Groupe Socialiste Universitaire


Economique et social, Europe et géopolitique, Recherches

La gestion géoéconomique du gaz russe en temps des crises géopolitiques

Posté le 5 août 2022 par Hassan Ahmat Djamaladine

Par Hassan Ahmat-Djamaladine, directeur du pôle Politiques Sociales

« La guerre économique s’est traduite en conquêtes de parts de marché qui ne concernent plus seulement les matières et les territoires à conquérir, mais les esprits à soumettre. La soumission des esprits par la propagande publicitaire est l’objectif de la guerre de l’information à l’échelle mondiale[1] » disait Jean-Claude Besson-Girard dans son œuvre « Decrescendo cantabile ». La géoéconomie est une branche de la géopolitique, qui se trouve au croisement des sciences économiques et les relations internationales. Elle vise à déterminer les effets de l’économie sur la géographie politique d’un espace donné. En d’autres termes l’interrelation entre les ressources rares d’une entité territoriale et sa politique extérieure. Elle permet également d’examiner les facteurs économiques diligentés par les Etats dans le cadre de leur vision politique intérieure et extérieure et de mettre en lumière la dimension spatiale, temporelle et politique de l’économie et de l’allocation des ressources[2]. D’ores et déjà, la Fédération de Russie est le principal fournisseur de gaz aux pays de l’Ouest de l’Europe dont la plupart font partie intégrante de l’Union Européenne. De ce fait, l’Union Européenne importait 45% du gaz russe, la répartition de ce pourcentage n’est pas équitable entre les pays, certains pays en fonction de leurs activités économiques sont plus dépendants du gaz russe que d’autres. A titre d’illustration avant le début du conflit, l’Allemagne à elle seule importait 55% du gaz russe or la France n’en recevait que 17 %. Depuis l’annexion de la Crimée en 2014 par la Russie et l’éclatement du conflit armé dans la région du Donbass à l’Est de l’Ukraine, les tensions entre Kiev et Moscou n’ont cessé de s’accroître. Le 21 février 2022, le Président russe Vladimir Poutine a reconnu l’indépendance des républiques populaires russophones de Louhansk et de Donetsk, dans le Donbass, à l’Est de l’Ukraine. Cette reconnaissance a ouvert la voie à une « Opération militaire Spéciale » depuis le 24 février 2022, elle s’apparente à une invasion militaire de l’Ukraine[3]. En l’espèce, avec la fin de la Guerre froide, les capacités militaires des États développés ne constituent plus de loin, le principal facteur de leur puissance sur la scène internationale. La période des conflits directs et frontaux, recourant à la puissance de feu et aux capacités militaires entre puissances industrielles est révolue. Cette évolution est d’autant plus affirmée que les difficultés démographiques et la sensibilité publique des pays occidentaux ne sont plus favorables à l’idée d’un conflit armé avec les autres puissances militaires à l’instar de la Russie. C’est pourquoi les pays occidentaux alliés de l’Ukraine ont exclu l’idée d’une intervention militaire en Ukraine pour contrer l’offensive russe, techniquement il débouchera sur un affrontement OTAN/Russie et provoquera un lourd bilan humain[4]. En représailles les pays Occidentaux, avec leur allié les États-Unis, ont pris des paquets de sanctions économiques et financières contre la Russie. Ils ont décidé d’exclure plusieurs banques russes du système financier SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Pour l’économiste et géo-politologue américano-roumain Edward Luttwak la place de l’Etat est centrale dans la stratégie géoéconomique en vue de déterminer sa postures défensives et offensives et d’en identifier les menaces[5]. Pour rappel, lors d’un désaccord tarifaire avec l’Ukraine en 2009, le géant gazier russe Gazprom a coupé tout approvisionnement de gaz en Europe, frappant les pays du Sud-est de la région et d’autres pays de l’Union Européenne. Après la crise de 2014 liée à l’annexion de la Crimée, la Russie a de nouveau fermé les robinets, accusant l’Ukraine de ne pas payer ses dettes envers Gazprom[6]. Si le conflit russo-ukrainien ne se termine pas par une issue diplomatique, quelles seront les conséquences économiques prévisibles à long et moyen terme sur la livraison du gaz russe vers l’Union Européenne ? Il s’avère intéressant d’examiner la mutation de l’axe commercial gazier de l’Europe de l’Ouest vers l’Asie (I) et la redéfinition d’une nouvelle carte géopolitique renforcée au nom des intérêts commerciaux entre l’Europe de l’Est et l’Asie centrale (II)

I – La mutation de l’axe commercial gazier de l’Europe de l’Ouest vers l’Asie est-il réellement en marche ?

