Groupe Socialiste Universitaire


Economique et social, Le GSU

Le positionnement des partis politiques français sur la légalisation du cannabis

Posté le 2 juin 2022 par Damien Picot

II. Les partis politiques de droite et le cannabis : un positionnement unanime

  1. Une opposition de longue date

Il est possible de comprendre l’opposition entre la droite et la légalisation du cannabis à travers des événements plus récents, ceux de mai 68. Charles de Gaulle, alors Président de la République depuis 10 ans, essuyait des critiques de plus en plus fortes à son encontre, jusqu’à l’émergence des grandes mobilisations en mai 1968. Étudiants, ouvriers, employés, toutes les classes de la population se sont rejoints dans cette manifestation dénonçant la rigidité de la société française de l’époque et revendiquant des réformes sociales. Ce mouvement fut en partie récupéré par des partis de gauche. C’est ce même mouvement que l’on a associé à la consommation de cannabis, qui à l’image de Woodstock aux États-Unis, montre le cannabis comme un élément de contre-culture, comme une critique populaire de la société capitaliste ; associé à l’affranchissement des règles, telle l’interdiction du cannabis ou bien d’autres pour tendre vers un mode de vie alternatif, en communauté.

Cette mobilisation est à l’origine de la démission de Charles de Gaulle de la présidence de la République, un an plus tard, après sa défaite aux élections législatives. La droite française se revendique toujours comme issue des idées du général de Gaulle. Le cannabis était aussi accusé d’avoir poussé les jeunes à construire des barricades. Il est donc logique que la droite ait des rancœurs envers ce mouvement, comme le démontre Nicolas Sarkozy, élu Président en 2007. Celui-ci eut des mots très durs envers le mouvement durant la campagne attestant que Mai 68 a « introduit le cynisme dans la société et dans la politique », « abaissé le niveau moral de la politique » et qu’il voulait « tourner la page de Mai 68 une bonne fois pour toutes » , se mettant dans l’opposition à ce mouvement symbolisant selon lui le laxisme de la société et l’affranchissement des règles. La pénalisation de la consommation de cannabis était ainsi une opportunité aisée de réaffirmer l’autorité de l’État. L’opposition au mouvement de mai 68 se traduit donc par une opposition à la légalisation du cannabis, l’un de ces symboles.

  1. Du maintien de l’interdiction au renforcement de la répression:

    Du centre à l’extrême droite, en passant par la droite traditionnelle, les points de vue des partis politiques dits de droite sont relativement homogènes. Certaines personnalités de droite modérée, comme Alain Juppé, proposent la dépénalisation de la substance. Cela consiste à éliminer la sanction pénale la plus répressive en cas de consommation ou possession de cannabis. Il n’y aurait donc plus de peine d’emprisonnement, actuellement peu appliquée. Cependant, il sera toujours possible de sanctionner via des amendes. D’autres, à l’instar de Nicolas Sarkozy, sont en faveur de la pénalisation ; cela équivaut à des poursuites pénales suite à un délit, comprenant des peines jusqu’à 1 an de prison et des amendes d’au moins 3 750 euros mais aussi des travaux d’intérêt général. Cependant, aucun parti  et aucun représentant  ne se positionne en faveur de sa légalisation.

Figure 6 : Modalités législatives et réglementaires possibles du contrôle du cannabis.

Sources: Ben Lakhdar, Christian. « L’inéluctable légalisation du cannabis en France ? Une approche néo-institutionnelle », Revue d’économie politique, vol. 128, no. 6, 2018, pp. 1101-1122

2.1 La République En Marche

    La République En Marche (LREM) est un parti politique créé en 2016 par Emmanuel Macron. Cette formation politique de centre droit est devenue le parti majoritaire après l’élection de son fondateur aux présidentielles de 2017 et possède la majorité à l’Assemblée nationale. Ce parti  qui regroupe différentes parties de la droite, du centre et de la gauche se fonde sur l’idée que le clivage entre la gauche et la droite n’existe plus. Son positionnement sur le cannabis est ambigu. Sous l’impulsion des députés LREM et des partis de gauche, l’Assemblée nationale a voté le 16 octobre 2019 l’expérimentation pendant deux ans du cannabis à usage thérapeutique auprès de 3000 patients. Cette proposition fut soutenue par des députés allant des communistes à la droite traditionnelle.

Le positionnement du Président est très ambigu. En effet dans son livre Révolution, le candidat Emmanuel Macron affirme que «  la légalisation du cannabis a une forme d’efficacité », notamment en termes « de sécurité, de lien avec la délinquance dans des quartiers difficiles, de financement de réseaux occulte […] d’incapacité de la réponse pénale ». 

Au fil de la campagne, celui-ci s’est rétracté en proposant de passer du délit à la contravention en prônant une « dépénalisation de la détention en petite quantité du cannabis afin de désengorger les tribunaux » via une amende de 100 euros payables immédiatement. Enfin, en février 2017, dans un entretien au Figaro, un journal marqué à droite, il déclarait : « Je ne crois pas à la dépénalisation des « petites doses » ni aux peines symboliques. Cela ne change rien ». La réforme engagée par le gouvernement en 2018 au sujet de la mise en place d’une amende forfaitaire en plus de la persistance des poursuites pénales pour la consommation de drogue, enterre donc l’idée de la dépénalisation. Ainsi, le ministre de l’Intérieur de l’époque Gérard Collomb préserve le statu quo, en affirmant que « il n’y aura pas de dépénalisation » donc ni de légalisation du cannabis.

Le but assumé de ce changement est de désengorger les tribunaux des procédures pénales au profit d’une sanction immédiate. Cela simplifie également le travail de la police. On estime « que plus d’un million d’heures de travail serait aujourd’hui dédié par les policiers et les militaires de la gendarmerie aux procédures diligentées contre les usagers » liés au cannabis. Cette mesure est une alternative face à la faible application des sanctions pour la consommation de drogue. En somme, cela participerait à la diminution du coût social de la drogue en France. Celui-ci est calculé en prenant en compte les dépenses publiques, le coût des pathologies associées et le coût externe en matière de vies perdues ou de perte de productivité. En France, 56% du coût social est lié à la répression. Cette mesure pourrait faire baisser ce coût grâce à la simplification de la procédure judiciaire. 

