Posté le 10 juin 2022 par Damien Picot
Par Damien Picot, secrétaire général du GSU
Afin de comparer la situation avec d’autres pays, il est intéressant de regarder le cas de l’état du Colorado aux États-Unis où la légalisation du cannabis a permis la création de 18 000 emplois pour la production et la vente du cannabis. On y constate une baisse des violences, des maladies liées aux effets du cannabis et une baisse de la consommation de la drogue. En termes économiques, cela a permis au Colorado de créer 18 000 emplois. Les ventes du cannabis à usage récréatif et thérapeutique dans l’État a atteint un chiffre d’affaires de 2.4 milliards de dollars et 200 millions de dollars en 2015 sont récoltés grâce à la taxation du cannabis et de ses dérivés, dont 40 millions pour la construction d’écoles publiques. Cet argent est investi dans l’éducation, l’agriculture locale, les politiques de santé et de prévention contre les risques du cannabis. La criminalité a diminué de 5% depuis la légalisation du cannabis. Pour autant, le marché noir n’a pas diminué car il est possible de cultiver au maximum 6 pieds de cannabis, la production supplémentaire qui n’est pas consommée est donc revendue entre particuliers. Cependant, cela n’est plus assimilable à des trafics organisés pouvant financer le banditisme. Du côté de la consommation, celle-ci reste inférieure dans le Colorado à la moyenne nationale, y compris les États n’ayant pas légalisé le cannabis. Le nombre d’individus ayant fumé durant le dernier mois au Colorado est passé de 25% en 2009 à 21% en 2015. Cette baisse se confirme également chez les adolescents. La tendance est similaire en Hollande, où la consommation est passée de 14% à 11% entre 1997 et 2005. La légalisation a également eu des effets inattendus comme l’augmentation du tourisme dans l’État. Il est important de préciser que les recettes fiscales ne sont permises que par la légalisation et non pas par la dépénalisation, car cette dernière n’autorise pas la commercialisation légale du produit.
L’un des seuls problèmes lié à la légalisation est la consommation de produits comestibles à base de cannabis par des enfants, ce qui peut entraîner leur hospitalisation. La législation au Colorado a donc obligé les producteurs à produire des emballages plus résistants et moins attractifs aux yeux des enfants.
Un élément encore trop peu mis en avant dans l’argumentaire des partis de gauche et de droite est le type de modèle de légalisation souhaité. Les personnalités de gauche se positionnant en faveur de la légalisation limitent le débat aux raisons de légaliser le cannabis sans pour autant détailler la méthode à suivre pour y parvenir. « Il existe aujourd’hui principalement deux modèles d’organisation : d’une part, la gestion étatique et centralisée de l’Uruguay via un monopole public de production et de distribution, modèle adopté également au Québec ou en Colombie-Britannique par exemple et, d’autre part, des marchés privés réglementés dans les États nord-américains ou certaines provinces du Canada » .
Le marché privé réglementé implique que le prix du cannabis soit fixé par les mécanismes du marché et non pas par l’État. Celui-ci se contenterait de délivrer des permis de production de cannabis aux entreprises rassemblant les critères nécessaires. Les entreprises se chargeraient de la production, de la logistique et de la commercialisation du produit. Ce modèle expose la vente et la consommation du cannabis aux aléas du marché et risquerait de limiter la pertinence de la légalisation du cannabis à la simple ouverture d’un nouveau marché. Le prix de vente pourrait être trop bas pour assurer des marges financières aux agriculteurs ou trop haut pour lutter efficacement contre le marché noir. Dans ce modèle ou dans le suivant, le pourcentage de la taxation resterait le même, mais comme le prix est fixé par le marché dans le premier modèle, il est difficile d’établir des prévisions sur les recettes fiscales qu’il pourrait engendrer.
Le monopole d’Etat verrait le prix du cannabis fixé par l’État. La production serait déléguée à des entreprises privées, mais serait soumise à une réglementation très stricte. Néanmoins, la commercialisation se ferait dans des magasins dédiés à la seule vente du cannabis et de ses dérivés et serait contrôlée par l’Etat. Comme expliqué auparavant, le fait que des magasins soient dédiés à la commercialisation du cannabis et de ses dérivés limite l’accès des mineurs à ces produits.
