Groupe Socialiste Universitaire


Institutions, Le GSU

Les modes de scrutin : choisir la voix qui compte 

Posté le 20 avril 2023 par Groupe Socialiste Universitaire

Quiconque s’intéressant au fonctionnement de nos sociétés occidentales contemporaines se retrouve nécessairement confronté à l’expression de « Crise de la démocratie ». Sans pour autant que ne soit défendu l’idée d’un régime alternatif à la démocratie, celle-ci est accusée de ne pas répondre aux attentes des citoyens. Ce malaise chronique se traduit par une abstention croissante objet des marronniers sur la défiance croissante envers les institutions. Cependant, admettre un échec de la démocratie au seul constat de la désertion des urnes c’est admettre que la démocratie se résume au vote, aussi peu fréquent soit-il. Ce malaise découle toutefois d’un sentiment, celui de ne pas être entendu, quoi que l’on dise. Finalement, si l’idée de la démocratie, comme modèle de société ou le débat est le principe de règlement des conflits, est admise par tous, ses effets ne se font, eux, pas ressentir et plane alors comme le doute d’une oligarchie ou d’une ploutocratie dissimulée.  Le débat qui donne supposément une voix de même importance à tous serait trusté par certains, tandis que d’autres seraient réduits au silence. Ce sentiment nait de la qualification même de démocratie. Pour simplement prendre l’exemple de la France, s’il serait abscons de qualifier le régime en place de dictature en raison de la protection accordée aux droits et des libertés fondamentaux, le qualificatif de démocratie apparait en revanche impropre quant à l’image qu’évoque un régime aux institutions démocratiques. C’est la vieille idée rousseauiste selon laquelle la représentation s’oppose à la démocratie. Dans cette conception la « démocratie représentative », que cherchent à préserver les conservateurs chaque fois qu’il est question de permettre au peuple d’un peut plus pénétrer les institutions, apparait comme un oxymore. Cette absence de ressenti de la démocratie au quotidien est sans doute la conséquence de l’expression démocratique, ou plutôt de son absence. En effet, la vie démocratique française semble bien morne, uniquement rythmée par les rares échéances électorales. Les élections sont devenues l’alpha et l’oméga de notre démocratie. La démocratie, c’est l’élection. Ce schéma est d’ailleurs enseigné dès le plus jeune âge. Alors même que l’impératif auquel répond l’élection – en théorie – n’apparait pas. C’est le cas des délégués de classe qu’on a tous élus ou été autrefois. Mais en réalité, qu’est-ce qui légitime ne serait-ce que la fonction de délégué ? Leur rôle étant décrit comme celui du lien entre la classe, entendu comme la réunion de l’ensemble des élèves, et le corps enseignant. Mais de tels représentants se justifient, comme c’est le cas dans nos régimes représentatifs, lorsque des questions de logistiques se posent, lorsque 48 millions de personnes doivent donner leur avis. Or, dans une classe de 25 à 40 élèves, rien ne justifie une telle délégation. Le dialogue est direct entre les professeurs et leur classe. Comment alors ne pas voir le rôle de l’élection des délégués de classe comme une initiation à la vie démocratique, c’est d’ailleurs souvent ainsi qu’elle est présentée. Une vie démocratique qui ne saurait être envisagée autrement que par l’intermédiaire du vote, sans lequel nous guetterait l’anarchie, le plus souvent improprement décrite comme une anomie. 
            Le vote est donc la seule forme autorisée d’expression ou en tout cas la forme effective privilégiée. L’expression est aussi possible par la voie de la manifestation, du pamphlet ou du thread mais il s’agit là de formes dont le pouvoir se moque car n’emportant que très rarement des conséquences pareilles à celles du vote. Faudrait-il que ces expressions se transforment en barricade, en occupation de ronds-points ou en Fenwick, emboutissant des portes de ministère, pour que les oreilles des pouvoirs publics y prêtent attention ? Une transformation de la contestation qui est toujours la conséquence d’une méprise de la voix initialement exprimée par la voie autorisée du vote. La Corse en est un parfait exemple. Après 20 ans d’un calme relatif et de l’adoption de la voie des urnes sans que les revendications autonomistes ne soient satisfaites, les préfectures s’embrasent. Et ce n’est que lorsque les préfectures sont mises à feu que sont satisfaites certaines des revendications autonomistes. C’est alors dans cette optique de ramener les voix aux urnes qu’est revenue sur le devant de la scène depuis quelques années la question des modes de scrutin utilisés en France. Sans qu’il s’agisse d’une problématique complètement nouvelle, certaines réponses datent pourtant de la période révolutionnaire.

            De quoi s’agit-il exactement ? Une fois le constat du dysfonctionnement du système actuel posé, et la prise en considération de la nécessité – dont on pourrait débattre – de maintenir un régime représentatif, intéressons-nous aux autres méthodes d’élection de nos représentants, des modes de scrutin permettant l’élection de représentants.

            Les modes de scrutin sont envisagés au pluriel car choisir un mode de scrutin, c’est choisir une conception de ce qui doit prévaloir. Ainsi le scrutin majoritaire uninominal à deux tour choisit pour remplacer le scrutin de liste à la proportionnelle aux élections législatives s’inscrit dans une idée de rationalisation du parlementarisme. Ce mode de scrutin favorise un certain dissensus, notamment lorsqu’il s’agit de l’élection présidentielle, et une bipolarisation, avec des jeux d’alliance en amont des scrutins. Choisir un mode scrutin plutôt qu’un autre est une décisions politique et non technique. Le mode de scrutin est un moyen technique qui conduit vers un idéal politique déterminé. Selon qu’on souhaite favoriser la dictature de la majorité – aussi courte et peu représentative soit-elle – ou bien le consensus, le mode de scrutin choisit n’est pas neutre. 

