Groupe Socialiste Universitaire


Egalité des genres

« Mai 68, une libération sexuelle ratée ? »

Posté le 23 mars 2021 par Groupe Socialiste Universitaire

Mai 68 est un tournant de l’histoire française. Des manifestations d’abord étudiantes vont ensuite entraîner une grève générale, touchant plusieurs milieux sociaux, allant jusqu’à la remise en question des mœurs de l’époque, du fonctionnement de la société.

Les revendications et causes de ce mouvement sont nombreuses. Selon les diverses analyses proposées par les historiens, ce mouvement puise notamment sa source dans la rigidité excessive des mœurs et de l’éducation. Il sera abordé dans un article subséquent les questions de classes et de dégradation des conditions de vies des ouvriers après la seconde guerre mondiale ayant entraîné les événements de mai 68. Ainsi, le mouvement étudiant s’accompagne d’un mouvement ouvrier d’une rare ampleur s’étendant au-delà des frontières françaises car s’inscrivant dans un contexte d’agitation international. Les influences sont multiples : le socialisme, le communisme, l’anarchisme s’expriment dans les discours. Marx, Lénine, Mao Tsé Toung, Trotski sont autant de figures brandies comme des étendards de la révolution étudiante. 

Le vendredi 3 mai, Daniel Cohn-Bendit, figure de proue du mouvement de contestation, occupe La Sorbonne avec une centaine d’autres étudiants. Il interpelle à plusieurs reprises le gouvernement de l’époque, dirigé par George Pompidou, sur les conditions de la vie étudiante et sur les règles exagérément strictes qui l’entourent. Il s’insurge par ailleurs sur la séparation des bâtiments des filles et des garçons accompagnée d’une impossible communication entre les deux. Il va jusqu’à interpeller le ministre des sports François Missoffe sur les problèmes sexuels des jeunes. 

La société est en effet marquée à cette époque par un encadrement constant des jeunes femmes. De ce fait, elles étaient alors plus facilement sanctionnées dès qu’un « dérapage » de leur part avec un garçon était soupçonné ou avéré. Malgré l’autorisation de la pilule contraceptive en France en décembre 1967, son usage demeure peu répandu du fait de la rigidité des mœurs. Malgré sa légalisation, prendre la pilule outrepasse les codes moraux instaurés par l’éducation notamment religieuse. Ce paradoxe est représentatif de l’écart entre les aspirations de la jeunesse et leur éducation et environnement rigoristes. 

Jusqu’aux années 1950, à l’école normale des filles, les filles étaient convoquées chez la directrice si elles adressaient la parole à un garçon. Elles n’avaient pas non plus le droit de porter un pantalon. Les matières enseignées comportent la cuisine et le repassage. Comme se remémore une institutrice « Nous devions savoir repasser la chemise d’un homme, mais on nous interdisait d’en rencontrer. » 

Les femmes subissent tout au long de leur vie un encadrement paternaliste et autoritaire se transmettant d’homme à homme. Les femmes sont d’abord filles de leurs pères, puis épouses de leur maris et enfin, mères de leurs enfants. Elles sont définies en fonction du rôle qu’elles jouent pour accomplir “ leur devoir de femme ”. Il n’existe pas plusieurs femmes dans l’imaginaire collectif mais un modèle unique de la Femme qui doit être suivi par toutes.  

La question brûlante des classes sociales et des clivages qu’elles engendrent se répercute également sur cet encadrement des femmes. En effet, au sein des milieux populaires, la jeune femme dispose déjà d’une légère liberté de fait. L’union libre est traditionnellement pratiquée en milieu ouvrier.[1] Il s’agit alors d’une cohabitation flexible, une sorte de prélude au mariage légal qui intervient lors de la conception d’un enfant. 

A contrario, au sein des milieux bourgeois, l’entre-soi féminin est très présent. La  pression du mariage sur les jeunes filles est telle que les moindres déplacements sont contrôlés. Rien n’échappe aux femmes de la famille, de peur que la jeune fille, qui n’est toujours pas mariée, soit vue avec un autre homme, ce qui la placerait dans la catégorie des « mauvaises filles » à ne pas fréquenter et ruinerait son futur en lui ravissant la possibilité de faire un “bon mariage”. 