Il est préférable pour l’Etat de contrôler le prix et les quantités de cannabis produit et de s’assurer l’exclusivité de la vente du produit – en d’autres termes de contrôler le marché – s’il souhaite faire passer les enjeux de santé publique et de délinquance avant les enjeux économiques. Le monopole étatique sera aussi utile pour contrôler la qualité du produit, notamment sa production biologique ainsi que la quantité de THC et de CBD dans le produit. Le Conseil d’analyse économique préconise la création d’une agence indépendante afin que les critères cités précédemment soient ajustés en fonction des objectifs de réduction du trafic et de la consommation des mineurs, d’amélioration de la prévention et de la création d’une filière économique. « Cette solution aurait l’avantage de limiter l’appétence des pouvoirs publics aux rentrées fiscales liées au cannabis et leur capture par les lobbys du secteur qui ne manqueront pas de se former » .
Grâce à une régulation précise par l’Etat, il sera possible d’encadrer plus efficacement la demande et donc la consommation de cannabis à travers plusieurs facteurs. Le prix est le facteur le plus important car un produit plus cher exclura une partie des consommateurs, à condition que le marché noir ne soit pas en mesure de proposer un produit moins cher. Pour cela, l’intensification de la répression du commerce parallèle fera mécaniquement augmenter le prix du cannabis vendu illégalement et rendra celui vendu légalement plus attractif. Ensuite, la production d’un produit ayant une qualité significativement supérieure – n’étant pas coupé à d’autres substances, cultivé sans OGM à partir d’une agriculture biologique, une quantité de THC connue, une diversité de produits fabriqués à partir de cannabis (gâteaux, huiles etc…) – lui garantira un rapport qualité/prix imbattable. Ainsi, le CAE estime que le prix correct pour assurer les différents objectifs recherchés serait de 9 euros le gramme. Cependant, il ne faut pas s’attendre à ce que le marché légal du cannabis puisse produire des bénéfices sur le court terme. En effet, les coûts liés à la répression ne baisseront que graduellement. Ensuite le maintien du cannabis produit légalement à un prix moins cher que celui du trafic ne permettra pas de dégager des recettes fiscales importantes dans un premier temps au risque de réduire le profit des agriculteurs. Il pourrait même être envisageable de devoir subventionner les agriculteurs afin qu’ils puissent être rentables lors des premières années de la légalisation.
En terme fiscal, la légalisation du cannabis, si elle est soumise à un contrôle strict, pourrait rapporter des revenus considérables. Le CAE établit que « selon un scénario alternatif de ventes de 700 tonnes par an (correspondant soit à une sous-estimation de la demande actuelle, soit à une augmentation à la suite de la légalisation), les recettes fiscales représenteraient 2,8 milliards d’euros par an, ainsi qu’un gain pour les cotisations sociales compris entre 360 et 740 millions par an, pour un nombre d’emplois dans la filière entre 40 000 et 80 000 » . Le CAE estime ce chiffre d’affaires dans l’hypothèse où le gramme de cannabis se vendrait à 9 euros, que celui-ci soit imposé par la TVA à hauteur de 20% et d’un droit d’accise de 50%. En tenant compte du fait qu’à long terme la taxe est amenée à augmenter, à l’image de celle sur le tabac, cette somme serait amenée à augmenter. Le chiffre de 700 tonnes de cannabis est issu d’une estimation haute de la consommation de cannabis. Celle-ci reste difficile à estimer avec précision puisqu’elle est souvent sous-estimée car elle est illégale et donc non quantifiée par les pouvoirs publics. La production de cannabis se ferait d’ailleurs principalement en France. Ainsi, la production de cette filière serait génératrice de plusieurs externalités positives comme une nouvelle source de revenus pour les agriculteurs et une production pouvant être totalement issue de l’agriculture biologique.
