Groupe Socialiste Universitaire


Europe et géopolitique

UE : résiste, prouve que tu existes !

Posté le 18 avril 2020 par Groupe Socialiste Universitaire

L’Union européenne est-elle devenue une morte entité, dépourvue de toute raison d’être ? Serait-elle devenue un objet atone, sans valeurs et sans projets ? Sommes-nous capables de dépasser la gestion du temps court pour incarner un véritable projet ?

Ce lundi 30 mars, nous constatons à quel point la construction européenne est compromise. 

Compromise en son sein, par une dictature désormais affirmée, dont à la tête se trouve un homme autoritaire, xénophobe, homophobe, misogyne et donc anti européen. Par un vote, le Parlement hongrois vient d’accorder à Viktor Òrban, les pleins pouvoirs, a provoqué sa propre dissolution et a supprimé toutes les élections.  Nous assistons à la naissance d’une dictature. 

Ce régime a vu le jour sous la République romaine, où la fonction de dictateur avait pour but de régler une crise avec tous les pouvoirs nécessaires. 

Depuis le XXème siècle, le terme a évolué pour désigner un pouvoir sans partage et sans limite. Le despotisme appelle à la violence, sous toutes ses formes, car un tel pouvoir absolu entraîne la surenchère. La démocratie illibérale que défendait Viktor Òrban n’était bien qu’une étape avec pour visée d’asseoir son pouvoir autoritaire.

La dictature, qu’incarne désormais Orban, est incompatible avec le projet européen. C’est une évidence car le projet européen est un projet politique de paix, et non plus seulement un projet économique. La méthode Monnet[1] a depuis été longtemps abandonnée, le projet politique est déjà engagé depuis les critères de Copenhague[2], à défaut d’autres réalisations politiques franches. En votant cette loi[3], le parlement hongrois fait clairement son choix, il se place de lui-même, en dehors de cette communauté, voudrait-on croire. 

Il n’en est pourtant pas grand-chose, rien n’est moins clair. L’Union européenne tente de gérer la crise sanitaire. Comment espérer obtenir une réponse de 27 États-membres, incapable de jouer la solidarité européenne ? 

Comment penser que l’Union puisse prendre acte, combattre et riposter alors qu’elle même doit gérer un confinement inédit et une crise sanitaire sans précédent ? Cette situation, tant la réaction de la Commission est faible, est une compromission. Il n’y a rien de plus important pour un projet politique que de se battre pour sa survie. 

Le sens des priorités devrait donc imposer de traiter avec le plus grand sérieux un tel sujet. Pourtant, les européens ne perçoivent pas la menace et semblent prêts, à tolérer un régime dictatorial comme compagnon de route. 

Tolérer une dictature n’est pas seulement une compromission de plus, c’est une menace directe sur notre projet fondateur. C’est une menace à la paix, le nationalisme des dictatures favorisant plus que n’importe quel autre projet politique, la guerre, comme le rappelait avec justesse François Mitterrand, devant le Parlement européen de Strasbourg en 1995. 

Quand un projet est aussi fondamentalement attaqué, nous nous devons de le défendre. Mais comment espérer que quiconque veuille défendre notre Union, si elle-même, ne souhaite pas se défendre ?

L’inaction n’est pas une option. L’inaction signifie la mort de l’Europe et la mort de la paix. Au temps de la banalisation de l’autoritarisme, inspiré par les responsables politiques des États-Unis, de Chine, de Russie et du Japon, l’UE doit, pour une fois, agir seule et défendre sa survie. 

D’aucuns considèrent qu’il est difficile pour l’UE, avec les moyens dont elle dispose, de réagir. Ses outils ne sont pourtant pas inexistants, l’Union européenne représente le plus gros marché du Monde. L’outil financier européen est énorme. Utilisé contre la Russie lors de l’annexion de la Crimée, il n’a été néanmoins que partiellement satisfaisant. La principale critique de cet outil porte sur le fait qu’il sous-entend que tout se règle avec l’argent. Or, l’identité ne pourrait se résumer uniquement à un pouvoir capitalistique. Cela témoigne de combien nous nous sommes éloignés du sens que l’UE doit porter. 

À la portée des États-membre qui peuvent et doivent défendre l’Union qu’ils ont construite et à laquelle ils ont adhérée. “Je vous le dis avec la même passion que naguère, l’avenir de la France passe par l’Europe : en servant l’une, nous servons l’autre” disait Mitterrand en 1994, les États-membres ont, aujourd’hui, plus que jamais besoin de défendre l’UE et elle n’a plus que jamais besoin de se défendre.[4]

Par Timothé Lucius, membre du pôle Europe & Géopolitique


[1] La méthode Monnet consiste à réalisation de l’intégration européenne se fasse de façon sectorielle, de manière technique. Cette méthode est aujourd’hui largement dépassée. 

[2] Les critères de Copenhague constituent les règles qu’un pays doit respecter pour entrer dans l’UE, comprenant le respect de l’État de droit, de la démocratie et des droits humains, une économie de marché et la transcription de l’acquis communautaire. Ils ont été adoptés lors du Conseil européen de juin 1993.  

[3] Les pleins pouvoirs illimités à Orban en Hongrie, au nom du coronavirus, France Inter, 31 mars 2020, par Pierre Haskin, https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-31-mars-2020

[4] Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, sur le rôle du GIGN dans l’issue de la prise d’otages de l’avion Alger-Paris, la lutte contre l’exclusion et la construction européenne, Paris le 31 décembre 1994. https://www.vie-publique.fr/discours/127885-allocution-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-sur-le