Pour la génération mai 68, le souhait est tel qu’il faut en finir avec l’idée d’une société rigoriste.  » La société était étouffante. Sous De Gaulle, on ressentait tous une certaine privation de liberté « , raconte Florence, étudiante lors des événements de mai 68.

L’institution familiale est bouleversée par l’entrée des femmes dans l’emploi salarié au début des années 1960, avec la montée du divorce dès 1963 et la baisse de la fécondité à partir de 1964. Les prémices sont posés. 

Grâce à la transmission de la culture, les jeunes françaises voient avec admiration les femmes américaines aux  » mœurs révolutionnaires ” payer des baby-sitters pour sortir, jeter leurs bas au lieu de les reprendre etc. En effet, les années 60 sont marquées par une manifestation de la jeunesse comme catégorie socio-culturelle et politique spécifique. Une culture propre à la jeunesse émerge et s’affirme au travers d’icônes telles que Les Beatles et Les Rolling Stones. Les modèles s’éloignent des traditions. 

Les hommes et les femmes finissent par refuser la distance qui leur est imposée. La non-mixité des écoles devient ridicule, dérisoire. Tous ces codes émanant de la classe dominante et étant vue comme la « morale officielle » sont bouleversés.

  1. La libération des corps en première ligne 

Avec mai 68, tout semble possible. Freud évoque dans son ouvrage « Psychologie collective et analyse du Moi » en 1921 l’hédonisme dont jouit l’individu dans la foule, et l’impression de la puissance illimitée qui en naît. Un élan d’énergie commune unit les jeunes, hommes comme femmes, dans la lutte contre le carcan qui les empêche de s’épanouir comme ils le souhaiteraient. Pour les jeunes, la société est démodée, les codes sont trop dépassés et ne correspondent plus à la réalité de leurs vies. Cette volonté d’agir pour un changement s’exprime notamment au travers du rapport à la sexualité. 

Les maîtres à penser sont nombreux à aborder la question du rapport entre sexualité et société. Les antipsychiatres défendant la mort du modèle familial (Lang et Cooper), les philosophes comme Deleuze, les féministes américaines telles que Millet s’interrogent sur ce sujet et leurs travaux sont repris par les étudiants. Dès 1966, un groupe d’étudiants strasbourgeois rédige un article : “ De la misère sexuelle en milieu étudiant […] et de quelques moyens pour y remédier et prônent un « déchaînement du plaisir sans restrictions » ”.[2]

La pensée hippie prônant une ouverture vis à vis de la sexualité émerge aux Etats-Unis, et se répand à vive allure. Les codes traditionnels confinant un homme avec une femme pour toute une vie sont remis en question. Les jeunes ne vont plus à présent se cantonner à un seul partenaire : « Jouissons sans entraves » clament-ils fièrement.[3]

Émerge alors le phénomène de rapprochement des corps, auquel une grande majorité des jeunes prend part. De ce fait, la vision de la sexualité change : elle n’est désormais plus fondée sur la seule procréation, le but recherché est alors le plaisir.[4] Les jeunes découvrent la possibilité d’un plaisir personnel. Vont alors apparaître sur le marché pléthore d’accessoires, de films, de revues, visant à stimuler le plaisir de chacun. La sexualité devient un marché économique affiché au vu et au su de tous au lieu d’être tu et occulté mais les jeunes sont satisfaits puisqu’ils peuvent étancher leur « soif de goûter à des peaux différentes ».

« Faites l’amour pas la guerre ». Ce slogan culte aujourd’hui culte sonnait à l’époque dans toutes les têtes comme une évidence. Il oppose ainsi la douceur de l’amour et du plaisir pris au cours des rapports sexuels à la guerre, violente, sinistre, qui divise le monde plongé au coeur de la Guerre Froide. 

Cependant, cette révolution sexuelle explose comme une bombe à retardement. Les mœurs confinées se libèrent sans mesure et la volonté d’émancipation s’accompagne d’une exploration des extrêmes. 