Le cannabis est reconnu pour avoir des effets sur la santé à long terme. Ils peuvent être liés au THC présent dans le cannabis, mais aussi aux substances qui l’accompagnent. C’est le cas du tabac qui produit du goudron lors de la combustion de la cigarette. Si le cannabis a bien des effets négatifs, il ne faut pas lui associer les effets des autres substances qui l’accompagnent, surtout en raison du fait qu’il y a d’autres façons de consommer le cannabis que de le fumer. La consommation d’huile de cannabis est par exemple légale au Pérou alors que sa consommation sous forme de plante est interdite. On comprend donc l’importance d’une campagne de sensibilisation à ce sujet. Les produits, notamment la résine de cannabis, peuvent être mélangés avec d’autres substances toxiques rendant le produit encore plus toxique qu’à l’origine, surtout dans quand il s’agit de produits d’origine illégale. Ainsi, l’un des principaux bénéfices que pourrait apporter la légalisation serait de pouvoir contrôler la qualité du cannabis vendu. L’État émettrait des normes de production, d’hygiène, de quantité de THC et de garanties de l’absence de substances chimiques ajoutées. Un produit de qualité pourrait à la fois détourner les consommateurs du trafic illégal, diminuant ainsi ses ressources, et de l’autre diminuerait l’impact négatif sur la santé des consommateurs. De plus, si le cannabis est légalisé, alors il sera possible pour les consommateurs d’en acheter sous différentes formes, moins nocives pour la santé, comme des huiles ou des produits comestibles. En effet, ceux-ci ne nécessitent pas de tabac et ne provoquent pas de combustion, ce qui limite les dangers pour la santé et l’addiction au tabac.
Les scientifiques reconnaissent que la consommation de cannabis est dangereuse en cas de forte consommation et non-occasionnelle. Il est nécessaire de rappeler qu’il n’y a aucun lien entre la toxicité d’une drogue et son illégalité. L’alcool est plus dangereux en matière de santé alors qu’il est légal et les publicités pour des boissons alcoolisées comme le vin ou la bière sont très fréquentes. De plus, les décès liés au cannabis sont largement en lien avec la conduite sous emprise de drogue, ou en lien avec des maladies cardiovasculaires qui augmentent le risque d’une crise ou d’un AVC. En effet, il n’y a pas de dose létale concernant la consommation de cannabis. L’argument affirmant que l’interdiction et la répression ne sont pas efficaces se fonde sur l’expérience de la prohibition aux États-Unis. L’interdiction n’a pas diminué la consommation. Il en est de même pour l’interruption volontaire de grossesse ou l’euthanasie. Il est toujours possible de le réaliser. Les classes aisées ont la possibilité d’aller dans un autre pays pour effectuer ce qui est illégal dans le leur, comme c’est le cas des Français bénéficiant de l’euthanasie en Suisse. Les plus défavorisés le réalisent par eux-mêmes, ce qui est plus difficile, plus cher et expose à de plus grands dangers. Par exemple, les tentatives d’avortements dans les pays où l’IVG est illégale entraînent des blessures sur les femmes qui désirent effectuer l’opération, car ces opérations sont réalisées clandestinement et mettent la vie de la femme en danger. Un argument en faveur de la légalisation est le fait qu’il n’est pas possible d’interdire complètement la consommation d’une drogue, le cas français le démontre. Néanmoins, il est possible d’accompagner les personnes qui consomment du cannabis en effectuant une prévention sur les risques, en proposant un suivi médical de qualité pour les personnes dépendantes ainsi qu’en garantissant un produit de qualité, ce qui permet de diminuer le risque sanitaire.
Depuis plusieurs décennies, il a été constaté que la concentration en THC dans le cannabis a considérablement augmenté. En 1993, aux États-Unis, la concentration moyenne de THC était de 3.4% alors que celle du CBD était de 0.3% dans un gramme de cannabis. En 2008, leurs concentrations sont respectivement passées à 8.8% et à 0.4%, soit une concentration en THC doublée en l’espace de 15 ans.