Selon le politologue américain Howard Zinn « La guerre présente le triple avantage de souder une conscience nationale et développer les sentiments patriotiques et de faire oublier les problèmes internes et les conflits de classes, et de permettre au marché de trouver de nouveaux territoires pour écouler les produits[7] ». Tel est le cas actuel de la situation en Russie. En ce sens, la Russie utilise le gaz pour se mettre dans une situation confortable qui lui permet d’exercer un soft power sur les pays dépendants du gaz russe. Le Président Vladimir Poutine s’est appuyé sur la stratégie de pression énergétique pour se réinsérer dans la scène géoéconomique et géopolitique afin d’exalter la grandeur de la Russie et de faire oublier l’éclatement de l’Union Soviétique que lui-même avait qualifié de « catastrophe géopolitique du siècle dernier[8] ». Depuis le début de l’intervention militaire l’Ukraine a eu un soutien fort de la part des Occidentaux allant de la simple solidarité jusqu’à la livraison de matériels de guerre. Ensuite, les pays occidentaux n’ont pas hésité à sanctionner économiquement la Russie et ses élites. En outre, le 14 avril 2022 lors d’une réunion gouvernementale consacrée au secteur de l’énergie, le Président Vladimir Poutine s’exprimant sur le sujet de la livraison du gaz vers l’Europe de l’Ouest a déclaré : « On va partir du principe qu’à l’avenir les livraisons vers l’Ouest vont baisser » et rajoute « réorienter nos exportations vers les marchés au Sud et à l’Est qui croissent rapidement[9] ». Les déclarations du président russe laissent entendre le développement des nouvelles coopérations commerciales sur les énergies fossiles russes dont le gaz. Certes, aucun pays demandeur n’a été cité mais il est logique que le virage se fasse vers les pays d’Asie à l’instar la Chine et l’Inde. En effet, la tentation chinoise pour le gaz russe ne date pas d’aujourd’hui, puisqu’à chaque fois que les Européens envisagent de boycotter le gaz russe la Chine n’occulte pas sa volonté d’augmenter sa livraison[10]. D’ailleurs, la visite du 31 mars 2022 en Inde de Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, marque des points sur le rapprochement entre les deux pays en cette période de crise. Par ailleurs, la République de l’Inde s’est abstenue de voter au conseil de sécurité de l’ONU une résolution condamnant la Russie et s’est contentée d’appeler à l’arrêt des hostilités tout en continuant d’acheter les hydrocarbures russes[11]. Selon Katya Efimova, chercheur senior à l’Oxford Institute for Energy Research « Gazprom avait annoncé d’exporter entre mai et août 2021, 183 milliards de mètres cubes de gaz versl’Europe. Pendant que les Européens attendaient la livraison, Gazprom a joué sur la loi de l’offre et la demande en donnant la priorité au remplissage de ses propres installations de stockage en Russie »[12]. Gazprom a livré en 2021, 50, 2 milliards de mètres cubes à l’Allemagne soit 60 % des importations gazières allemandes. Pour compléter son pourcentage à 100 %, Gazprom profite du marché pour livrer d’autres pays comme l’Italie, la Turquie, la Bulgarie, la Serbie, le Danemark, la Finlande la France, la Pologne, l’Autriche etc[13]. Vu la conjoncture géopolitique, la Russie a décidé de couper ses livraisons de gaz à la Pologne et à la Bulgarie, deux pays membres de l’UE et de l’Otan. Dans un premier temps, le gazier russe Gazprom a informé les compagnies des deux pays la société polonaise PGNiG et Bulgargas de l’arrêt de ses livraisons de gaz via le gazoduc Yamal à compter de la date du 27 avril 2022. Dans un deuxième temps, selon le communiqué du gestionnaire du réseau français de transport de gaz GRTgaz le 17 juin « La France ne reçoit plus du gaz russe par gazoduc depuis le 15 juin avec interruption du flux physique entre la France et l’Allemagne ». La cause serait un refus d’obtempérer aux exigences du mode de paiement des approvisionnements du Dollar vers le Rouble russe. En réponse aux sanctions économiques et au gel des avoirs de la Russie par l’Occident, le Président Vladimir Poutine a signé un décret contraignant les pays de l’UE qu’il les désigne sous le vocable « les pays hostiles » ou « inamicaux » à payer le gaz en rouble. Le but de cette mesure ne consiste pas d’apporter de la liquidité en rouble mais d’ouvrir un compte en Rouble chez la filiale bancaire de Gazprom pour garantir la convertibilité du mode de paiement en rouble. Or depuis le 25 mars, la banque centrale russe (BCR) a annoncé commencera à acheter de l’or aux banques, elle ajoute qu’elle paiera 5000 roubles pour 1 gramme d’or entre le 28 mars et 30 juin afin de préserver la stabilité du rouble durement impacté par les sanctions économiques[14]. En plus, Moscou examine l’option d’adosser le rouble à l’or dans le temps. Ainsi, Cyrille Bret géopoliticien spécialiste de la Russie chercheur à l’Institut Jacques Delors parle de « la résurrection du rouble ». Selon le porte-parole du Kremlin Dmitry Peskov affirme que « la question du taux du rouble est en cours de discussion et si les pays recevant du gaz russe n’ouvrent pas des comptes dans les banques russes en vue d’effectuer la convertibilité de leur devise en rouble il y aura un risque de fermeture des robinets », « nous n’allons pas livrer du gaz gratuitement » ajoute-t-il [15].  La question est de savoir si l’on se dirige vers la construction d’une coopération renforcée entre la Russie et les pays asiatiques et au premier chef la Chine ?