Ainsi, la sexualité infantile est mise en avant. Les adultes ayant des relations sexuelles avec des enfants ne sont pas moralement condamnés puisqu’il est considéré comme  » magnifique  » pour des enfants de s’épanouir dès leur plus jeune âge dans leur sexualité. La pédophilie n’est alors pas considérée comme un crime mais comme une bénédiction. A l’époque, il n’est pas rare d’entendre des propos pédophiles de soixante-huitards dans les médias. C’est le cas notamment de Gabriel Matzneff ou Daniel Cohn-Bendit qui aborde ouvertement dans son ouvrage Le Grand bazar (1975) la question de ses attouchements envers des enfants. Il déclare dans l’émission Apostrophes du 23 avril 1982: “ Vous savez que la sexualité d’un gosse, c’est absolument fantastique. […] Quand une petite fille, de 5 ans, commence à vous déshabiller c’est fantastique ! C’est fantastique parce que c’est un jeu absolument érotico-maniaque. ”[5]

Un tel comportement paraît évidemment répréhensible et condamnable par la morale et par la loi. Nombreux sont ceux qui défendent pourtant les dérives ayant eu lieu et il existe  un véritable décalage entre les mœurs sociétales d’alors et celles d’aujourd’hui.

Les femmes constatent, à travers ces manifestations, leur mise à l’écart malgré leur volonté de participation.  » Il fallait d’abord faire la révolution, et on s’occuperait ensuite des femmes, nous disait-on  » rapporte l’historienne Michelle Perrot.[6]

Elles contestent le monopole de la parole et le contrôle exercé sur elles. L’oppression des femmes est dévoilée et les féministes se rapprochent pour former des courants.  » On vivait dans un monde d’hommes. Mai-68 était forcément pris dans ce carcan, mais il l’a au moins fissuré  » explique une philosophe, étudiante au moment de mai 68[7].

En octobre 1970, le numéro de Partisans, « Libération des femmes année zéro », représente l’acte de naissance du Mouvement de libération des femmes : « Nous sommes exploitées comme objets sexuels, éducatrices, bonnes à tout faire, et main-d’œuvre à bon marché » (Manifeste des Bas Rouges de New York, 1969). Ce mouvement non mixte permet aux femmes de réfléchir sur leurs propres revendications “ Du fait qu’il n’y avait pas les hommes pour nous expliquer ce que c’était que la libération, ce qu’était la révolution, nous étions confrontées à nous même et à la nécessité de puiser en nous même nos propres désirs et d’aborder la question de la sexualité ” se souvient Marie-Jo Bonnet. Elles doivent cependant faire face aux fervents défenseurs des traditions ainsi qu’au sexisme de nombre d’idéologies défendues durant et depuis mai 68. Bien des militants appliquent les appels à la jouissance absolue et n’opèrent pas de distinction entre « disposer librement de son corps » et « être à la disposition de tous ». Ainsi, « elles se sentent opprimées par l’image nouvelle que les hommes veulent avoir d’elles : femmes libérées, guérillères superbes et désirables ».[8]

Le mariage et l’institution familiale sont remis en cause. Le constat se forme sur le terrain de la sexualité et aborde les questions de l’avortement, de la contraception, du viol, de la maternité et du plaisir. 

Dès la fin des années 50, la pilule contraceptive est légalisée dans le Nord de l’Europe. En France, cependant, malgré l’opinion favorable, les projets de loi visant à légaliser la contraception sont rejetés. En 1961, le premier centre de planning familial ouvre à Grenoble sur l’initiative du Mouvement français pour le planning familial (MFPF) et des permanences d’informations ouvrent sur tout le territoire français jusqu’au vote de la loi Neuwirth en 1967. 

En 1962, le Livre noir de l’avortement de Marcelle Auclair dénonce les problèmes de la maternité subie et imposée. Seules l’éducation sexuelle et la légalisation de la contraception peuvent permettre de lutter contre la catastrophe sanitaire des avortements clandestins.[9] Grâce au combat du MFPF, la loi Neuwirth votée en décembre 1967 suspend l’article 3 de la loi de 1920 interdisant la contraception. Elle maintient cependant l’interdiction des publicités relatives à la contraception, et subordonne son accès à l’autorisation parentale pour les jeunes femmes de moins de 21 ans. 

Ce n’est qu’en 1974 que la libéralisation de la contraception devient effective grâce à la loi instaurant l’anonymat et la gratuité pour les mineures ainsi que le remboursement de la contraception par la Sécurité sociale. 

Le mouvement de mai 68 sert de catalyseur au combat pour la liberté de procréation et après 1968, le combat inclut la libéralisation de l’avortement et conduit au procès de Bobigny en 1972 puis à la loi Veil promulguée le 17  janvier 1975, autorisant « la femme enceinte en situation de détresse » à interrompre sa grossesse dans les dix premières semaines.