Cela s’explique par la volonté d’accroître les effets psychotropes liés à la consommation de cannabis. La récurrence de la consommation de cannabis, comme toute autre drogue, diminue à terme les effets ressentis. L’augmentation de la concentration de THC est une solution pour y pallier. Cette tendance participe à rendre le cannabis plus dangereux pour la santé. C’est pourquoi cet argument l’augmentation de la concentration en THC est repris comme argument contre la légalisation du cannabis. La dangerosité croissante du cannabis serait une raison supplémentaire pour maintenir son interdiction afin d’empêcher sa consommation. Il est à noter que la teneur en THC dépend de facteurs génétiques, modifiables par l’homme, mais aussi météorologiques, notamment de l’humidité et de la lumière.
Cependant, la légalisation du cannabis permettrait de remédier à cette tendance. En effet, tant que le marché reste sous le contrôle de réseaux clandestins, la concentration en THC ne sera pas régulée. Car les producteurs n’auraient aucun intérêt à ce que leur produit soit moins fort que les autres, ce qui les rendrait moins compétitifs. Mais aussi parce que les standards de production sont faiblement encadrés et n’intègrent pas la diversité de la concentration de THC dans le cahier des charges de leurs produits. Lorsque du cannabis est vendu notamment par des vendeurs informels, des « dealers », il est impossible de connaître la teneur de THC et en CBD du produit. Ainsi la légalisation et donc la vente contrôlée de cannabis permettrait d’abord aux consommateurs de connaître exactement la concentration en THC du produit acheté. Secondement, il serait possible de choisir son produit parmi un panel de produits contenant différents pourcentages de concentration de cannabis afin de choisir en fonction des effets recherchés par la consommation. De plus, il est envisageable que l’État puisse définir un seuil maximum de concentration de THC dans les produits vendus dans ses commerces et instaurer une prévention ciblée sur les dangers d’une concentration en THC trop forte sur la santé.
Les trois arguments principaux de la légalisation sont donc la réduction de la consommation de cannabis chez les plus jeunes, la diminution de la criminalité et la mise en place d’une meilleure politique de santé publique. Pourtant, d’autres arguments se sont greffés aux enjeux initiaux ; les deux plus importants sont d’un côté l’argument économique et la création d’une filière légale de production de cannabis à usage récréatif – l’usage du cannabis dans la cosmétique ou le bâtiment ne sont pas en jeu ici – et de l’autre les recettes fiscales en lien avec ce marché.
La construction d’une filière économique implique la rentabilité de celle-ci et donc une opportunité pour l’Etat de pouvoir en dégager des bénéfices via la taxation des produits. Cependant, à vouloir tirer trop de profits par le biais de la taxation de cette drogue, le prix élevé du cannabis vendu par l’Etat risquerait de ne pas être compétitif. Les ventes dans le marché parallèle perdureraient, alors que l’un des objectifs majeurs de la légalisation est de l’assécher. Si l’objectif est de créer des profits, alors l’augmentation du prix devra se faire progressivement et une fois que le marché noir sera suffisamment faible pour garantir un monopole d’Etat. Ainsi, il est inévitable que le produit vendu légalement soit dans un premier temps soumis à une faible taxation afin que le prix puisse concurrencer les trafics illégaux tout en permettant aux agriculteurs de faire des profits.
Les motivations économiques peuvent être contre-productives. La recherche constante du bénéfice entraînerait la mise en péril des objectifs de santé publique et de réduction de la criminalité. Néanmoins, si la filière n’est pas rentable, les quantités produites dans le cadre d’un monopole d’Etat ne seront pas suffisantes pour contenter l’ensemble de la demande et permettraient donc au marché noir de perdurer en comblant l’offre manquante. « Il est nécessaire de garantir des produits de qualité et en quantité suffisante, en pratiquant initialement des prix payés aux producteurs suffisamment élevés pour assurer le développement de la filière, tout en maintenant des prix payés par les consommateurs suffisamment bas afin d’assécher le marché illégal » . Enfin, pour assurer l’extinction du marché noir, il est nécessaire de proposer un produit moins cher que celui proposé dans le trafic parallèle.