L’amende forfaitaire s’inscrit comme la principale mesure du Président Emmanuel Macron dans la lutte contre la consommation de drogue. Cependant, cette stratégie contient de nombreux défauts. Elle possède une importante dimension symbolique en lien avec la mise en scène d’une lutte visible contre la drogue dans les médias. Cette amende vise les consommateurs et n’a aucun effet sur les trafiquants. L’amende forfaitaire serait une traduction de la politique de « tolérance zéro pour la délinquance du quotidien » portée par le gouvernement . Le gouvernement assimile de manière exclusive la plante à la délinquance sans aucune prise en compte de la dimension sanitaire. Il n’affiche aucune volonté de mettre en place une réelle politique publique sur la consommation de cannabis. Le Mouvement démocrate (MODEM), allié de La République en Marche, partage ce point de vue. Une politique de lutte contre la drogue doit traiter toutes les dimensions des problèmes liés à celle-ci. En comparaison, certains pays, comme la Suisse, optent pour une stratégie plus globale de lutte contre la consommation de drogue. Celle-ci s’appuie sur la prévention, la réduction des risques, la thérapie et la répression en dernier recours. C’est la théorie des quatre piliers.

Emmanuel Macron a tenu des propos contradictoires concernant le cannabis. Dans son livre, il se positionne comme un progressiste et adopte donc une position plus libérale. Alors que dans l’entretien accordé au journal Le Figaro, il s’adresse à un électorat conservateur, lui donnant des garanties dans le cas où il remporte l’élection. En effet, il tentait alors de récupérer l’électorat de droite modérée, majoritairement contre la dépénalisation du cannabis. Cela se produit alors que François Fillon, le candidat du parti Les Républicains se positionnait sur une ligne trop radicale pour cet électorat modéré. Néanmoins, une partie de l’électorat ainsi que certaines figures de ce parti comme Alain Juppé et Nathalie Kosciusko-Morizet, se sont positionnés pour une dépénalisation. 

2.2 Les Républicains

    Le parti Les Républicains est le principal parti de droite en France, ses valeurs sont conservatrices sur le plan sociétal et libérales sur le plan économique. Avec le Parti socialiste, ils formaient les deux partis majoritaires en France et composaient l’alternance à la tête du pays jusqu’en 2017. Actuellement, le groupe LR à l’Assemblée nationale est le premier groupe d’opposition avec 104 députés, et possède la majorité au Sénat, confirmée par les élections sénatoriales du 27 Septembre 2020. Ce parti est à l’origine de la première campagne publicitaire en 2005 de sensibilisation des effets de la consommation de cannabis et du danger accru lorsque l’on conduit une voiture, principalement destinée aux jeunes. Ses représentants sont majoritairement contre la dépénalisation et prônent souvent un durcissement de la loi en vigueur. Deux des quatre derniers présidents de la République sont issus de ce parti, Jacques Chirac de 1995 à 2007 et Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012. En 2003, le Premier ministre, le ministre de la Santé et Nicolas Sarkozy qui était ministre de l’Intérieur, désiraient réformer la loi de 1970 sur l’interdiction du cannabis en mettant en place un système de contraventions avec une graduation des peines. Finalement, cette initiative sera abandonnée et un plan de lutte contre les drogues illicites est mis en place, qui place le cannabis, le tabac, l’alcool et la cocaïne au même niveau de dangerosité.

Ce parti compte peu de partisans de la dépénalisation du cannabis. Lors des primaires de la droite et du Centre en octobre 2016, qui avait pour objectif de désigner le candidat de la droite pour l’élection présidentielle de 2017, Nathalie Kosciusko-Morizet se positionne plutôt pour la dépénalisation de la substance. Selon elle, la situation actuelle est peu cohérente, car elle préconise des peines sévères qui ne sont jamais appliquées. Une contraventionnalisation serait plus efficace, plus rapide et permettrait de désengorger les tribunaux pour des affaires de consommation ou de possession de cannabis. Cependant, le maintien de l’interdiction avec la menace d’une amende permettrait de garder l’idée que le cannabis est dangereux pour la santé. Le légaliser serait envoyer un mauvais message à la jeunesse, affirme la candidate pour justifier sa position en défaveur de la légalisation. 

Alain Juppé, également candidat à la primaire de la droite, et figure de l’aile modérée du parti, se positionne aussi pour une contraventionnalisation payable immédiatement accompagnée d’une information aux familles indiquant que la personne a consommé ou possédait du cannabis. De plus, ce dernier est maire de la ville de Bordeaux, qui accueille une « salle de consommation à moindre risque ». Les positions de ces deux candidats se rapprochent de celle d’Emmanuel Macron, dont les prises de positions idéologiques, autant d’ordre sociétal qu’économique, sont comparables. Cela peut s’apparenter à une stratégie pour plaire à cet électorat de droite, qui trouve les positions des autres candidats trop conservateurs, spécialement sur les questions de société. 

Jean-François Copé, candidat à la primaire de la droite, à l’occasion d’un débat sur la laïcité et la place de la religion musulmane en France, fait un lien entre la délinquance, la burqa et dépénalisation du cannabis. Ils représenteraient tous un danger pour la société. Le danger à propos du cannabis proviendrait de la délinquance et de l’insécurité liées aux trafics, financés par l’argent de la consommation du cannabis. En faisant un lien entre la burqa et le cannabis, M. Copé stigmatise la population de confession musulmane en prétendant qu’il existerait une corrélation entre les deux. Faire passer la consommation de cannabis du délit à la simple contravention augmenterait la consommation et serait perçu comme du laxisme, comme le prétendu laxisme sur l’interdiction du voile et des propos des musulmans intégristes. Dans un entretien pour le Figaro, J.F. Copé indique que cette interdiction relève de la santé publique « physique, psychologique, psychique », spécialement pour celle des jeunes. Cependant, il est opposé aux salles de shoot et ne propose aucune politique de santé ou de prévention,

François Fillon, vainqueur de la primaire de la droite et du centre en 2016 ayant recueilli 20% des suffrages durant l’élection présidentielle de 2017 rejoint ses homologues dans leur analyse dans le fait que la légalisation du cannabis augmenterait sa consommation. Il dénonce également le sujet de la légalisation, qui manque de cohérence. À titre de comparaison, la politique publique liée à la lutte contre la consommation de tabac est constituée d’éléments de prévention, notamment à la télé et sur les paquets de cigarettes. Les taxes sur le tabac augmentent régulièrement. En 2016, les taxes constituent 81% du prix du tabac . Selon lui, la légalisation du cannabis irait dans le sens opposé de cette politique publique, car elle encouragerait sa consommation. Celui-ci met en avant le lien pertinent de la proximité entre ces deux drogues, car la manière la plus répandue de consommer du cannabis est de le fumer avec du tabac. Il affirme également que la légalisation dans des pays comme la Hollande est un échec et qu’il est désormais impossible de faire marche arrière. Bruno le Maire, ancien candidat à la primaire de la droite et du centre, et actuel ministre de l’Économie du gouvernement d’Emmanuel Macron prenait position en 2016 pour le maintien de l’interdiction. Pour lui, une lutte efficace contre une drogue nocive n’est possible que par son interdiction totale.