Cette lutte pour une grossesse désirée s’accompagne d’une lutte contre les rapports sexuels non consentis. Cependant, ce combat divise. Chacun s’accorde sur un fait: « le viol est un acte visant l’humiliation, la destruction de la personnalité, la négation de la femme agressée »,[10] mais la qualification même de viol suscite des divergences d’opinions. Il faut ainsi attendre la loi de 1980 pour que la notion de consentement soit consacrée et les débats se poursuivent encore aujourd’hui. 

En revanche, la question du harcèlement sexuel, des violences conjugales n’occupent pas encore les esprits des soixante-huitards:  » En vérité, on avait déjà beaucoup à faire avec la contraception et l’avortement qui était encore illégal…  » explique Florence.[11]

Malgré la libération sexuelle amenant à la considération du sexe comme véritable idéologie à part entière, on peut considérer que l’opinion publique a simplement opéré un revirement d’un dogme à l’autre sans réflexion ni nuance ou socle solide : tout ce qui était interdit devient autorisé, voire imposé.  » On me disait souvent : ‘Mais tu es libre alors pourquoi on ne couche pas ensemble ? Comme si ‘être libre’ dispensait les hommes d’écouter mon désir.  » se remémore Chantal.[12]

De ce fait, celles et ceux ne souhaitant pas suivre cette libération sexuelle, souhaitant garder les codes de leurs parents sont considérés comme des exclus, refusant la modernité. La question du choix n’est pas abordée et les idées du mouvement de Mai 68 ne laissent pas de place à la liberté pleine et entière de penser et de consentir.

  1. Une progression relative face à une adaptation lente des moeurs

Les comportements et mentalités évoluent lentement et peinent à s’adapter aux remous provoqués par les révolutions. Les soixante-huitards ont ouvert une brèche dans laquelle les générations suivantes peinent à s’engouffrer. En effet, elles se heurtent à des obstacles conséquents. Les modèles culturels ne connaissent que peu de réelles fluctuations et les combats demeurent les mêmes. Ainsi la répartition des tâches au sein d’un foyer demeure inégale et les salaires et le marché du travail restent défavorables aux femmes. Les exigences sociales sont intériorisées au lieu d’être dépassées. 

Une nouvelle problématique influence les relations interpersonnelles. En effet, le modèle capitaliste de notre société entraîne une logique de surconsommation. Les possibilités paraissent illimitées, les choix sont nombreux et aisément accessibles. Cela s’étend notamment à nos relations, amicales, amoureuses et sexuelles. De ce fait, il est possible d’avoir une multitude de partenaires, de s’engager, de se désengager par les divorces ou les dissolution de pacs.[13] Cependant, les relations se suivent plus aisément et de ce fait, sont en moyenne moins longues. L’engagement fait peur, rencontrer quelqu’un devient difficile, malgré l’existence de nombreuses applications.[14] En effet, le capitalisme s’exporte jusque dans nos relations amoureuses et fait des relations interpersonnelles un marché économique. 

Pourtant, les rencontres de masse, contrairement à la publicité qui en est faite, loin de rendre plus aisées les relations amoureuses, ont tendance à les compliquer.

L’hyperchoix du partenaire empêche la possibilité d’opérer un choix véritable, puisqu’assaillis par l’étendue des possibles, nous restons interdits et oscillons d’une relation à une autre, persuadés de pouvoir miraculeusement tomber sur la bonne. Toutefois, il apparaît qu’avoir de nombreux partenaires permet de valoriser son image car cela révèle un véritable pouvoir de séduction. Il ressort alors que le nombre de partenaires serait plus important pour impressionner les autres que pour nous satisfaire nous même. Selon Pascal Bruckner, « On gonfle le nombre de ses partenaires comme on gonfle ses pectoraux. Le sexe est devenu une contrainte ».[15] La sexualité paraît aujourd’hui libérée extérieurement  mais demeure profondément anxieuse face aux contraintes intériorisées et non assumées. 