Afin de lutter contre les trafics illégaux, il est enfin nécessaire de mener une lutte généralisée contre la délinquance et le crime organisé, à tous les niveaux des réseaux clandestins. Ces derniers s’organisent au niveau international, car comme vu précédemment, les pays de production et de consommations sont différents. Il est donc nécessaire de lutter contre l’argent sale qui circule à travers le monde et qui peut être placé dans des paradis fiscaux. Comme l’affirme le CAE, « la grosse majorité des profits engendrés par cette filière finirait sur des comptes à l’étranger et la part qui resterait dans les quartiers qui abritent les trafics serait minime » . Ainsi, le sujet de la légalisation du cannabis s’entremêle avec des enjeux internationaux de lutte contre les paradis fiscaux. Cette lutte devrait être menée à l’échelle européenne pour garantir un processus efficace à l’intérieur et à l’extérieur des frontières de l’Union européenne.
Enfin, la légalisation du cannabis aura des conséquences sociales encore difficilement identifiables sur les territoires, les quartiers populaires étant ceux qui seront les plus impactés. Le CAE estime qu’environ 200 000 personnes travailleraient plus ou moins directement dans le marché du cannabis et des autres drogues en France métropolitaine. Si 80 000 emplois pourraient être créés, 120 000 personnes se retrouveraient tout de même exclues de la filière légale. La réorientation de ces personnes vers des emplois légaux sera décisive pour que ces dernières s’éloignent durablement des trafics. Cependant, les conséquences du trafic du cannabis, également applicable au trafic de drogue plus généralement présente plus d’inconvénients que d’avantages pour ces territoires. Le trafic ne donne aucune opportunité d’insertion dans la société et dans le marché du travail et détériore largement le cadre de vie des quartiers dans lequel il est présent ; en termes de délinquance, de violences et de tensions entre les pouvoirs publics, notamment les forces de l’ordre, et les habitants. Il participe également à la discrimination liée au lieu de résidence. L’ensemble de ces problématiques nourrissent le sentiment d’abandon vis-à-vis de la République et son incapacité à garantir l’égalité entre les citoyens, notamment les plus défavorisés. Enfin, loin de procurer des montants importants aux trafiquants, les salaires liés au trafic excèdent rarement le montant d’un SMIC tandis que la majorité des recettes que procure le cannabis partent sur des comptes cachés à l’étranger.
L’argument avançant que le trafic serait un avantage pour les quartiers, que l’on ne retrouve pas seulement au RN, montre qu’il est nécessaire de ne pas se limiter aux seules conséquences économiques et chiffrables, mais aussi de prendre en compte l’amélioration du bien-être, la relation entre les habitants et l’Etat dans les quartiers où le trafic provoque des difficultés. Il est néanmoins nécessaire d’anticiper la reconversion des individus travaillant dans les trafics vers des secteurs légaux, mais aussi le développement de la prévention de la consommation de drogue et à des politiques de la ville et d’éducation. Cette reconversion serait facteur d’apaisement et de nouvelles perspectives pour les habitants de ces quartiers, mais aussi de diminution globale du poids du trafic dans ces lieux. Il est également nécessaire de réorganiser le mécanisme des aides sociales pour ne pas pénaliser les populations les plus précaires liées au commerce de drogue. L’ouverture du Revenu de Solidarité Active (RSA) aux jeunes entre 18 et 25 ans ainsi que son automatisation serait envisageable afin d’assurer un revenu minimum à ces catégories sociales plus fortement touchées par le cannabis. La réorganisation des aides sociales est donc centrale dans la production d’une politique publique de lutte contre la drogue.
