Groupe Socialiste Universitaire


Europe et géopolitique

Crise des sous-marins : la diplomatie française à l’épreuve des intérêts étrangers

Posté le 2 octobre 2021 par Groupe Socialiste Universitaire

Emmanuel Macron et Joe Biden au cours du sommet de l’OTAN du 14 juin 2021 – Brendan Smialowski – POOL – AFP

Qualifiée de l’une des crises diplomatiques les plus importantes de ces dernières années, la crise dite des « sous-marins » entre la France et ses alliés britanniques, australiens et américains présente de nombreuses facettes et soulève de nombreuses questions, tant économiques que politiques ou bien encore tant diplomatiques que stratégiques. 

En 2016, sous la présidence de François Hollande, la France et l’Australie signent ce qui est en passe de devenir le « contrat du siècle » selon certains. En effet, l’Australie avait fait le choix, dès 2016, de moderniser sa flotte sous-marine vieillissante et s’était alors orientée vers le groupe industriel français Naval Group pour conclure une commande de 12 sous-marins atteignant une valeur globale de 34,3 milliards d’euros. 

De plus, la coopération franco-australienne ne devait pas s’arrêter là puisque la France s’engageait également à fournir des renseignements et connaissances technologiques à l’Australie afin que celle-ci puisse, par la suite, construire ses propres sous-marins. 

Ce mariage diplomatique et économique international a tourné pourtant assez vite court et l’idylle prend un autre virage à la rentrée 2021. 

La création de l’alliance AUKUS (Australia, United-Kingdom, United-States) le 15 septembre 2021, initialement dans un but stratégique de coordination de moyens dans le Pacifique face à l’influence chinoise, va avoir pour conséquence le retrait de l’Australie du contrat signé 5 ans plus tôt avec la France au profit d’une nouvelle commande de sous-marins, cette fois-ci américains.

C’est de la bouche-même de Scott Morrison, Premier Ministre australien, que l’annonce est dévoilée au cours d’une allocution réunissant Joe Biden, Boris Johnson et le Chef du Gouvernement australien. 

Une fois passé le choc de l’annonce d’un tel séisme diplomatique, les réactions françaises se firent rapides et continuent encore de s’organiser. Mais, au-delà d’une simple rupture de contrat d’armement militaire, la situation que l’on peut qualifier de « crise des sous-marins » traduit une évolution plus globale de la situation diplomatique et géopolitique actuelle. La crise actuelle s’inscrit dans un cadre global de dégradation et de remise en question des relations diplomatiques mondiales tout en mettant en lumière les différents enjeux de sécurité militaire et nucléaire en question dans la zone indopacifique du globe. 

Enfin, une telle crise ne peut secouer la France et son industrie sans que la question de « l’autonomie stratégique » de l’Union européenne ne s’impose comme une conséquence de la situation. 

Un climat délétère de dégradation des relations internationales pour la France 

Les relations diplomatiques et consulaires ont toujours présenté des caractéristiques propres, tantôt hypocrites et lentes, tantôt franches et brèves. Avec cette crise des « sous-marins », un large panel de mesures et réactions diplomatiques ont pu voir le jour des différents côtés. 

A l’origine de tous les évènements, on retrouve une nouvelle coopération internationale entre des États naturellement liés : les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. Ces 3 pays anglophones et membres du Commonwealth ont fait le choix de s’allier militairement au sein de l’AUKUS pour suppléer l’ANZUS et ainsi écarter la Nouvelle-Zélande de leur coopération. 

Une telle alliance, présentant un but de sécurité collective et de contre-influence de la Chine, devait nécessairement s’accompagner de nouvelles avancées géopolitiques parmi lesquelles on retrouve, notamment, l’acquisition par l’Australie des sous-marins américains au détriment des sous-marins français. 

Après l’annonce d’une telle coopération et de ses conséquences sur les commandes australiennes de sous-marins, les réactions diplomatiques françaises sont assez vite arrivées et les condamnations de l’annulation du « contrat du siècle » ont été prononcées par les personnes les plus importants de l’État, avant de voir des réactions politiques françaises plus diverses. 

Dès le 16 septembre, le Ministère des Armées, par le biais de son porte-parole, dénonce une trahison de l’Australie. Ultérieurement, ce sera Jean-Yves Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères français qui déclarera « Il y a eu mensonge, il y a eu duplicité, il y a eu mépris et rupture majeure de confiance. »

Ces réactions diplomatiques vont connaître une escalade dès le 17 septembre puisque le Président de la République rappelle les ambassadeurs français aux États-Unis et en Australie pour consultation. Ce rappel des plus hautes autorités diplomatiques françaises dans ces pays est une première historique et Jean-Yves Le Drian justifie cette sanction diplomatique par « la gravité exceptionnelle des annonces. »

Cette situation, causée par le rapprochement des pays anglophones, conduit inévitablement à une détérioration des relations franco-américaines et franco-australiennes.

