Posté le 18 juin 2022 par Groupe Socialiste Universitaire
Le parlement, un contre-pouvoir essentiel bien que limité
“Que ferait le pays si, dimanche, une majorité relative nous empêchait largement d’agir ? Si le poids de la Nupes entravait de façon systématique l’action du gouvernement ? Le désordre politique qui viendrait s’ajouter à l’instabilité et aux dangers du monde actuel serait une folie”1. C’est ainsi que l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, leader du parti Horizons qui fait partie de la coalition de la majorité présidentielle, s’est exprimé dans un entretien au Figaro, pour demander une majorité parlementaire solide aux Français.
Par la suite, le Président de la république s’est également exprimé pour demander une majorité solide afin de ne pas se perdre dans “le désordre”, craignant “l’immobilisme, le blocage ou les postures”2. La crainte affirmée par la majorité présidentielle n’est ici pas seulement celle d’une cohabitation, jugée “impossible”3 par le Président de l’Assemblée nationale. C’est également celle d’une Assemblée dans laquelle le président n’obtiendrait qu’une majorité relative et où tout ne serait pas acquis à l’exécutif. Pourtant une majorité relative ne conduirait pas à un blocage des institutions. Cela conduirait en revanche à la nécessité de davantage de dialogue, à la possibilité de devoir former des alliances et donc créer du consensus au sein de l’assemblée délibérative. Cela pourrait d’ailleurs permettre de mieux faire vivre la démocratie que par majorité absolue, dont seule une mince partie des français approuvent réellement le programme, mais qui s’impose en raison du mode de scrutin. Une majorité relative, se construit au cas par cas, en devant conjuguer avec les groupes minoritaires et relevant de l’opposition afin de ne pas être mis en en difficulté. Et si la démocratie suppose que le pouvoir politique soit exercé par la majorité que le peuple a désignée, elle n’interdit pas de prendre en compte des opinions plurielles, représentatives de la diversité du peuple français.
Ce qui ressort de ces multiples déclarations ce n’est donc pas seulement la crainte de ne pas pouvoir gouverner suite aux élections législatives – le gouvernement étant responsable devant l’Assemblée nationale, il sera de la même couleur que celle-ci. L’enjeu est celui de la conception des rapports entre le gouvernement – et par extension de l’exécutif – et le Parlement. Dans ses déclarations, la majorité présidentielle qui affirme que le résultat des élections devra lui permettre de gouverner aisément semble ancrer l’Assemblée nationale dans un simple rôle de “chambre d’enregistrement”. Néanmoins, le Parlement est bien plus que cela et si sa fonction législative est limitée, il ne se réduit pas à une simple approbation de l’exécutif.
Un rôle législatif limité
Le rôle du Parlement a été fortement encadré par les constituant de la Ve République, laissant une place prépondérante à l’exécutif. Depuis 1958, dans la majorité des cas, le Président de la République a bénéficié d’une majorité de députés à l’Assemblée nationale. Alors, le Premier ministre devenu responsable devant le président, c’est le chef de l’État qui dirige la politique de la nation et ce contrairement à ce que dispose l’article 20 de la Constitution. En revanche, en période de cohabitation, lorsque la majorité des députés est d’une couleur différente de celle du président, celui-ci est cantonné à une place symbolique d’arbitre au rôle limité. Quoiqu’il en soit, l’exécutif domine le Parlement, tant par les règles juridiques que politiques, telles que le mode de scrutin et l’inversion du calendrier qui avec le passage au mandat quinquennal du Président sont venus lui assurer une prédominance. Ainsi, l’exécutif dispose d’importantes prérogatives lui permettant de s’imposer au Parlement.
En effet, si le Parlement vote la loi, le Gouvernement exerce également la fonction législative. C’est lui qui est à l’initiative de la majorité des textes étudiés dans les deux chambres du Parlement. Il contrôle quasiment intégralement l’ordre du jour. Et pour ne citer que cela, il peut utiliser le mécanisme du vote bloqué, pour empêcher le vote d’amendements qui irait à l’encontre de sa volonté4 ou imposer un texte sous réserve de sa censure5. L’exécutif, fort de ses nombreuses prérogatives, peut alors mener sa politique. Néanmoins, contrairement à ce que tente de faire croire la majorité présidentielle actuelle, si la politique du Président est désavouée et qu’une cohabitation lui est imposée par une majorité de députés, alors ce résultat ne mènera pas au chaos. Ce résultat ne serait que l’expression de la volonté du peuple, exprimée par les élections. Et comme a pu l’illustrer la cohabitation de 5 ans entre Lionel Jospin et Jacques Chirac, durant laquelle le socialiste a pu mener sa politique, cela ne mènerait pas à l’immobilisme. Alors il faut l’affirmer, bien que cela semble aller contre une idée reçue, un président de la république élu n’est pas forcément celui qui gouverne, l’exemple du Portugal peut le prouver. Et les propos tenus par la majorité présidentielle sont dévalorisant, tant pour le Parlement que pour la démocratie.