La seule dimension juridique est prise en compte ici ; l’idée principale est de penser que l’interdiction de la consommation, accompagnée d’une répression policière forme une politique publique. Il n’est pas question d’une campagne de prévention, ni d’accompagnement des consommateurs. Cette vision néglige le fait que la consommation en France est la plus élevée d’Europe alors que sa législation est la plus répressive ; une simple interdiction n’est pas pertinente pour diminuer la consommation d’une drogue. De plus, Pierre Kopp dans Consommation de drogue et efficacité des politiques publiques avance l’idée que la politique répressive aurait pour conséquence d’augmenter le prix du cannabis, ce qui diminue les gains des trafiquants, qu’ils compenseraient par des vols et donc une plus forte criminalité ; sans pour autant que la consommation diminue. L’augmentation de la criminalité entraîne donc des réponses pénales plus fortes et provoque un cercle vicieux dans la criminalisation de la drogue. 

Plusieurs arguments sont utilisés par l’ensemble de ces personnalités politiques. Notamment l’argument de la défaillance de la réponse pénale. Il affirme que les peines ne sont pas adaptées et très peu respectées, sans pour autant dire qu’elles sont surdimensionnées. L’idée est de rationaliser le temps et les effectifs de police en supprimant cette tâche pour les policiers. Pourtant, on constate que depuis 2001, les affaires classées sans suite ont été divisées par 4 et que le nombre de poursuites a augmenté de 6 points de pourcentage. Les peines alternatives, à savoir les rappels à la loi, les injonctions thérapeutiques et les orientations vers les structures sanitaires, sociales ou professionnelles ont augmenté de 12 points de pourcentage. Donc la réponse pénale s’est durcie entre 2001 et 2014, ce qui va à l’encontre des propos des différents représentants de LR.

Figure 7 : évolution de la réponse pénale des parquets aux affaires d’usage de stupéfiants, en région parisienne (2001-2014).


Les candidats affirment également que le trafic ne s’arrêtera pas si la légalisation aboutit. Le trafic se concentrerait sur la vente de produits plus dangereux comme la cocaïne ou l’ecstasy ; de l’autre, le trafic parallèle persisterait. Le marché du tabac est pris comme exemple : malgré le fait que les cigarettes soient légales, le trafic de cigarette reste un problème persistant. Cependant, cela est surtout lié au prix plus élevé du paquet en France en comparaison à la Belgique ou à l’Espagne. Ce dernier argument est une réponse directe à l’un des arguments utilisés par les partisans de la légalisation, qui assurent que la légalisation du cannabis permettrait d’assécher les trafics illégaux. Légaliser serait envoyer un message de tolérance envers la consommation de cette drogue et encouragerait donc son usage. Deuxièmement, cela serait vu comme une preuve de laxisme de la part de l’État. Un reproche souvent utilisé face aux propositions de la gauche quand il est évoqué d’assouplir des règles juridiques. Il serait plus efficace de durcir les peines, non pas pour leur efficacité à mettre fin au trafic, mais pour le message dissuasif qu’il envoie. La légalisation ou la dépénalisation seraient perçues par l’électorat conservateur comme un manque de cohérence. Enfin, la légalisation confirmerait l’idée que la substance n’est pas nocive pour la santé. Il est possible de contraster ces arguments avec les leçons tirées par Pierre Kopp sur la prohibition aux États-Unis. Il y explique que l’interdiction a multiplié par quatre le prix de l’alcool sans baisser significativement sa consommation. Ainsi, les revenus liés à cette activité sont non seulement amplifiés par l’interdiction, mais ne tombent plus dans l’économie légale, mais souterraine. L’argument selon lequel l’interdiction totale est un bon moyen de faire chuter la consommation est donc faux et néglige le fait qu’elle participe au financement de groupes clandestins.

Nicolas Sarkozy, président de la République de 2007 à 2012 a changé sa position par rapport au cannabis. Lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, il était en faveur de la contraventionnalisation de la consommation du cannabis avec la création d’un nouveau type de contravention de 300 euros pour l’usage de stupéfiants. Cependant, sa position a changé avec son accession à la présidence et la nécessité de conquérir l’électorat conservateur. Il est actuellement pour une interdiction totale. De plus, l’interdiction et la lutte contre les trafics illégaux permettent de mettre en scène l’État en action contre la criminalité avec des saisies record, faisant la une des journaux ou le démantèlement des réseaux clandestins afin de montrer des résultats concrets de l’action étatique sur le sujet.

On voit donc une radicalisation de la position du parti sur le thème du cannabis. Alors que le gouvernement composé par Les Républicains et donc la majorité du parti étaient favorables à sa dépénalisation en 2003, cette position est dorénavant minoritaire chez les Républicains. Elle s’explique par l’arrivée d’autres thèmes notamment l’insécurité, la délinquance et l’assimilation du cannabis à la religion musulmane, ce qui lui donne un aspect largement connoté et négatif qui amène à une réponse plus ferme sur son interdiction. Cependant, ceux-ci négligent complètement l’idée que la prévention et la légalisation permettent de contrôler à la fois le prix, la qualité et de réguler de manière plus efficace l’accès des jeunes à la drogue. Il n’est pas non plus question d’une politique d’accompagnement des consommateurs de cannabis ou d’autres drogues, comme le montre leur opposition aux « salles de shoot ».

Le positionnement se fait certes en fonction de sa dangerosité en matière de santé, mais le débat se fait de plus en plus avec des arguments dont le lien avec la drogue est plus difficile à comprendre. Le meilleur exemple est celui du raccourci entre la laïcité et la délinquance, qui serait grandement causé par le trafic de cannabis et sa consommation. La dimension symbolique d’un changement de légalisation est largement prise en compte. La dépénalisation serait faire preuve de laxisme et de tolérance envers les consommateurs et les trafiquants et donc de « laisser-faire ». Ce dernier argument est en lien direct avec la dimension électorale, comme le montre l’évolution de Nicolas Sarkozy sur le sujet. Il est nécessaire pour les personnalités politiques de se positionner en fonction des attentes des électeurs, particulièrement de sa famille politique. Celle-ci exige de la fermeté en matière de délinquance, des actions spectaculaires en termes de sécurité – comme des images de saisies ou des chiffres d’arrestation – et la conservation du modèle de société en opposition avec des avancées sociales telles que l’assouplissement de la politique de lutte contre les drogues. Ainsi, l’opposition à la légalisation ou à la dépénalisation du cannabis apparaît comme un signe envoyé à l’électorat traditionnel de droite, allant de La République En Marche au Rassemblement National. Le débat est peu abordé à droite, car il existe un consensus sur la réponse à apporter ; seuls les arguments utilisés varient. Ce sujet est souvent évité en prétextant qu’il y a des thèmes plus importants comme les sujets économiques ou de sécurité. De plus, ce débat serait facteur de division dans la société, comme le montre le champ lexical employé lors des débats sur le sujet, tels les mots « dramatiques » « la guerre », « explosion du trafic » « absence de contrôle » « dégénérer », ou les mots « insécurité » « délinquance ».