Les relations entre la France et l’Australie sont assez anciennes et ont toujours été marquées par une réelle coopération et une estime mutuelle, ainsi que par des aides réciproques. C’est d’ailleurs ce passé harmonieux entre les 2 pays et les réactions à cette crise qui ont poussé Barnaby Joyce, Vice Premier-Ministre australien, a déclaré que « L’Australie n’a pas besoin de démontrer son attachement, son intérêt et son dévouement pour la liberté et l’égalité française. Des dizaines de milliers d’Australiens sont morts en France ou pour protéger la France. » 

Par ailleurs, la relation franco-australienne ne sera pas la seule à pâtir de cette situation puisque les relations entre la France et l’un de ses plus anciens alliés, les États-Unis, vont également connaître une détérioration. En effet, la relation franco-américaine est supposée être l’une des plus fidèles et des plus anciennes historiquement parlant puisque la France et les États-Unis sont alliés depuis l’intervention de Lafayette dès 1777 durant la Guerre d’Indépendance américaine. 

Hormis le point de vue historique, la bonne entente entre la France et la 1ère puissance mondiale revêt une importance capitale pour notre pays, tant sur le point de vue diplomatique, qu’économique, géopolitique ou encore stratégique. Entretenir de bonnes relations avec les États-Unis ne peut être que profitable et souhaitable pour notre économie, dépendante des importations et exportations de capitaux et marchandises vers l’étranger. De plus, une solide entente diplomatique entre les 2 pays permet à la France d’envisager des politiques extérieures plus ambitieuses que celles entreprises unilatéralement. 

Cependant, il est important de souligner que les relations franco-américaines avaient déjà connu une première turbulence récente avec la situation rencontrée en Afghanistan à la chute de Kaboul et des semaines qui l’ont suivi, notamment concernant les scènes chaotiques que le monde entier a pu observer à l’aéroport de Kaboul. 

Mais, plus qu’un conflit, il s’agit également ici d’une opposition entre deux Chefs d’État : Emmanuel Macron et Joe Biden. Ce dernier, Président de la première puissance mondiale après un mandat de Donald Trump, souhaite marquer de son empreinte la nouvelle orientation de la politique étrangère de son pays. 

A l’opposé, Emmanuel Macron, pouvant s’imposer désormais comme l’un des successeurs d’Angela Merkel pour représenter l’Union européenne, tout en gardant à l’esprit les intérêts français, désire également protéger l’économie et l’image de la France à l’international pour conserver un rôle de premier plan.

Une cristallisation des enjeux de sécurité militaire et nucléaire dans la zone indopacifique

La zone indopacifique s’impose depuis quelques années déjà comme un nouveau pôle d’influence mondiale. Cette zone du globe comprend l’océan Indien et l’océan Pacifique, et s’étend des côtes africaines jusqu’à l’Océanie tout en passant par l’Asie du Sud et le Moyen-Orient. 

La zone indopacifique est désormais un centre d’activités économiques, politiques, diplomatiques et stratégiques majeur à l’échelle du monde puisqu’elle regroupe des puissances à l’instar de la Chine, l’Inde, l’Australie, l’Indonésie ou encore le Japon. A ce titre, elle concentre désormais les vues et ambitions de nombreuses puissances occidentales, à commencer par les États-Unis et certains puissances européennes, notamment l’Allemagne mais aussi la France.

En effet, depuis le quinquennat de François Hollande, avec l’accord de partenariat stratégique franco-australien de 2012 puis la signature du supposé « contrat du siècle », la France avait développé une politique étrangère importante dans cette zone stratégique, comme l’avait d’ailleurs rappelé Emmanuel Macron lors d’une visite à Sidney en 2018. 

Tout d’abord, les liens économiques entre les 2 nations ne sont pas négligeables puisque les exportations australiennes en France se sont élevées à 1,1 milliard de dollars, tandis que les exportations françaises en Australie ont atteint la somme de 3,8 milliards de dollars. De plus, les Ministres français et australiens se sont régulièrement rencontrés et entretenus depuis 2012, comme le prévoyait le partenariat stratégique franco-australien.

Cependant, la « crise des sous-marins » a rebattu les cartes des jeux d’influence dans cette partie du monde et la France semble avoir perdu sa longueur d’avance malgré sa revendication de puissance régionale majeure par le biais de ses territoires d’Outre-Mer.  