Une politique de réaménagement des quartiers populaires paraît également nécessaire. Limiter l’isolement de ces territoires pourrait favoriser l’accès au marché du travail, tout en luttant contre la délinquance et l’addiction aux drogues via l’aide d’associations d’organismes sociaux et de politiques publiques ambitieuses. Ce sujet est fortement lié à la lutte contre les discriminations sociales et ethniques, à l’origine de la criminalisation du cannabis aux États-Unis. Il est également central de traiter la légalisation du cannabis sous l’angle de l’éducation. Non seulement pour formuler une vraie politique de prévention à l’encontre des adolescents, mais aussi en assignant des moyens supplémentaires dans les écoles des quartiers les plus en difficulté afin de lutter contre le décrochage scolaire et de permettre l’égalité des chances à ces populations ainsi qu’une intégration totale dans la société. Aux États-Unis, les États ayant légalisé le cannabis ont effacé les condamnations en lien avec le cannabis du casier judiciaire des condamnés. L’une des raisons était qu’elles visaient particulièrement les minorités ethniques. En effet, il est contre-productif de considérer une personne comme délinquante en raison de sa consommation de drogues sans chercher à comprendre le contexte psycho-social de ces personnes ainsi que leur condition de vie.
Le débat sur la légalisation du cannabis revient régulièrement sur le devant de la scène médiatique. Pourtant, cette plante reste largement stigmatisée en raison de la méconnaissance de ses effets, de ses capacités et de son histoire. Consommée depuis plus de 7 000 ans, elle fut interdite sans aucune justification scientifique portant sur des considérations sanitaires, mais bien des enjeux politiques et discriminatoires. Tout usage de chanvre fut interdit, sans considérations pour ses vertus thérapeutiques et son potentiel économique colossal, qui pourrait se montrer déterminant dans la transition écologique qui se profile. Malgré sa légalisation dans une dizaine de pays, la France s’enlise dans une politique d’interdiction parmi les plus répressives au monde alors même que le pays est celui où la consommation de cannabis est la plus forte d’Europe. Si la législation commence à évoluer sur l’usage industriel et thérapeutique ainsi que sur la consommation du CBD, l’usage récréatif reste fortement réprimé par un arsenal juridique régulièrement étoffé.
Historiquement opposée à la légalisation pour des raisons culturelles et politiques, la famille politique de la droite s’oppose unanimement à la légalisation du cannabis et soutient un renforcement de la répression. De la droite modérée à l’extrême droite, les arguments pour la pénalisation du cannabis se rejoignent. Seule une poignée de dirigeants de droite soutiennent la dépénalisation dans le seul but de désengorger les tribunaux, mieux faire appliquer les peines et décharger la police de cette tâche.
Selon les représentants de la droite, légaliser revient à envoyer un message laxiste à la jeunesse, ce qui amènerait fatalement à une augmentation de la consommation de cannabis. Il y a également l’idée que la répression de la drogue constitue une politique publique complète, alors que ne prend aucunement en compte les problèmes d’ordre sanitaires ou économiques. En effet, aucune politique de prévention ou de suivi de l’addiction n’est prévue dans les politiques proposées par les partis de droite. Les discours de certains dirigeants politiques viennent stigmatiser les classes populaires et certaines minorités alors même que les problématiques de trafic de drogue dans certains quartiers, les enjeux économiques qui en découlent ne sont pas prises en compte. Ensuite, il existe une incohérence entre la défense de la pénalisation du cannabis alors même que certaines drogues plus addictives et plus dangereuses sont légales. Les arguments contre la légalisation ne portent finalement pas sur l’aspect sanitaire ou sur l’accès de la drogue aux mineurs, mais plutôt sur la dimension juridique, symbolique et dissuasive en se dotant de lois répressives en matière de consommation de drogue. Le soutien à l’interdiction totale du cannabis et du chanvre plus généralement est un marqueur politique qui permet de rassembler l’électorat conservateur autour d’une mesure d’autorité qui prétend lutter contre le laxisme juridique de l’État. Ce marqueur est utilisé autant par LREM, qui a adapté son discours en fonction de l’électorat, que par Les Républicains. La prise de position ferme de la droite sur le sujet du cannabis participe donc à sa radicalisation sur les sujets de société.
La position des partis de gauche sur la question de la légalisation du cannabis est plus clivante. Si les mouvements récemment créés sont en majorité pour la légalisation du cannabis, les partis politiques plus anciens ont vu évoluer leurs positions sur le sujet, passant de la défense d’un statu quo à la dépénalisation, puis la légalisation. Si l’argument de l’échec de la politique de répression envers le trafic et la consommation de cannabis est partagé avec les partis de droite, la gauche n’en tire pas les mêmes conclusions.