Un argument également utilisé par l’ensemble des opposants à la légalisation est d’utiliser la thèse de « l’escalade » qui consiste à dire que le cannabis incite ses consommateurs à consommer par la suite des drogues plus fortes comme la cocaïne ou l’héroïne en plus de la dangerosité de la première, elle faciliterait donc l’exposition à des drogues plus dangereuses pour la santé. Cependant, aucune étude scientifique n’a montré de causalité entre la consommation de cannabis et des autres drogues plus dangereuses. Il y a en effet une corrélation, mais pas de rapport de causalité ; erreur très répandue comme l’explique Patrick Peretti-Watel dans son livre Comment devient-on fumeur de cannabis ?. On peut par exemple dire que 100% des vainqueurs au loto ont déjà joué, mais beaucoup de joueurs n’ont jamais gagné. Au contraire, la légalisation permettrait d’acheter dans la légalité des produits dont la qualité serait contrôlée par l’État dans des magasins spécialisés qui ne vendent que du cannabis et ses dérivés. Cela aurait pour effet de segmenter le marché entre commerce illégal et légal, et diminuerait la probabilité de se voir proposer d’autres drogues plus dangereuses comme la cocaïne. Comme l’explique le rapport du Conseil d’analyse économique, «  Il est souhaitable que les officines qui commercialisent du cannabis soient dédiées à cette activité, à l’exclusion de toute autre, et ce, afin de faciliter la surveillance de ces établissements. Il est plus facile de contrôler le respect de l’interdit de vente aux mineurs si ces derniers n’ont aucune raison de rentrer dans ces officines » . Cet argument déconstruit la thèse de l’escalade des drogues, déjà évoquée, ainsi que l’addiction au cannabis. En effet, l’addiction est liée aux notions d’environnement et d’opportunité favorable à l’exposition à des drogues. Selon Rozaire, Charles et al, l’addiction est la rencontre entre un produit, un individu et un environnement social. Ainsi, le passage d’une drogue à une autre dépend des fréquentations que l’on entretient. Le fait d’acheter sa drogue dans un magasin dédié couperait les liens sociaux avec des dealers pouvant proposer d’autres drogues plus nocives.  Au Mexique, le gouvernement du président de gauche Andrés Manuel Lopez Obrador s’appuie sur cet argument pour légaliser le cannabis afin de casser le réseau criminel, particulièrement puissant dans ce pays. Il est à noter que la Suède dispose d’une entreprise publique d’état ayant le monopole de la vente d’alcool. Ce système a déjà été mis en place et a prouvé son efficacité dans l’interdiction de la vente de boissons alcoolisées aux mineurs.

 Un seul élu du Parti Les Républicains se prononce ouvertement pour la légalisation du cannabis. Arnaud Robinet, le maire de Reims et ancien pharmacologue, faisant le constat de l’échec de la politique de la répression élargit le débat à la simple question de la sécurité. Il avance notamment l’argument sanitaire pour justifier la légalisation du cannabis, ce qui est inédit pour une personnalité de droite, tout en s’appuyant sur l’exemple des pays ayant déjà légalisé le produit.

2.3 Le Rassemblement National

    Le Rassemblement National (RN), est un parti d’extrême droite fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen aux idées nationalistes, attaché aux valeurs conservatrices et identitaires. Selon eux, les intérêts français devraient primer sur les intérêts européens et internationaux. Il est actuellement présidé par Marine le Pen, candidate à l’élection Présidentielle en 2017 qui a perdu au second tour face à Emmanuel Macron. 

La décision d’expérimenter le cannabis à usage thérapeutique par les députés de la majorité a été qualifiée « d’hypocrite », avançant l’idée que la dépénalisation amène directement à sa légalisation, ce qui serait une « dérive très inquiétante ». Ils dénoncent l’idée même du débat de la légalisation comme une « fausse bonne idée [qui] tourne depuis maintenant 60 ans ». On constate que l’argumentaire du Rassemblement National insinue que la volonté de légaliser le cannabis provient du mouvement de mai 68, porté par des valeurs contraires à celles du parti. Le RN utilise le même argumentaire que les partis de droite sur ce point. Le parti est également opposé aux « salles de shoot ».

Leurs arguments s’appuient sur les risques pour la santé et des morts sur les routes, mais surtout sur la dimension criminelle. Ils avancent l’idée que les trafiquants, une fois le cannabis légalisé, se tourneront vers des drogues plus dangereuses. Ils dénoncent une dérive idéologique menée par la volonté « d’acheter la paix civile » en laissant le cannabis se développer dans les quartiers. En cas de dépénalisation, les trafics de drogues rapporteraient des sommes considérables aux populations, souvent démunies d’opportunités économiques. Comme l’explique V. Ruggiero dans Perceptions des problèmes de drogue dans un quartier déshérité de Londres la population des quartiers subit un chômage plus élevé et peuvent trouver un complément de revenu grâce au commerce de drogue ainsi que la sociabilité qu’apporte un travail. Ainsi le Rassemblement National présente indirectement le marché du cannabis comme une opportunité pour ces quartiers et que sans ce commerce illégal et ses bénéfices, la situation serait intenable et conduirait à des contestations sociales et à des émeutes de grande ampleur. 

Selon le RN, la légalisation reviendrait à « nous enfoncer toujours plus loin dans la pente de la délinquance » à cause de l’inaction étatique. La volonté de dépénaliser le cannabis ou de le légaliser « envoie de surcroît un signal désastreux quant à l’autorité de l’Etat : incapable de mettre fin aux trafics en tous genres qui gangrènent les banlieues françaises ». D. Rachline, Sénateur du Var, va jusqu’à accuser l’État de devenir « partenaire commercial des groupes criminels » L’une des causes de cette passivité des autorités serait l’absence de contrôle aux frontières françaises liées à l’espace Schengen qui laisserait entrer plus facilement la drogue sur le territoire, notamment depuis les Pays-Bas et l’Espagne. Cette accusation est récurrente dans l’argumentaire de ce parti ; autant pour stimuler le sentiment d’insécurité, que pour justifier des mesures économiques, culturelles migratoires ou ici de santé publique et de lutte contre la criminalité. La fermeture des frontières constitue l’une de ses propositions phares. Cet argument est faux, car si une partie des quantités de drogues proviennent de l’intérieur de l’Union européenne, des Pays-Bas par exemple ; une grande quantité arrive du Maroc ou d’Afghanistan, des pays en dehors de l’espace de libre-échange européen et donc déjà soumis au contrôle aux frontières. Ils proposent en réaction des peines plus lourdes contre les trafiquants pour endiguer les réseaux criminels. Ils proposent ainsi de « rétablir l’ordre dans les quartiers où pullulent ces trafics de drogues », ce qui, pour les figures du parti, désigne implicitement les quartiers où le pourcentage d’habitants d’origine étrangère est élevé. Ils proposent aussi des mesures de dissuasion dans le milieu éducatif, campagnes de sensibilisation. Plus généralement, le RN porte l’idée de mettre en place la « répression de toute promotion de la consommation de drogues ». Cela inclut l’usage économique ou thérapeutique du chanvre alors que leurs arguments portent sur la dangerosité de la plante, non sur ses débouchés pour l’économie ou ses vertus curatives. En somme, pour le Rassemblement National, la légalisation du cannabis serait le symbole du laxisme de l’État.