Dorénavant, la France devra composer avec les 3 puissances majeures que sont l’Australie (12ème puissance économique mondiale), le Royaume-Uni (6ème puissance économique mondiale) et les États-Unis (1ère puissance économique mondiale) qui ont décidé de s’allier et de coopérer seuls, en excluant également d’ailleurs la Nouvelle-Zélande qui refusait aux navires nucléaire l’accès à ses eaux. 

En effet, il est bel et bien question, avec cette alliance et ses conséquences, d’enjeux géopolitiques sous-jacents puisque l’ambition clairement affichée par l’AUKUS est de contrer l’hégémonie chinoise militaire et nucléaire dans la zone, tout en permettant de conserver un point d’appui stratégique non loin de la Corée du Nord. 

Par ailleurs, certains politistes et spécialistes australiens ont d’ores et déjà fait preuve d’une réserve à la suite de cette situation et en appelant plutôt de ses vœux une meilleure intégration entre France et les pays de l’AUKUS afin de faire preuve d’un front uni face à la menace chinoise. Pourtant, c’est bien l’AUKUS, et de façon presque exclusive les États-Unis, qui assumeront le leadership dans le Pacifique face à Pékin qui, de son côté, a dénoncé l’acquisition et la prolifération des sous-marins nucléaires dans le Pacifique. 

Un nouvel élan vers une accélération de « l’autonomie stratégique » de l’Union européenne ? 

L’isolement de la France dans la région indopacifique peut permettre de donner une nouvelle aspiration à un espoir européen et accélérer le dossier épineux de « l’autonomie stratégique » de l’Union européenne.

Cette question s’était déjà posée avec le développement de la pandémie mondiale et l’apparition des failles industrielles et politiques de l’Union européenne, tant sur la question des masques sur celles des vaccins. 

Elle se pose encore d’autant plus aujourd’hui où seule une solidarité et une coopération intégrale de l’UE est nécessaire pour tenter de concurrencer diplomatiquement l’AUKUS, regroupement de pays solidement ancrés dans la région.  

Encore plus que cela, certains politiques et diplomates européens ont souhaité poursuivre plus ardemment la politique visant à instaurer une Europe de la défense pour organiser une réponse coordonnée à dimension internationale. Cette idée d’Europe de la défense s’était déjà manifestée avec la création de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESC) en 1999, avant d’être remplacée par la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) issue du Traité de Lisbonne de 2007. A côté de cela, on retrouve aussi depuis 2018 le Fonds européen de la défense, qui contient un fonds de 13 milliards d’euros destiné à promouvoir la coopération des États membres en matière de technologies de défense.

Sans réclamer une Europe de la défense, certains ont, de leur côté, déjà fait élever leurs voix pour réclamer une plus grande alliance européenne afin de compenser « l’effacement » de l’OTAN depuis la crise diplomatique. 

En effet, à l’occasion de la création de l’AUKUS, l’OTAN, regroupant les principaux acteurs de la crise actuelle, dont la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie indirectement via un partenariat global issu de la déclaration politique conjointe de juin 2012 où l’OTAN et l’Australie ont consacré leur coopération, a montré ses failles et témoigné d’une apparente inefficacité. 

Une telle volonté globale de continuité d’une politique ambitieuse de l’Union européenne ne semble désormais plus si utopiste au vu de la solidarité et de l’esprit de coopération dont on fait preuve les principaux dirigeants européens depuis la décision australienne de rompre le contrat. 

En effet, dès les premiers jours, Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne a jugé « inacceptable » la façon dont la France a été traitée tandis que Charles Michel, Président du Conseil européen, lui a dénoncé un « manque de loyauté » des États-Unis.

De plus, à l’occasion de l’AG de l’ONU, la France a publiquement fait savoir son mécontentement quant à la situation, et a pu composer avec l’appui de ses partenaires européens, dont notamment Heiko Mass, Ministre allemand des Affaires Étrangères, ou Josep Borrell, Ministre des Affaires Étrangères et chef de la diplomatie de l’UE. 

En définitive, au vu de l’ampleur de la crise actuelle, du climat de dégradation générale des relations diplomatiques pour la France, ainsi que des enjeux cruciaux de sécurité internationales à l’œuvre, la mise en œuvre de « l’autonomie stratégique » de l’UE semble devoir franchir un nouveau pallier et pourrait, ainsi, constituer le point de départ d’une réponse française attendue sur la scène internationale.

Par Samuel Claude, membre du Pôle Europe et Géopolitique