II – La redéfinition d’une nouvelle carte géopolitique renforcée au nom des intérêts commerciaux entre la Russie et l’Asie centrale est-il envisageable ?

Il s’avère intéressant de se demander si Moscou dispose les moyens pour concrétiser son projet d’eurasisme dans le temps, c’est-à-dire de manière durable et pérenne.

Dans son discours d’investiture à la suite de sa réélection en 2012 le Président Vladimir Poutine évoque ceci devant ses compatriotes « Nous avons suivi ensemble un chemin long et compliqué, nous nous sommes mis à nous-mêmes, à nos forces, le monde a vu la Russie renaissante. Nous avons aujourd’hui tout pour aller de l’avant, vers où demande-t-on ? » s’interroge-t-il et tente de répondre à sa propre interrogation par « devenir le leader et le centre de gravité de toute l’Eurasie[16] ». L’eurasisme est une doctrine géopolitique née dans la première moitié du XXe siècle, de la pensée d’émigrés russes en Occident. Théorisée par Alexandre Douguine, philosophe russe, elle consiste à envisager une troisième aire géographique entre l’Europe et l’Asie. D’après la conception russe l’Eurasie se composerait alors de la Russie et de la majorité des anciennes Républiques soviétiques qui sont le (Kazakhstan, Turkménistan Tadjikistan Kirghizistan, Ukraine, Biélorussie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie et Moldavie). Cette théorie tient une place grandissante dans les pays cités, mais également en Turquie, en Iran ou en Afghanistan[17] Depuis la création en 2014 de l’Union économique eurasiatique (UEE) par la Russie, l’eurasisme est redevenu un concept de premier plan dans les relations internationales. Longtemps réduit au statut de « rêve géopolitique » de l’histoire des idées spécifiquement russe. Parmi les principaux objectifs de cette union c’est « la création d’une zone d’échange économique facilitant la libre circulation des personnes, biens, marchandises et capitaux et dans l’avenir une monnaie unique ». D’abord, l’initiative de la mise en place de cette union économique fut insufflée par le Soultan Nazarbaïev ex-président Kazakh à Boris Eltsine vers la fin des années 1990[18]. Si un tel projet existe déjà dans l’agenda diplomatique de Moscou, les déplacements fréquents des officiels russes en pleine crise géopolitique vers les pays d’Asie ne sont pas indemnes d’un signe de rapprochement entre la Russie et les pays d’Asie. Par exemple trois semaines avant le déclenchement de son « Opération militaire Spéciale » en Ukraine, le Président Poutine était en visite officielle en Chine. Il s’affiche aux côtés de son homologue chinois Xi Jinping lors de l’ouverture des Jeux Olympiques (JO) de Pékin et profite pour signer avec le président chinois « une alliance sans limite ». Depuis le déclenchement de « l’opération militaire » le ministre des Affaires étrangères de la Russie Sergueï Lavrov multiplie ses visites officielles dans les grandes capitales asiatiques (Téhéran, Pékin, New Delhi). Dernièrement, Vladimir Poutine lui-même effectue une visite de travail au Tadjikistan, pays ex-soviétique et allié de Moscou en Asie centrale. Si la Russie de Vladimir Poutine enchante l’eurasisme, la Chine de Xi Jinping pense rebâtir son projet « The One Belt One Road » ou « les Routes de la soie ». La Russie et la Chine, se considérant comme les deux grandes puissances géopolitiques du monde contemporain ont joué et jouent encore un rôle prépondérant dans la formation d’un espace géopolitique eurasiatique. Il est indubitable que la coopération entre les deux alliés est aussi renforcée par l’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS) une organisation de sécurité mutuelle, de coopération politique et militaire et de développement économique qui regroupe (la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, l’Inde, le Pakistan et