L’argument de santé publique, notamment de la dépendance au cannabis, est également utilisé par le RN. Pourtant, ce parti se positionne contre l’augmentation du prix du tabac. Celui-ci, plus nocif, coûte 50 milliards d’euros par an à la société en termes de coût social. Ce parti se positionne aussi contre l’augmentation des taxes sur l’alcool alors que celui-ci entraîne la dépendance de 5 millions de Français et le décès de 23 000 personnes chaque année. En matière de dépendance, selon l’INSERM, le cannabis est deux fois moins addictif que la cocaïne et trois fois moins que le tabac. Pour le cannabis, le coût social est estimé à 1 milliard d’euros, soit 10 fois inférieur à celui de l’alcool et 47 fois inférieur à celui du tabac. On remarque que la dimension criminelle est privilégiée quand ils évoquent le cannabis, mais que c’est la dimension de santé publique qui est mise en avant lors des débats sur le tabac et l’alcool. De plus, il est nécessaire d’observer l’environnement sanitaire des consommateurs de cannabis. l’OFDT indique que les usagers réguliers de cannabis consomment plus de tabac et d’alcool que la population générale du même âge ; c’est particulièrement vrai pour le tabac, en raison de la combinaison fréquente des deux substances dans les modalités d’usage du cannabis. Il est donc nécessaire d’identifier les problèmes de santé causés par le cannabis, le tabac et l’alcool, de manière isolée, car les consommateurs de cannabis consomment aussi du tabac et de l’alcool, au même titre que le reste de la population.

Figure 8 : Evolution des niveaux d’usage de tabac, alcool et cannabis à 17 ans en France métropolitaine, 2000-2017, en %.


L’hostilité face à la légalisation du cannabis est une position fréquente chez la classe politique conservatrice, opposée à de nombreuses avancées sociales telles que le mariage des personnes du même sexe ou la procréation médicalement assistée. Toutes ces avancées sont accusées de mettre en danger les valeurs chrétiennes sur lesquelles s’est construite la société traditionnelle française. Ainsi, le débat ne se fait pas sur la légalisation, car toute la classe politique de droite y est opposée pour les mêmes raisons. Le débat tourne autour des sujets de moralité et de santé publique, car son accès serait facilité, et inciterait à la consommation de drogues plus fortes comme la cocaïne. Le débat se situe plus sur les enjeux de la dépénalisation. Il se situe sur le compromis entre d’un côté, l’efficacité de la réponse judiciaire et pénale afin de décharger les services de police et de justice des cas récurrents comme celui de la consommation ou possession de cannabis, accompagné d’une faible application des peines, et d’autres parts le maintien d’une législation dissuasive entre le renforcement des peines ou leur simplification via une amende forfaitaire. Le sujet de la légalisation du cannabis est un thème encore très clivant qui résiste à l’effacement du clivage entre la gauche et la droite, notamment après l’élection d’Emmanuel Macron et son idée du dépassement de ce clivage. Ce thème fut abordé lors des débats de l’élection présidentielle, mais aussi lors des primaires de la droite et du centre, afin de montrer sa position conservatrice, mais aussi lors de la Primaire de la gauche en janvier 2017. Ce thème est encore mobilisateur et marque une réelle différence dans les projets de société de la droite et de la gauche.

II.I La gauche et le cannabis, sur la voie d’un positionnement consensuel

1. Une histoire de lutte

La gauche française dans son histoire et ses engagements a été amenée naturellement à défendre la légalisation du cannabis. Premièrement en raison des réformes sociales majeures dont elle est à l’origine comme la séparation de l’Église et de l’État, l’abolition de la peine de mort, le mariage homosexuel, le soutien aux gouvernements ayant proposé l’avortement ou la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels. Ces avancées firent face à une forte opposition notamment de la part de la droite, comme récemment avec les manifestations contre la légalisation du mariage homosexuel.

La gauche a directement soutenu ce mouvement. La contestation de Mai 68 commença d’ailleurs par les milieux universitaires, rejoints par les ouvriers et les travailleurs prolétaires, fortement marqués par l’altermondialisme. Cette contestation populaire contre les inégalités dans la société fut soutenue par la gauche, notamment le Parti socialiste et le Parti communiste, mais particulièrement les syndicats de gauche, ayant appuyé auprès du gouvernement les revendications des grévistes qui ont abouti aux « accords de Grenelle » qui voit entre autres l’augmentation de 35% du salaire minimum.

De plus, François Mitterrand, le fondateur du Parti socialiste a essayé de s’approprier le mouvement en se positionnant à sa tête, ce qui fut contesté par les manifestants et contraint d’abandonner cette stratégie. En 1981, il a adopté un slogan faisant allusion à Mai 68 : « Changer la vie » accompagné d’un programme anticapitaliste et très radical. Durant les dernières élections, de nombreux candidats de gauche se réclament de « l’héritage de Mai 68 » portant un message altermondialiste. Ces partis se reconnaissaient dans la dimension contestataire et révolutionnaire de ce mouvement, en accord avec les grands événements qui ont conduit à de grandes avancées sociales à l’instar du Front populaire en juin 1936 et le Programme du Conseil National de la Résistance. Le mouvement de Mai 68, contestataire et contre l’organisation de la société de l’époque était conduit par des jeunes qui utilisaient le cannabis comme symbole de défiance envers les autorités. Ainsi, la proximité entre Mai 68, l’altermondialisme et la gauche a amené les partis qui se reconnaissent dans le mouvement à adopter une réflexion sur le cannabis.

2 Les partis de gauche divergent sur la question de la légalisation

Contrairement à la droite, les partis de gauche ne sont pas unanimes sur la position à adopter face au cannabis. Si une majorité est pour la libéralisation du cannabis, majoritairement pour la légalisation, certains veulent seulement la dépénalisation, voire le maintien de son interdiction. Ce débat divise jusqu’à l’idéologie des partis, en montrant les divisions internes de certains. La légalisation revient à changer les législations traitant du cannabis, héritée le plus souvent des conventions internationales. Elle vise à éliminer toutes les sanctions, aussi bien les amendes que les peines de prison, pour la possession d’une quantité d’un produit et ainsi reconnaître la liberté des individus à consommer le cannabis autant pour un usage médicinal que récréatif. La légalisation peut néanmoins impliquer un contrôle et un encadrement par l’État du marché du cannabis. L’intérêt de la légalisation est que la drogue revient dans la compétence de l’État et du marché licite. Ainsi, son prix, sa quantité sur le marché et sa qualité sont soumis à des régulations. Il existe plusieurs types de légalisation, qui seront détaillés.