S’ajoutent à cela les relations sexuelles courtes, dites « coups d’un soir ». Censées témoigner d’une libération sexuelle franche et assumée, elles sont vécues comme trop contraignantes et risquées. En effet, l’ignorance des attentes et limites de l’autre mènent fréquemment à des comportements considérés comme déplacés. Ainsi, la peur de mal faire ou de mal vivre empiète sur la relation qui n’a finalement pas lieu. De plus, la sexualité féminine est perçue comme étant “ flétrie ” lorsqu’elle a plusieurs relations sexuelles avec différents partenaires. 

L’image de la sexualité féminine est ballotée d’un extrême à l’autre. Elle n’est pas considérée comme s’exprimant sur un large spectre dont chaque manifestation est normale et doit donc être acceptée, bien au contraire. Deux stéréotypes principaux perdurent. Souvent associées au rôle de mère, les femmes subissent une pression considérable les poussant à conserver une sexualité discrète et limitée. Ou bien, à l’inverse, elles sont poussées à afficher au travers chacune de leurs actions une sexualité débordante. Pourtant, chacune des expressions de la sexualité féminine est fustigée et critiquée, qu’elle soit ou non conforme à ces stéréotypes. Les hommes ne sont pas en reste. Bien qu’ils n’existe qu’un seul stéréotype prévalent sur la sexualité masculine, les hommes sont tous censés s’y confirmer, que ce soit pour eux-mêmes, ou dans l’imaginaire collectif. Ainsi, ils se verront félicités pour leur virilité et leur force de séduction, et à l’inverse fustigés en cas de  » défaillance  » sexuelle. La notion de défaillance sexuelle masculine est particulièrement large puisque qu’elle est appliquée dès lors que les hommes ne souhaitent pas avoir des relations sexuelles à chaque instant ou avec chaque fille qui correspondrait aux critères de beauté actuels. Ainsi, la sexualité demeure particulièrement brimée. 

La question de la sexualité des femmes divise même au sein des mouvements féministes. Ainsi, les féministes abolitionnistes luttent contre la pornographie et la prostitution tandis que les féministes dites « sex positives[1]  » estiment que la pornographie est une chose à se réapproprier et que la prostitution est un travail dont les conditions doivent être améliorées.

L’autodétermination sexuelle est effacée de la plupart des discussions de même que la libido et de la sexualité féminine. Il est donc très difficile pour bien des femmes d’aborder ouvertement la question de la sexualité ce qui entraîne une mauvaise connaissance de leur corps et de leurs envies.

Des associations féministes se créent aujourd’hui en grand nombre pour dénoncer ces travers. En effet, les réseaux sociaux permettent une grande libération de la parole féminine. Les femmes peuvent désormais s’exprimer sur la pression qui est exercée sur elles, les insultes, les viols et les violences faites à leur encontre via Twitter, Instagram etc Ces voies, bien que critiquables (délation, justice populaire, risques de dérives), offrent des possibilités d’écoute, de libération d’une parole qui peut être occultée et permet d’alerter l’opinion publique. En effet, cette question n’a jamais été aussi prégnante que depuis le mouvement #MeToo sur les réseaux sociaux. La parole peut y être relayée, inaltérée jusqu’à la presse : « Il est important que celles qui souffrent de ces crimes puissent les raconter avec leurs propres mots » disait Tristane Banon.[16]

Elles appellent également à donner plus d’importance à la sexualité féminine. En effet, les connaissances à ce sujet demeurent particulièrement limitées et les questions s’enchaînent. 

Qu’en est-il du clitoris ? De l’anatomie de l’appareil génital féminin ? Pour aller plus loin, du plaisir féminin ? Il est vrai que l’anatomie de l’appareil génital masculin est connue de tous. Étant donné que les organes sont apparents, chacun sait pertinemment comment il est constitué.  De même, si le geste de la masturbation masculine est connu de tous, qu’en est-il de la masturbation féminine ? Quel est le geste adéquat ? 

La masturbation, quasi universelle chez les hommes, concerne à peine la moitié des femmes même si le pourcentage de celles qui la déclarent a considérablement augmenté depuis 1970. De plus, la masturbation féminine est considérée par bien des femmes comme un geste destiné à plaire aux hommes ou bien un geste subversif. Il sort ainsi du cadre strictement personnel et inclut en permanence d’autres considérations. L’hégémonie des corps sexualisés des femmes poussent nombre d’entre elles à avoir recours à des processus douloureux et coûteux (épilations, chirurgie esthétique des organes génitaux…) pour s’approcher de l’image idéale véhiculée par les médias. 