l’Iran)[19]. Ce faisant, lors de la première crise russo-ukrainienne à la suite de l’annexion de la Crimée en 2014, pour contourner les sanctions occidentale, le Président Poutine annonce la construction d’un grand gazoduc « Force de Sibérie I » qui acheminera du gaz russe vers la Chine sur 4000 kilomètres dont le contrat est estimé à 400 milliards de dollars. Dès 2018 le géant Gazprom russe et la société CNPC chinoise signe un contrat d’exportation de gaz de 30 milliards de mètres cubes par an[20]. D’ailleurs le chimiste russe Mikhaïl Lomonossov a rappelé en son temps que « la richesse de la Russie va s’accroître grâce à la Sibérie ». La crise russo-ukrainienne en cours a davantage soudé les liens économiques et diplomatiques entre Moscou et Pékin, sur le volet diplomatique ceci se justifie par les récentes déclarations du président chinois prononcées à la veille du 14ème sommet du BRICS qui regroupe les cinq pays suivants : Brésil, Russie, Inde, Chine, et l’Afrique du Sud il fustige les sanctions économiques prises contre la Russie et dit ceci « Il a été prouvé à maintes reprises que les sanctions sont un boomerang et une arme à double tranchant ». Il dénonce également « l’élargissement des alliances militaires ». Sur le volet économique, il serait pertinent de savoir que l’intervention militaire russe en Ukraine a obligé l’Allemagne à suspendre l’inauguration du gazoduc Nord Stream 2. Cette suspension a débouché sur un nouveau contrat gazier entre la Chine et la Russie. C’est ainsi que le 02 mars 2022 marque la date de la signature du plus grand contrat d’approvisionnement en gaz naturel. Il s’agit de la construction du gazoduc « Power of Siberia 2 » « Force de Sibérie 2 » qui va relier la Sibérie à la Chine en traversant la Mongolie[21]. Il a un parcours total de près de 900 kilomètres, qui passe par cinq stations de compression installées le long du chemin, d’un diamètre de 1,40 mètre pour ses canalisations et de son important volume de 50 milliards de mètres cubes de gaz transportés chaque année. Pour comparaison, Nord Stream 2 aurait été capable de transporter 55 milliards de mètres cubes annuels vers l’Allemagne, or Power of Siberia 2 exporte 50 milliards de mètres cubes vers la Chine. Enfin, la différence de la capacité d’exportation de gaz entre Nord Stream 2 et Siberia 2 n’est que de 5%. Enfin, pourrait-on dire que la quantité du gaz russe boycotté par Berlin sera livrée à Pékin par le gazoduc Siberia 2 ? [22].

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, les exportations de Gazprom vers les pays de l’Europe diminuent au fur et à mesure pendant qu’elles augmentent vers l’Asie. Cependant, en Asie le pays qui a le plus besoin du gaz russe est la Chine. Malgré l’augmentation de la livraison vers les pays asiatiques Gazprom note dans un communiqué publié en avril 2022 que les livraisons du gaz par rapport à 2021 ont baissé de 27%[23]. Ainsi, la Chine à elle seule ne pourrait pas absorber toute la quantité du gaz livrée en Europe avant le déclenchement de « l’Opération militaire ». Il est certain qu’à court terme la Russie augmentera ses livraisons de gaz en Chine, mais la production chinoise a besoin du marché européen et américain pour saisir des débouchés. Pour l’heure, 12 pays membres de l’Union Européenne sont confrontés à des coupures totales ou partielles du gaz russe. Les chefs d’Etat et de gouvernement prévoient la possibilité de voir Moscou réduire drastiquement ses livraisons de gaz d’ici l’hiver prochain « Compte tenu de la question énergétique et de la décision claire de Vladimir Poutine d’intensifier la crise énergétique potentiellement pour l’hiver en coupant l’approvisionnement en gaz de l’Allemagne et d’autres États de l’UE, nous nous attendons à un hiver très difficile », prévient le Premier ministre irlandais Micheál Martin[24].