La légalisation permettrait d’assécher les trafics en détournant les consommateurs du marché noir. D’un autre côté, le contrôle de la production permettrait de garantir une qualité de produit qui diminuerait les risques sanitaires liés à sa consommation, notamment en diversifiant les manières de consommer la drogue. La légalisation, loin de symboliser le laxisme, aurait l’effet inverse avec une lutte plus efficace contre le marché noir, car les effectifs ne se concentreraient non plus sur les consommateurs mais sur les trafiquants uniquement. Une fois le trafic affaibli, les sommes investies de la répression seraient redirigées soit vers des politiques de prévention et de lutte contre l’addiction soit dans la lutte d’autres trafics, notamment d’armes ou d’êtres humains. La légalisation favoriserait aussi un meilleur suivi médical et la mise en place d’une réelle politique de prévention des risques. L’argument économique est mis en avant à travers la possibilité de créer des emplois, mais aussi une filière agricole, qui entraînerait la rentrée de recettes fiscales permettant de financer des politiques de prévention et des politiques de la ville. Les arguments mis en avant par les partis de gauche s’appuient sur des expériences internationales notamment au Colorado et au Canada, qui montrent que la légalisation a fait diminuer la délinquance, et le nombre de problèmes sanitaires liés au cannabis. Les partis de gauche défendent autant le cannabis à usage récréatif que celui à usage thérapeutique et l’utilisation du chanvre comme matière première pour l’économie.
Néanmoins, si les arguments pour ou contre la légalisation du cannabis ne manquent pas, les projections sur le modèle de légalisation restent encore trop peu explorées. Les deux modèles envisageables traduisent des priorités différentes et des nouveaux enjeux créés par la légalisation. Une légalisation via un marché privé réglementé verrait le prix du cannabis fixé par le marché. Des entreprises se chargeraient de produire puis de vendre le cannabis. Cependant, il serait difficile de lutter efficacement contre les trafics et de créer une filière agricole si le prix de vente, la quantité et la qualité ne sont pas définis par l’État. Un monopole d’État verrait le prix du cannabis fixé par une agence indépendante. Sa vente se ferait dans des magasins dédiés à la seule commercialisation des produits dérivés du cannabis, ce qui permettrait de limiter l’accès des mineurs à cette drogue. L’État contrôlerait donc la quantité, la qualité. Le CAE estime le prix juste à environ 9 euros le gramme. La taxation de ce produit pourrait rapporter au moins 2.8 milliards d’euros par an, jusqu’à 740 millions d’euros de cotisations sociales et créer près de 80 000 emplois.
Ainsi, les enjeux sanitaires, de réduction du trafic illégal et d’accès de la drogue aux mineurs sont les principaux enjeux de la légalisation du cannabis à usage récréatif. Néanmoins, les enjeux de création d’une filière économique et d’une nouvelle source de recettes fiscales pourraient amener à reléguer certaines priorités de la légalisation au second plan. Le monopole d’État permettrait de privilégier les premiers enjeux alors qu’un marché concurrentiel favoriserait les seconds.
Enfin, la légalisation du cannabis incite à s’intéresser à des sujets en apparence plus éloignés de la question des drogues, mais qui pourtant forment un ensemble d’enjeux considérables à prendre en compte dans le cadre d’un changement en matière de répression des drogues. La réorganisation des aides sociales pour les quartiers impactés par le trafic permettra une transition sereine de l’activité économique pour des milliers d’individus qui vivaient des recettes du trafic de drogue. Des politiques urbaines devront accompagner cette transition par des moyens supplémentaires alloués au désenclavement de ces quartiers et à l’éducation pour les plus jeunes résidents.