2.1 Génération.s:

    Le mouvement Génération.s est la formation politique de gauche ayant le plus réfléchi à la question du cannabis. Cette formation s’est créée en 2017 à l’issue d’une scission avec le Parti socialiste après l’élection présidentielle. Son dirigeant, Benoît Hamon, fut le vainqueur de la Primaire de la gauche qui eut lieu en janvier 2017 et représenta le PS et les écologistes à l’élection présidentielle. La scission est la conséquence de la division entre la branche la plus radicale du PS, à savoir les partisans de Génération s et le reste du parti. Benoît Hamon s’est beaucoup exprimé sur le sujet en 2017 parce qu’il s’inscrivait dans un projet de société plus large. Ses valeurs sont le progressisme social, l’intervention de l’État, la décroissance et l’altermondialisme. Sa proposition principale fut la création d’un revenu universel d’existence.

Le candidat dresse une critique de la politique du « tout répressif » qui ne parvient ni à réduire l’usage de la drogue ni à lutter efficacement contre le trafic illégal. Il affirme que le cannabis provoque des addictions graves qui nécessitent des politiques de santé publique conséquentes, requérant la mobilisation de tous les moyens financiers possibles. Selon un rapport de Terra Nova publié en 2014, le coût social du cannabis est de 919 millions d’euros par an, soit 0.06% du PIB français en 2013. « Son poids relatif est donc 40 fois moins important que celui de l’alcool (2,37 % du PIB) et 50 fois inférieur à celui du tabac (3,05 % du PIB en 2003). Ce coût comprend l’ensemble des dépenses faites par les autorités publiques en matière de soins de prévention et de répression. Ce dernier représente à lui seul 568 millions d’euros. D’un autre côté, le chiffre d’affaires annuel du marché du cannabis est compris entre une fourchette de 809 millions et 1.424 milliards d’euros, soit au maximum 0.14% du PIB annuel français. La taxation de ce marché, s’il venait à être légalisé, rapporterait des sommes considérables. Celles-ci seront détaillées ultérieurement.

Son argumentation se fonde sur l’idée que la politique en matière de drogue doit répondre à l’optimum social et à l’optimum gouvernemental. Cela signifie que les coûts de la politique publique doivent être inférieurs aux coûts sociaux en matière de perte dans l’économie, de santé publique ou de mort sur les routes. À l’heure actuelle, la répression coûte cher et ne porte pas ses fruits, car les coûts sociaux sont encore élevés. La proposition de Benoît Hamon est de légaliser le cannabis afin de transférer les sommes investies dans la répression du cannabis vers des politiques de prévention et de santé. 

Cependant, cette idée est erronée. La légalisation du cannabis n’entraîne aucunement la fin de la répression du marché noir ni la fin de ces trafics. Le CAE affirme que « sans des efforts substantiels de lutte contre les trafiquants, la légalisation se soldera par la coexistence de ventes légale et illégale du cannabis » . En effet, si les effectifs de police n’auraient plus à s’occuper des consommateurs, la lutte contre le trafic illégal de cannabis devra persister afin d’assécher le marché noir. Cependant, cette répression serait plus efficace car concentrée sur les seuls trafiquants. La baisse des dépenses liées à la répression ne se fera que sur le long terme, mais sur le court terme les moyens financiers dédiés à la répression devront être préservés. Car le simple fait de légaliser le cannabis ne fait pas disparaître le marché noir, c’est la privation du marché du cannabis pour les trafiquants couplée à l’intensification de la répression qui le permet. Financer les politiques de prévention par ce biais semble donc peu probable.

2.2 EELV

Europe Écologie Les Verts (EELV) est un parti politique créé en 2010 qui succède au parti Les Verts. Son Secrétaire Général est Julien Bayou. Leur projet de société se fonde sur la protection de l’environnement. S’ils ne comptent aucun député, ceux-ci ont réalisé le meilleur score de la gauche aux élections européennes en 2019 et ont confirmé leur lancée en gagnant avec l’appui de la gauche 6 mairies aux élections municipales de 2020.

Le positionnement des verts vis-à-vis du cannabis a été dès leur création en faveur de sa légalisation. En 2002, alors candidat du parti « Les Verts » Noël Mamère se positionnait déjà pour la légalisation totale de cette drogue. En 2014, les écologistes, alors dans la majorité du Président François Hollande, ont déposé une proposition de loi visant à légaliser le cannabis. Cependant, celle-ci ne fut pas adoptée. Yannick Jadot, principale figure du parti utilise comme le Parti socialiste l’argument de lutte contre les trafics, mais avance également l’argument de la mauvaise qualité du produit qui « bousille le cerveau » des jeunes et développe les pistes sur la régulation de la drogue notamment sur un monopole d’Etat pour la distribution du cannabis. Ce que peu de personnalités politiques font. L’Euro-député reprend les arguments de la tribune d’Esther Benbassa, sénatrice écologiste à l’origine de la proposition de loi de 2014. Elle met en avant les manques à gagner de l’Etat en termes d’emplois et de taxes que celui-ci pourrait créer grâce à la légalisation. « Il est temps de proposer, de façon très encadrée par l’Etat, la vente au détail aux personnes majeures et l’usage de plants de cannabis et de produits dérivés issus de cultures et de pratiques culturales contrôlées » . EELV est l’un des seuls partis politiques à développer la manière dont ils envisagent le modèle de légalisation du cannabis, même s’ils ne rentrent pas dans les détails. Yannick Jadot précise également qu’il préfère la légalisation du cannabis à la dépénalisation. Il justifie que «  Quand vous faites de la légalisation, vous contrôlez la production, vous contrôlez la vente. Avec la dépénalisation, vous laissez s’installer les trafics et vous n’avez pas de mesure de santé publique, notamment à l’attention des jeunes » . L’avantage est donc que l’Etat puisse encadrer la consommation, ce que la dépénalisation ne permet pas, en plus de ne pas lutter efficacement contre les trafics de drogue.

Le candidat déclaré à la primaire du parti écologiste affirme que la légalisation favorise le suivi de santé médical des consommateurs de cannabis. En effet, le seul fait que l’objet de l’addiction soit légal inciterait les personnes en ayant besoin à demander un suivi médical. D’un autre côté, la reconnaissance de cette drogue légale au même titre que l’alcool ou le tabac augmenterait et améliorerait l’offre de soin pour les consommateurs en faisant la demande. Ainsi, l’augmentation du nombre de personnes concernées par un suivi médical et l’amélioration de la qualité du suivi permettrait de réduire le risque que représente le cannabis pour la santé. Toujours selon Yannick Jadot, un monopole d’état permettrait un meilleur contrôle de la qualité du produit et limiterait la présence de produits nocifs ajoutés dans la drogue et diminuerait donc les risques sanitaires.