Vu le contexte actuel l’Union Européenne étudie les possibilités pour se passer du gaz russe en 2022, environ 45% des importations de gaz naturel de l’UE provenaient de Russie. En 2022 la Commission européenne propose un plan, baptisé REPowerEU, visant à affranchir l’Union de sa dépendance au gaz russe d’ici à 2027[25]. Parmi les options en cours d’étude l’UE estime qu’elle pourrait importer 50 milliards de mètre cube (m3) de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) du Qatar, des Etats-Unis, d’Egypte, de l’Afrique de l’Ouest, et créer une diversification des sources d’approvisionnement par des gazoducs en provenance d’Azerbaïdjan, d’Algérie et de Norvège en vue de réduire sa dépendance énergétique du gaz russe de 10 milliards de m3. Le REPowerEU permettra des achats communs de gaz, de GNL et d’hydrogène en mutualisant la demande et en concordant des actions de sensibilisation auprès des fournisseurs. Par conséquent, une politique européenne de stockage a été d’ores et déjà mise en place en vue d’atteindre des niveaux de stockage de 80 % d’ici au plus tard en novembre 2022. Enfin, la plateforme européenne REPowerEU prévoit aussi le développement à grande échelle du biométhane en tant que gaz du futur. La production de biométhane pourrait atteindre 35 milliards de m3 par an d’ici 2030[26].

Pour conclure, la géoéconomie représente une méthode d’analyse et d’interprétation des rapports de force sur le plan international. Mais il existe des distinctions fondamentales entre les deux concepts bien que la géoéconomie soit une branche de la géopolitique. La géoéconomie est avant tout le fait des États et de grandes entreprises à la stratégie mondiale. Or, la géopolitique traite non seulement la question des États, des entreprises mais aussi des groupes humains, politiquement constitués ou non, s’appuyant sur des représentations historiques. Si la stratégie de la géopolitique vise à contrôler des territoires, la géoéconomie vise tout simplement à acquérir une suprématie technologique et commerciale[27]. Ainsi, le sous-sol russe dispose de la plus grande quantité de gaz dans le monde. C’est pourquoi la Russie fait partie des leaders des exportations de gaz dans le monde.

Gazprom exporte 600 millions de mètres cubes de gaz par jour. Cela représente près de ¼ du commerce mondial en 2020, selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) la Russie s’est hissée au premier rang mondial avec 230 Gm3 par an, soit 22,6 % des exportations mondiales de gaz naturel[28]. Le 19 avril 2022 Vladimir Poutine se vante de l’inefficacité des sanctions économiques à court terme prises à l’égard de la Russie il dit ceci « la stratégie de la guerre éclair économique n’a pas fonctionné » faisant allusion à la remontée technique de la valeur du rouble alors que même la Russie est sous sanctions économiques occidentales. Pour comprendre la proximité entre le géant gazier Gazprom et le Kremlin, il est opportun de se référer à l’économiste Edward Luttwak qui disait ceci « Quand les capitaux investis ou drainés par l’État sont l’équivalent de la puissance de feu ; et les subventions au développement des produits correspondent aux progrès de l’armement ; la pénétration des marchés avec l’aide de l’État remplace les bases et les garnisons militaires déployées à l’étranger, ainsi que l’influence diplomatique. Ces diverses activités, investir, chercher, développer et trouver un marché, sont également le lot quotidien des entreprises privées qui les exercent pour des motifs purement commerciaux. Mais quand l’État intervient, lorsqu’il encourage, assiste ou dirige ces mêmes activités, ce n’est plus de l’économie “pur sucre”, mais de la géoéconomie[29]» d’où la gestion géoéconomique du gaz russe en fonction des intérêts géopolitiques du Kremlin trouve tout son sens.


