique ».