Posté le 25 novembre 2022 par Groupe Socialiste Universitaire
Après les affaires Bayou, Bouhafs, Coquerel et Quatennens, l’inefficacité des dispositifs d’écoute mis en place au sein des partis politique est mise en avant. Cette inefficacité, en partie due au manque d’impartialité et d’indépendance des dispositifs, questionne leur légitimité en tant que structure [1]. Cela relève la nécessité de mettre en place une structure transpartisane et impartiale.
Au-delà de la justice, l’accompagnement des victimes de VSS est un sujet majeur, d’autant plus aujourd’hui, non seulement car les partis de gauche doivent entrer en conformité avec les principes qu’ils défendent, mais également car les sanctions disciplinaires internes rendent légitimes les victimes pour leurs futures actions judiciaires, et sont un gage de sécurité au sein du parti.
Or, l’efficacité de ce genre de dispositif mis en place au sein des partis politiques est sévèrement questionnée aujourd’hui suite aux nombreux scandales dans les partis de gauche.
La droite n’ayant, jusque très récemment [2], pas de cellule dédiée à cette problématique, les femmes sont renvoyées au silence ou au dépôt de plainte. Selon Mathilde, militante féministe proche de la LFI [3], c’est un dispositif crucial : « Il est nécessaire d’avoir une cellule dédiée à chaque mouvement, de la même manière que dans une entreprise on est obligé de faire remonter une enquête interne s’il y a un signalement de VSS ».
Augmenter le nombre de cellules serait une première solution pour recueillir la parole des victimes et endiguer les violences sexistes et sexuelles.
L’impossibilité d’être juge et partie
En effet, lorsque le parti est seul gestionnaire des dispositifs de lutte contre les VSS, ces derniers peuvent s’avérer contre-productifs : entre omerta, peur et conflit d’intérêt, peu d’affaires sont résolues efficacement en interne.
Cette inefficacité témoigne d’un besoin de renvoi à une autorité indépendante, comme par exemple un juge pénal : mais jusqu’ici aucun parti n’a pris cette initiative. Les scandales n’éclatent qu’après avoir sollicité une première fois une écoute au sein des cellules.
Au sein de la LFI, le comité de respect des principes, composé exclusivement de militantes LFI bénévoles, est la seule habilitée à prendre des décisions au nom du mouvement à l’égard de l’auteur présumé des faits. Quand bien même un partenariat existe avec plusieurs collectifs, les sanctions et prises de décisions ne sont décidées qu’en interne [5].
Idem pour le Parti Socialiste ou Europe Écologie Les Verts, qui dispose d’une cellule d’enquête uniquement composée de membres du parti [6]. Malgré les apparences impartiales de la cellule, Louise, victime dans l’affaire Bayou, a récemment témoigné de faits signalés en juillet dernier : « un des membres de la cellule a contacté mon agresseur pour lui dire que j’avais fait un signalement ». [7]
Les normes de droit à un procès équitable et recours effectif, en principe réservés à l’État, devraient donc être élargies aux partis, comme en Allemagne ou, considérés comme exerçant une partie du pouvoir de l’État, ceux-ci sont contraints de répondre aux principes démocratiques [10].
L’Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD), parti populiste de droite fondé en 2013, est surveillée depuis mars par les services allemands du renseignement intérieur, le Verfassungsschutz (« Office de protection de la constitution »), qui a pour mission de collecter des informations relatives aux dérives « hostiles à la Constitution » (verfassungsfeindlich) menaçant la sécurité [11].
Ces dispositifs ont été mis en place pour lutter contre la montée de la droite radicale et l’extrême droite dont les idées ont été jugées contraires à la constitution, mais peuvent être reportées dans notre système français, l’article 4 de la constitution disposant notamment que les partis « doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » [12].
La peur du scandale ou la nécessaire maitrise de la situation
Les affects sont l’une des principales causes de l’inefficacité des dispositifs d’écoute. Parfois faisant office d’un véritable système de protection des agresseurs, il est impossible pour une victime d’obtenir gain de cause dans certaines affaires. Pour Louise, « Le traitement de mon affaire a été plus difficile que l’agression en elle-même, d’un certain côté ».
En effet, selon la ministre de l’égalité femme homme Isabelle Rome, elles « étouffent la parole des victimes ». Il n’existe cependant pas d’obligation légale pour ces cellules, sauf celle de non-dénonciation de crime.
De plus, selon la sénatrice Mélanie Vogel : « Le monde politique est très lent à réagir au mouvement Me too » [8].
Vers la création d’une structure transpartisane ?
Selon l’Observatoire des violences sexuelles et sexistes en politique, la réponse immédiate à ce genre de problématique serait la création d’une structure transpartisane et la formation de l’ensemble des parlementaires aux VSS. L’observatoire plaide également pour la création d’une haute autorité indépendante [4], ou pour doter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique d’une compétence en matière de recueil des signalements.
En attente des prochaines réformes, en novembre dernier, les membres du MeToo politique, publiaient une tribune demandant aux membres des partis politiques de « faire preuve d’exemplarité ». En effet, selon Mathilde Villot, membre de l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles et politique, et auteure de L’homme politique, moi j’en fais du compost : « Les femmes ont besoin de plusieurs niveaux de protection. L’efficacité des cellules d’écoute dépend de ceux qui la composent, ce sont les limites lorsqu’on lave son linge sale en famille » [9].
Il est cependant important de souligner que cette problématique n’est pas spécifique au milieu politique, et qu’elle peut être transposée aussi bien dans le milieu universitaire que dans le monde des entreprises.
Par Anissa Ben Attaya
[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/violences-sexistes-et-sexuelles-la-gauche-peut-faire-mieux-20221023_EZIC55ZOFVC5RPNHSEPVECRALA/ par Yanisse Benrahou, Doctorant en droit public, membre du conseil scientifique de l’Observatoire de l’éthique publique.
[3] https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/les-cellules-d-ecoute-sur-les-violences-sexistes-et-sexuelles-dans-les-partis-sont-elles-efficaces_AV-202209250142.html par Mahauld Becker-Granier (avec MM).
[4] https://www.lejdd.fr/Politique/violences-sexistes-et-sexuelles-la-mission-impossible-des-cellules-de-lutte-interne-aux-partis-4138019?Echobox=1664651140-1#utm_medium=Social&xtor=CS1-4&utm_source=Twitter par Anne-Charlotte Dusseaulx
[5] https://lafranceinsoumise.fr/comment-ca-marche/contacter-le-pole-de-vigilance-et-decoute/
[6] https://www.eelv.fr/stop-harcelement/
[7] https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/enquete-une-victime-presumee-d-agression-sexuelle-denonce-les-failles-de-la-cellule-d-ecoute-d-eelv_5389483.html par Stéphane Pair
[8] https://www.publicsenat.fr/article/politique/le-monde-politique-est-tres-lent-a-reagir-au-mouvement-me-too-estime-melanie-vogel par Héléna Berkaoui
[9] https://www.publicsenat.fr/article/politique/violences-sexuelles-en-politique-les-cellules-d-ecoute-des-partis-ont-elles-une par Simon Barbarit
[10] https://books.openedition.org/septentrion/15859?lang=fr par Jérôme Vaillant Professeur de civilisation allemande à l’Université Lille 3 et rédacteur en chef d’Allemagne d’aujourd’hui.
[11] https://blog.juspoliticum.com/2021/04/01/afd-vs-verfassungsschutz-la-surveillance-dun-parti-par-les-services-de-renseignement-par-anna-michel/ par Anna Michel