[1] Jean-Claude Besson-Girard – Decrescendo cantabile, 2005, page 79

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9o%C3%A9conomie (30/06/2022)

[3] En reconnaissant les républiques séparatistes du Donbass, Vladimir Poutine fait un pas vers la guerre – La Diplomatie.fr (23/02/2022)

[4] https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2009-3-page-9. (De la géopolitique à la géoéconomie) Pascal Lorot publié le 01/12/2011 dans Géoéconomie 2009/3 (n°50), pages 9 à 19 (30/06/2022)

[5] Ibidem

[6] https://www.nouvelles-du-monde.com/comment-le-gaz-est-devenu-une-arme-geopolitique-independant (13/10/2021)

[7] https://www.les-crises.fr/quelques-citations-contre-la-guerre (12/04/2018) consulté (le 30/06/2022)

[8] https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2009-1-page-67, 01/12/2011 « La Russie et ses hydrocarbures : la tactique à court terme aux dépens et à la stratégie à long terme ? » Stéphane Dubois dans Géoéconomie 2009/1 (n°48), pages 67 à 88 consulté (30/06/2022)

[9] https://www.euractiv.fr/section/energie/news/poutine-veut-reorienter-les-exportations-energetiques-russes-de-leurope-vers-lasie/ (Par : EURACTIV France avec AFP ) 15/04/2022

[10] Ibidem

[11] Inde : visite de Sergueï Lavrov pour consolider les liens entre les deux pays – France 24 (31/03/2022)

[12] Ibidem

[13] https://www.latribune.fr/economie/international/le-gaz-russe-coule-a-flots-en-europe-et-notamment-depuis-le-debut-de-la-guerre-en-ukraine-906163.html (latribune.fr 15 mars 2022)

[14] La Banque centrale russe reprend ses achats d’or au prix fixe de 5000 roubles par gramme | (Or.fr 28/03/2022)

[15] Coup de tonnerre : la Russie coupe le gaz à la Pologne et la Bulgarie, deux pays de l’UE et de L’Otan (latribune.fr 26/04/2022)

[16] Russie. Où en est le projet eurasiatique de Vladimir Poutine ? (Franceculture.fr 30/06/2022)

[17] Le néo-eurasisme, une alternative à l’Europe et l’Asie pour la Russie ? – Les Yeux du Monde (les-yeux-du-monde.fr) par Fabien Herbert 2 avril 2016 consulté le 30/06/2022

[18] Eurasisme, géopolitique de la Russie – l’éléphant la revue (lelephant-larevue.fr) par Cyrille Bret paru en janvier 2022 L’Eléphant n° 37 consulté le 30/06/2022

[19] https://www.liberation.fr/debats/2018/10/03/eurasie-vladimir-poutine-et-xi-jinping-redessinent-la-carte_1682952/ par Michel Bruneau, géographe au CNRS, spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Consulté le 30/06/2022.

[20] https://www.lexpress.fr/actualite/monde/en-pleine-guerre-du-gaz-a-l-ouest-poutine-se-tourne-vers-la-chine_1575427.html (lexpress.fr par Amandine Sanial 14/09/2014) consulté le 30/06/2022

[21] https://www.europe1.fr/international/moscou-et-pekin-signent-un-accord-pour-la-construction-dun-gazoduc-4096817 Sebastien le Belzic 2 mars 2022 (europe1.fr consulté 30/06/2022)

[22] https://korii.slate.fr/biz/energie-nouveau-projet-pipeline-gazprom-tourne-vers-chine-power-siberia-2-soyuz-vostok-50-milliards-m3 (korii.slate.fr par Thomas Burgel le 04/03/2022) consulté 30/06/2022

[23] Les livraisons de gaz russe vers l’Europe ont baissé de 27% entre janvier et avril (latribune.fr) latribune.fr 1 mai 2022 (consulté le 07/07/2022)

[24] L’UE se prépare à d’éventuelles ruptures des livraisons de gaz russe | Euronews 24/06/2022 (consulté le 07/07/2022).

[25] https://france.representation.ec.europa.eu/informations/leurope-peut-elle-se-passer-du-gaz-russe-2022-05-24_fr

[26] Ibidem

[27] Ibidem

[28] Énergie en Russie — Wikipédia (wikipedia.org) consulté 07/07/2022

[29] Ibid