2.3 Le Parti socialiste 

    Le Parti socialiste fut créé en 1969 dans la continuité de la Section française de l’Internationale ouvrière par François Mitterrand, qui deviendra le premier président socialiste à accéder à la fonction de 1981 à 1995. Le second fut François Hollande en 2012. Après un quinquennat jugé décevant, le parti a perdu une grande partie de son prestige et de sa force après le départ successif de nombreux élus et militants vers La République En Marche et Génération.s. Ses valeurs sont progressistes sur le plan sociétal et social. La social-démocratie et plus récemment la social-écologie définissent la doctrine du parti. 

La position du PS sur la légalisation du cannabis est très ambiguë et a considérablement évolué durant les 50 dernières années. En 2001, Lionel Jospin, alors Premier ministre, se positionne contre la dépénalisation. Cependant, il affirme que la consommation d’alcool et de tabac sont tout aussi dangereux que celle du cannabis. Il plaide pour l’ouverture du débat, tandis que son gouvernement a réorienté les objectifs de la lutte contre les toxicomanes, incluant pour la première fois des ambitions de lutte contre la dépendance et alors que jusque-là, les politiques publiques ne prenaient pas en compte cet aspect de la toxicomanie. Son ancien ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, militait pour sa légalisation en invoquant une meilleure utilisation du temps des forces de police. Il a également dirigé un groupe de travail parlementaire en 2011 dont le sujet était la réflexion autour de la légalisation du cannabis. Le résultat prône la légalisation de la drogue et l’encadrement de la production. Il met également en avant le fait que l’on ne compte « que quelques milliers de consommateurs de drogue au moment du vote de la loi du 31 décembre 1970 » . Ainsi, la consommation de cannabis a explosé depuis 50 ans alors même que son usage était illégal. Le parti se divise sur ce sujet depuis des décennies et cela fut particulièrement visible lors du mandat de François Hollande.

Le débat sur le cannabis a largement divisé le parti, mais aussi le gouvernement socialiste de 2012 à 2017 et sa majorité législative. Alors que François Hollande était pour le maintien de la législation actuelle, ses ministres dont François Rebsamen ministre de la ville ont proposé la contraventionnalisation du cannabis. Dès juin 2012, le débat est lancé par Cécile Duflot alors ministre du Logement qui se positionne pour la dépénalisation, mais l’Elysée et le Premier ministre s’y opposent. Jean Marie le Guen, secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement constate que la législation actuelle ne fonctionne pas. Vincent Peillon, ministre de l’éducation de 2012 à 2014, s’est ouvertement positionné en faveur de la dépénalisation du cannabis, le qualifiant de « sujet majeur » et qui s’étonne du côté « un peu retardataire de la France sur un sujet qui pour [lui] est d’ampleur ». Le candidat à la primaire de la gauche en 2017 avance également les arguments que l’interdiction de l’usage du cannabis entretient les inégalités sociales, surtout envers les populations défavorisées ou issues de minorités. Néanmoins, le gouvernement socialiste a favorisé la mise en place de « salles de consommation à moindre risque » dans plusieurs villes, notamment celles tenues par des maires socialistes.

Pour Manuel Valls, ancien Premier ministre (2014-2016) qui a quitté le PS en 2017 pour rejoindre la majorité présidentielle, la lutte contre le cannabis s’intègre dans une politique de santé publique et de prévention autant pour la santé mentale, ou que l’exposition aux particules fines. Il affirme qu’il faut déjà effectuer de la prévention avant d’effectuer des soins, car ce dernier revient plus cher pour les finances publiques. De plus, la société selon lui a besoin d’interdits et de règles. Les dangers du cannabis sont connus, alors il serait de la responsabilité de l’État de l’interdire ; car de toute manière, la légalisation n’empêcherait pas la circulation du cannabis dans les réseaux illégaux et alimenterait toujours les trafics, en plus d’un accès facilité à une substance nocive pour la santé. 

Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Économie (2012-2014) est opposé à sa légalisation. Il avoue l’échec de la politique d’interdiction. Cependant, il estime que si l’État doit légaliser quelque chose à chaque fois qu’il y a un blocage dans la société, celle-ci sera exposée à de plus grands dangers. La position de ces personnalités n’est pas corrélée avec le positionnement plus ou moins à gauche car Sylvia Pinel, favorable à la légalisation, fait partie d’une formation politique plus modérée que celle d’Arnaud Montebourg, se situant sur une ligne plus radicale. 

Sylvia Pinel, candidate pour le Parti radical de gauche (PRG) aux primaire de la gauche en 2017, ainsi que plusieurs personnalités du PS proposent la légalisation du cannabis afin d’utiliser cet argent non pas pour les politiques de santé mais pour lutter contre les autres trafics, de drogue ou d’armes afin de réellement mettre un terme aux trafics, déjà fragilisés par la perte des revenus en lien avec le cannabis. Les effectifs et les moyens mobilisés contre ces trafics seraient donc plus conséquents et plus efficaces. Car ils ne s’occuperaient plus de la verbalisation des simples consommateurs, mais seulement de la lutte contre les trafics. Christiane Taubira, ancienne ministre de la Justice (2012-2016), figure du PRG et ancienne candidate aux élections présidentielles de 2002, qui cependant n’est plus affiliée à un parti, ne se positionne pas pour une législation spécifique. Néanmoins, elle dénonce le fait que les gouvernements successifs ont évité de s’attaquer au sujet alors que de nombreux jeunes sont impactés par les effets du cannabis. « Une société qui n’ose pas affronter le sujet est une société complice des dégâts ». Elle fait également allusion au fait que même si le cannabis en tant que drogue ne tue pas, son commerce dans le marché noir est à l’origine de plusieurs meurtres entre groupes rivaux pour le contrôle de sa vente dans des quartiers populaires comme à Marseille.

Mais suite au retour dans l’opposition et au départ de nombreux membres vers La République En Marche, le Parti socialiste se positionne désormais en faveur de sa légalisation. Selon Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti Socialiste, le trafic génère une économie parallèle dans les quartiers et qui nuit à la vie normale de ceux-ci et qu’il est donc impératif de casser ces trafics. Il concentre donc ses arguments sur ses répercussions sociales pour les populations les plus défavorisées tout en reprenant l’argument de l’inefficacité de la politique de répression française. De plus, Olivier Faure considère que le cannabis à usage thérapeutique représente une opportunité pour de nombreux malades tandis qu’il serait favorable « à ce qu’on lance une expérimentation sur certains territoires pour légaliser le cannabis et de casser le marché parallèle, qui est un poison » . Le Premier secrétaire du PS est le seul à proposer des expérimentations localisées et non une légalisation directe. Plus généralement, il est « favorable au moins à ce que le débat puisse avoir lieu » . Dans cette trajectoire, Eric Correia, conseiller régional socialiste de Nouvelle-Aquitaine et président de la communauté d’agglomération du Grand Guéret propose de mener une expérimentation de culture de cannabis thérapeutique qu’il voit comme une opportunité économique pour redynamiser son département, la Creuse. La position du PS est donc de permettre d’ouvrir le débat et permettre une réelle réflexion sur la législation actuelle, puis de mener une expérimentation afin d’évaluer les risques et les opportunités que la légalisation du cannabis procurerait. Cette position se veut précautionneuse. 