Derrière le débat sur le cannabis, résident de nombreuses sous-thématiques : l’usage économique du chanvre, l’usage thérapeutique du cannabis ou encore la consommation différenciée entre le CBD et le THC. La légalisation du cannabis invite à questionner notre société au-delà des seuls enjeux sécuritaires ou sanitaires. Des réflexions intersectionnelles paraissent nécessaires ; sur les enjeux écologiques, agricoles, sur la place des drogues dans la société par exemple. Les modèles de prévention et de prise en charge des addictions devraient être reconsidérés. Il serait également pertinent d’anticiper l’impact que la légalisation du cannabis aurait sur les classes populaires.
Si elle n’est pas accompagnée d’une politique publique multi-sectorielle, en termes d’aide publique, de lutte contre les discriminations ou d’éducation, la légalisation de cette drogue pourrait provoquer un regain de tension sociale et ne pas produire les effets escomptés. Mener le combat sur l’ensemble des variables en lien avec la consommation de cannabis constitue une réelle opportunité pour la France d’en finir avec une politique répressive inefficace et tendre vers une politique sanitaire efficace.
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Réseaux sociaux :
Bay N. [@Nicolasbay] 20/06/2019. Le #cannabis c’est pas seulement quelques bobos qui fument un joint le samedi soir et votent #Macron le dimanche. Twitter. https://twitter.com/NicolasBay_/status/1141774291425484801
Communiqué de presse de Nicolas Bay. La consommation de cannabis explose : le Front National ne veut pas d’une jeunesse camée ! :
Europe 1. 2017. Gérard Collomb sur le cannabis : « il y aura une amende forfaitaire qui n’exclura pas les poursuites »: https://www.dailymotion.com/video/x6dnz96
France Inter. 2016. Emmanuel Macron : « Cannabis : je crois que la légalisation a une forme d’efficacité »: https://www.youtube.com/watch?v=p-4TiULPcPQ
France Info. 11/06/2018. Cannabis : Olivier Faure se dit « favorable au moins à ce que le débat puisse avoir lieu”. Dailymotion: https://www.dailymotion.com/video/x6ll5mb
Jean-Luc Mélenchon 2015. LÉGALISATION DU CANNABIS : POUR OU CONTRE ? Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=dAlp7hic4Gw&feature=emb_rel_pause
Public Sénat [@publicsenat] 19/04/2021 .@IanBrossat « Au sujet de la #dépénalisation du cannabis, on a besoin d’un débat sérieux, informé, guidé par le pragmatisme. On ne mène pas une politique publique avec des symboles. » Twitter : https://pro.publicsenat.fr/actualites/ian-brossat-la-dit-dans-bonjour-chez-vous-sur-public-senat-8b50-02e48.html
Vaguebleumarine. 2012. Marine LE PEN Tout sauf la dépénalisation de la drogue. Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=2OLXN9ka6Xo
Webographie :
Communiqué de presse Nicolas Bay du 22/04/2015, consulté le 30/07/2020 : https://rassemblementnational.fr/communiques/la-consommation-de-cannabis-explose-le-front-national-ne-veut-pas-dune-jeunesse-camee/
communiqué de presse de M. Maréchal Le Pen du 12/10/2012, consulté le 30/07/2020 : https://rassemblementnational.fr/communiques/legalisation-du-cannabis-marion-marechal-le-pen-rappelle-a-vincent-peillon-que-le-cannabis-nest-plus-une-drogue-douce/
Communiqué de Presse de David Racheline du 05/02/2015, consulté le 30/07/2020 : https://rassemblementnational.fr/communiques/non-a-la-depenalisation-du-cannabis/
Gouvernement français, Cannabidiol (CBD) le point sur la législation. 24/11/2020 : https://www.drogues.gouv.fr/actualites/cannabidiol-cbd-point-legislation
Institut National de l’Audiovisuel (INA). 30/04/2007. Les propos de Nicolas Sarkozy sur mai 68 : https://www.ina.fr/video/3339757001014/
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République française. 24/11/2020. Cannabidiol (CBD) le point sur la législation https://www.drogues.gouv.fr/actualites/cannabidiol-cbd-point-legislation
Entretien avec Romain Chaumontet, responsable du pôle digital de High Society. Entretien réalisé le 27/09/2021