Ainsi, le tabou subsiste et les stéréotypes ont la peau dure. 

La sexualité est encore aujourd’hui essentiellement androcentrée: il est dit qu’un rapport sexuel commence lors d’une érection et finit lors de l’éjaculation. Qu’en est-il alors du plaisir féminin ? 

Bien des hommes, et nombre de femmes, ignorent encore l’existence et l’utilité du clitoris, organe féminin, dont la fonction unique est le plaisir. Il n’apparaît pas, par exemple pas dans les manuels scolaires, bien qu’il fait partie à part entière du corps de la femme. Cela est demontré par la distinction généralement opérée entre une femme  » clitoridienne  » et une femme  » vaginale « . Pourtant, cette distinction n’a aucun sens puisqu’on sait depuis les années 1940 et les travaux d’Alfred Kinsey que le clitoris seul procure du plaisir (y compris au vagin). De plus, il comporte beaucoup plus de terminaisons nerveuses que le pénis,[17] et peut alors procurer un plaisir considérable.

Il paraît étrange que près de 80 ans après cette publication, l’on commence tout juste à répandre et préciser le rôle prépondérant du clitoris dans le plaisir féminin. Ces zones d’ombre démontrent que la sexualité féminine demeure un tabou et que la libération est toute relative. 

Récemment, l’affaire Benjamin Griveaux[18] a rappelé que la sexualité demeure un sujet particulièrement  tabou. En effet, s’il était reconnu dans tous les esprits que la majorité des individus a déjà eu des relations sexuelles, s’est déjà masturbé, il ne serait pas possible de faire chanter une personnalité politique de la sorte. Pourtant, lors de la publication de ces images, le public s’est indigné. Ainsi, un sujet qui aurait dû rester privé a gagné les oreilles de chaque individu et au lieu de s’en détourner, tous avaient une opinion sur l’affaire Griveaux. 

Si le sursaut médiatique provoqué par une simple affaire de masturbation semble démesuré, c’est sans compter l’importance qu’occupe actuellement la sexualité dans le débat public et dans l’esprit de chacun. Loin de pouvoir être librement vécue et exprimée, la sexualité demeure un sujet extrêmement complexe et épineux, réceptacle des inquiétudes de chacun et sujet de luttes renouvelées. Nous sommes bien loin de l’utopie de liberté prônée par le mouvement de Mai 68.

Par Lînah Bonneville, Directrice des Recherches du GSU & Juliette Duminil, Directrice du Pôle Égalité


[1] Leridon et Villeneuve-Gokalp, 1994

[2] Mossuz-Lavau, 1991

[3] Fessaguet, Dominique. « Désordre et plaisir en mai 68 », Topique, vol. 132, no. 3, 2015, pp. 39-44.

[4] « Ce fut une époque où tout le monde couchait avec tout le monde, par désir autant que par curiosité. », Pascal Bruckner, interview dans L’Express, 2002

[5] « Arrêt sur images, Cohn-Bendit et les accusations de pédophilie, une histoire ancienne de 34 ans » [archive], arretsurimages.net, 5 juin 2009.

[6] “ Etre une femme libérée : en Mai-68, c’était pas si facile “, Marie Campistron pour le Nouvel Observateur, 29 mars 2018, au lien suivant

[7] https://www.nouvelobs.com/societe/20180329.OBS4366/etre-une-femme-liberee-en-mai-68-c-etait-pas-si-facile.html

[8] Picq,  1993

[9] Ferrand et Jaspard, 1987

[10] Mossuz-Lavau, 1991

[11] Etre une femme libérée : en Mai-68, c’était pas si facile, Marie Campistron pour le Nouvel Observateur, 29 mars 2018, au lien suivant

[12] idem

[13] En 2017, 90 600 divorces et 194 000 dissolutions de pacs ont été enregistrés (INSEE)

[14] Tinder est la plus répandue, suivie par OK Cupid, Bumble etc

[15] Pascal Bruckner, dans une interview pour l’Express par Dominique Simonnet, 28/08/2016

[16] Après le viol, Tristane Banon.

[17] 8000 terminaisons nerveuses pour le clitoris contre 4000 à 6000 pour le pénis

[18] Une vidéo intime de celui-ci a été diffusée à son insu en pleine campagne pour les élections municipales. Suite à cela, il a préféré se retirer de celle-ci.