La fonction essentielle du Parlement : le contrôle
Ce sont les élections législatives qui vont définir l’orientation de la politique de la nation qui sera menée. Si une majorité est accordée à l’opposition, la politique de la Nation pourrait être redessinée. Voter est donc extrêmement important. En outre, si l’exécutif joue un rôle prépondérant dans la Ve République et entame la fonction du législateur, le Parlement joue également un rôle essentiel en contrôlant l’action du gouvernement et de l’administration. Cette fonction reconnue par la Constitution6, elle est même devenue une de ses prérogatives principales, l’inscrivant dans un rôle de contrepouvoir. Cette fonction de contrôle permet alors de garder l’action du gouvernement sous le regard des citoyens, représentés par leurs élus qui ont le pouvoir de censurer le gouvernement.
Pour exercer cette fonction, “Une semaine de séance sur quatre est réservée par priorité et dans l’ordre fixé par chaque assemblée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques.”7. Le parlement dispose d’outils afin d’être informé, préalable impératif à sa mission de contrôle. Succinctement, il est possible de relever les questions posées au gouvernement, à l’oral ou à l’écrit, l’analyse des projets de lois, le contrôle budgétaire, les commissions d’enquêtes et les missions d’informations et le contrôle de l’application des lois.
Néanmoins, comme le président Georges Pompidou le relevait déjà : “les rapports entre exécutif et législatif deviennent essentiellement les rapports entre gouvernement et la majorité”.8 Ainsi, le face-à-face entre le Parlement et l’exécutif voit une nouvelle logique émerger, celle de l’affrontement entre la majorité présidentielle/gouvernementale et l’opposition. La logique politique conduit à une distinction entre la majorité gouvernementale, qui maîtrise grandement la fonction législative, et l’opposition, qui exerce davantage la fonction de contrôle et représente donc un véritable contrepouvoir. Bien évidemment, ces deux fonctions sont exercées par l’ensemble des députés. Seulement pas de la même façon. La pratique politique montre donc l’importance de l’opposition, qui croît en fonction de son nombre et qui est indispensable à la démocratie. Le doyen Vedel la plaçait même au centre de l’équilibre des pouvoirs.9
L’opposition, un contre pouvoir démocratique
L’opposition parlementaire représente une minorité du corps électoral. Elle porte une politique alternative que celle voulue par la majorité parlementaire et crée alors du débat au sein du Parlement. Mais au-delà de représenter une autre offre politique, elle contrôle l’action de la majorité parlementaire-gouvernementale, en tirant sa légitimité du suffrage populaire. Elle est ainsi un rempart à ce que Alexis de Tocqueville appelait la “tyrannie de la majorité” dans laquelle « la majorité d’un peuple a le droit de tout faire” 10.
En soutenant la politique du gouvernement, les députés de la majorité ne sont pas incités à utiliser la fonction de contrôle du Parlement. C’est donc avant tout aux députés de l’opposition de se saisir de cette fonction. Comme le rapporteur du projet de la révision constitutionnelle de 2008 à l’Assemblée l’affirmait : « la majorité doit admettre que le contrôle est la vocation de l’opposition »11. Avec la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, de nouveaux droits ont été reconnus à l’opposition. Son rôle a été renforcé, notamment par la composition des commissions permanentes, la fixation de l’ordre du jour, les conditions du travail en séance publique, et le contrôle et l’évaluation des politiques publiques. Par conséquent, même dans l’opposition, les députés, représentants du peuple français, ont un rôle important. Ils sont un contrepoids à l’exécutif et à sa majorité, en disposant de nombreux mécanismes, telle que la saisine du Conseil Constitutionnel, la création de commissions d’enquêtes ou même la proposition d’un Référendum d’Initiative Partagée. Bien sûr, pour être un contre pouvoir efficace il faut que le Parlement se saisisse des armes à sa disposition. A ce sujet, Guy Carcassonne affirmait : « ce qui manque le plus à l’Assemblée nationale, ce ne sont pas des pouvoirs nouveaux, ce sont des députés pour les exercer »12. Dimanche, de nouveaux députés seront élus. Il faut désormais bien les choisir.
Mario Guglielmetti, membre du Pôle Institutions, Vice-président du GSU Assas
1 Déclaration de M. Edouard Philippe; Le Figaro, 13 juin 2022,
2 Déclaration de M. Emmanuel Macron, sur les élections législatives, à Orly le 14 juin 2022
3 Déclaration de M. Richard Ferrand, 14 juin 2022, LCI
4 Article 44 de la Constitution
5 Article 39 de la Constitution
6 Article 24 de la Constitution
7 Article 48 de la Constitution
8 Georges Pompidou, Le Nœud gordien, Paris, Plon, 1974, p. 70.
9 “Une démocratie […] c’est un exécutif appuyé sur la Nation et contrôlé par une opposition parlementaire » (le monde, 20-21 juillet 1957)
10 De la démocratie en Amérique, volume I, 2e partie, chapitre vii.
11 Jean-Luc Warsmann, Assemblée nationale, rapport n° 892, treizième législature, 15 mai 2008, p. 57
12 Préface, Carcassonne G., in Dosière R., L’argent caché de l’Elysée, 2007