Cependant, la légalisation du cannabis thérapeutique fait consensus dans ce parti et dans les autres partis de gauche. Les députés socialistes, communistes et « insoumis » ont voté pour l’expérimentation du cannabis à usage thérapeutique. Ses vertus médicinales constituent un point central dans l’argumentation des partis de gauche dans ces débats. De plus, les maires socialistes furent précurseurs dans le domaine de la création des « salles de consommation à moindre risque » grâce au grand nombre de maires de grandes villes ayant installé ses salles afin de protéger les consommateurs. Il est préférable de les accompagner plutôt que de les laisser se droguer dans la rue et exposer les passants aux accidents que le cannabis provoque.

2.4 La France Insoumise:

La France Insoumise, par la voix de Jean-Luc Mélenchon, dénonce l’hypocrisie de la situation actuelle, car il est connu que la consommation de cannabis est forte en France. Malgré cela, aucune politique de sensibilisation n’est engagée. La répression n’est pas adaptée à la situation. C’est pour cela que le parti se positionne en faveur de la légalisation du cannabis. Les arguments économiques ou thérapeutiques ne sont pas mis en avant ; le principal argument est en rapport avec la prévention contre cette drogue. Jean-Luc Mélenchon se dit « opposé à la consommation du cannabis, c’est pour ça que je suis pour sa légalisation ». Il donne l’argument selon lequel l’interdiction de la substance empêche de lutter efficacement contre lui en matière de prévention. Si la drogue est interdite, il ne peut pas y avoir de campagne de sensibilisation comme il en existe pour l’alcool ou le tabac. L’interdiction empêche donc la construction d’une politique publique de plusieurs dimensions, de prévention de traitement sanitaire efficace sans que les consommateurs qui désirent des soins ne soient pas empêchés par la dimension illégale du cannabis, raison pour laquelle ils devraient recevoir un traitement. Il part du principe que la politique d’interdiction a échoué et que la campagne de sensibilisation, une fois le cannabis légalisé, serait plus efficace. Le meilleur moyen de le combattre est de légaliser pour d’un côté contrôler et de l’autre sensibiliser. 

Au même titre que les autres formations de gauche, l’argument de la lutte contre le marché noir qui affirme que la légalisation assécherait le financement des trafics est utilisé. Ainsi que l’argument disant que la police et les fonctionnaires pourraient s’occuper de sujets plus importants. Cet argument est autant partagé par les promoteurs de la légalisation que par ceux de la dépénalisation et donc traverse le clivage entre gauche et droite. L’interdiction du cannabis ne résulte pas selon lui de la vérité scientifique, mais bien de l’héritage des constructions sociales, politiques et culturelles. Leur raisonnement s’appuie sur la situation canadienne qui est selon eux une réussite, car la volonté est selon la ministre canadienne de la santé « d’introduire une législation pour empêcher que le cannabis tombe entre les mains des enfants, et les profits de tomber entre les mains des criminels ». L’argument de l’absence de politique de prévention est en partie fausse, car il existe des campagnes de prévention sur le cannabis notamment sur les dangers liés à la conduite, comme celle-ci ayant eu lieu en 2005 à l’initiative de Nicolas Sarkozy. Cependant, elle se limite à l’effet sur la conduite et non sur les risques sanitaires.

2.5 Le Parti Communiste Français

Le Parti communiste français (PCF) fut fondé en 1920 suite à la scission avec la SFIO (ex Parti socialiste) lors du Congrès de Tours. Il est dirigé par Fabien Roussel depuis 2018. Ce parti est originellement en faveur de l’abolition du capitalisme par la révolution. Néanmoins, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier a progressivement abandonné la révolution en faveur du réformisme. Le PCF ne s’est pas positionné officiellement sur la question de la légalisation du cannabis. Néanmoins, Ian Brossat, porte-parole du Parti communiste plaide pour un débat sur le sujet qui soit « sérieux, guidé par le pragmatisme ». Il critique le fait que le débat se fasse à travers des « symboles » et affirme « qu’on ne fait pas une politique publique avec des symboles uniquement » . Il ne prend pas pour autant parti sur le sujet. La symbolique dénoncée par Ian Brossat représente le fait que le débat soit fondé sur des arguments non pas scientifiques mais subjectifs ; comme la sécurité ou la volonté de l’Etat de se montrer ferme face à la délinquance. De plus, il critique l’échec de la politique de répression française, à l’instar des autres personnalités de gauche.

Olivier Besancenot, alors candidat à l’élection présidentielle de 2002 pour la Ligue communiste révolutionnaire, s’était prononcé en faveur de la légalisation du cannabis. Enfin, différents partis de gauche, comme le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) ou Lutte Ouvrière (LO), sont en faveur de la libéralisation de toutes les drogues, comme c’est le cas au Portugal où les drogues sont autorisées dans des quantités définies par la loi, comme 25 grammes de cannabis, 1 gramme d’héroïne et 2 grammes de morphine. Les résultats au Portugal sont conséquents : les taux de criminalité, d’infection du sida, de mortalité routière, et même le taux de consommation de drogue ont considérablement diminué.

On remarque un consensus entre la gauche et la droite sur la dangerosité du cannabis et sa centralité dans la lutte contre les trafics illégaux. Néanmoins, les moyens de lutter contre eux sont différents et impliquent pour la droite de maintenir l’interdiction alors que pour la gauche, il est nécessaire de le légaliser. Cela étant dit, les informations sur les modèles de légalisation sont la plupart du temps absentes des débats. Les partis de droite se limitent dans leur analyse à l’impact de la légalisation sans pour autant indiquer dans quel modèle de légalisation ces effets négatifs interviendraient. La majorité des formations de gauche se cantonne à la critique du modèle de répression actuel et envisagent la réorientation des moyens investis dans la lutte contre le cannabis et à l’organisation des politiques sanitaires suite à la légalisation du cannabis sans pour autant préciser la manière de procéder. Il y a donc un espace vide dans l’argumentaire de la presque totalité de la classe politique française sur la mise en place concrète de la légalisation à usage récréatif du cannabis.

Par Damien Picot, secrétaire général du Groupe Socialiste Universitaire et membre du pôle Europe et géopolitique