Les modes de scrutin à proprement dit 

            Dans l’état actuel, nos institutions et les élections législatives et présidentielles fonctionnent toutes deux sur un même mode de scrutin, le scrutin majoritaire uninominal à deux tour. Ce système présente un inconvénient majeur, celui de faire dépendre le résultat du nombre de participants. En effet, chaque candidat prend les voix des autres. Il n’y a pas de raison de privilégier un candidat qui aurait la préférence d’une certaine partie du corps électoral (et lui permettre d’accéder au second tour) alors même qu’un autre serait le second choix mais d’une plus large partie de ce même corps électoral. La défaite de Lionel Jospin en 2002 est un exemple de ce type de situation. Alors même que les sondages le donnait gagnant dans un second tour face à Jean-Marie Le Pen ou Jacques Chirac, la présence de plus petit candidats à gauche lui aura coûté le second tour (si l’on raisonne qu’en terme de proportion et non quant au fond de la campagne de l’époque évidemment) . Aussi la majorité des modes de scrutin présenté ont pour particularité de permettre à l’électeur de donner son avis sur plus d’un candidat et ainsi d’éviter que le nombre de candidats conditionne l’issue de l’élection.

Le vote alternatif 

            Ici chaque votant classe toute ou une partie des candidats par ordre de préférence. Lors du dépouillement, on compte d’abord les voix des candidats classés en premier. Si un candidat obtient la majorité absolue des voix, il est élu, sinon on élimine celui le moins soutenu de chaque bulletin des votants. L’ordre des candidats après celui qui a été éliminé est ainsi modifié. On répète le processus jusqu’à ce qu’une option obtienne la majorité absolue. 

            Le vote alternatif est utilisé pour les législatives en Australie, à Nauru, dans les iles Fidji. Pour les présidentielles, on retrouve cette méthode en Irlande et au Sri Lanka. 

            En réalité, il ne s’agit là que de simuler un vote à la majorité absolue à plusieurs tours en éliminant les candidats un à un. Cette méthode présente donc l’avantage de permettre à l’électeur d’exprimer ce qu’il pense de chacun des candidats, c’est une mode plurinominal. On se rapproche donc d’une méthode permettant une expression plus fine de l’opinion de chacun, puisque tous les candidats sont soumis au jugement de l’électeur.  Ce mode de scrutin participe à l’objectif de meilleur écoute de la voix populaire. Cependant il ne permet en aucun cas une meilleure représentativité puisqu’au dernier tour simulé, lorsqu’il ne reste que deux candidats, on se retrouve dans la situation d’un scrutin majoritaire tel qu’on le connait. Ainsi les mêmes écueils qui ont conduit à la défaite de Lionel Jospin, et qui marquent le scrutin majoritaire à deux tour se retrouvent au dernier tour de cette méthode. 

            Cependant, le vote alternatif comme le scrutin majoritaire à deux tours nous confronte au paradoxe d’Arrow, c’est-à-dire la situation dans laquelle un candidat qui atteint le second tour aurait eu intérêt à y parvenir avec moins de voix pour que soit éliminé un candidat dont l’électorat pourrait possiblement voter pour lui au second tour. C’est la situation de Chirac en 2002. C’est toute la question du vote stratégique, dit « vote utile ». Il apparait paradoxal qu’une candidature qui aurait été finalement préférée par une majorité absolue échoue en raison des failles du système. C’est d’ailleurs cette faille qu’exploite Emmanuel Macron en alimentant le RN pour s’en faire un ennemi de choix et conserver la réserve de voix antifasciste.

            Le dysfonctionnement du vote stratégique avait déjà été identifié par Nicolas de Condorcet qui a développé un système de vote pour y remédier, il lui a d’ailleurs laissé son nom. 

La méthode de Condorcet 

            « Si un choix est préféré à tout autre par une majorité ou une autre, alors ce choix doit être élu » disait Condorcet. C’est naturellement qu’il a alors développé son propre mode de scrutin afin que triomphe sa vision de la démocratie. Une vision dans laquelle, ce qui compte, c’est le respect le plus pur de l’option préférée par le plus grand nombre ab initio.  

            Ici les votants classent toute ou une partie des candidats. La particularité de la méthode de Condorcet réside dans le dépouillement, elle consiste en la comparaison des positions entre tous les candidats. Est désigné vainqueur celui qui parvient à battre en duel chacun des autres candidats. Cela revient comme pour le vote alternatif à simuler plusieurs tour d’un scrutin majoritaire. L’avantage de ce système est alors d’éliminer l’influence du nombre de candidats sur l’issue du vote. Il n’y a plus de vote stratégique possible ici. En revanche elle présente le défaut majeur de rendre excessivement laborieux un dépouillement non-informatisé.

            Ainsi une candidature qui satisfait, sans réellement convaincre, une majorité de personne peut être élue.  Dans un système pareil François Bayrou aurait été élu en 2007, tous les sondages le donnant gagnant face à n’importe quel autre candidat. Il n’a cependant pas atteint le second tour. Mais le réel défaut de cette méthode, c’est le peu de prise en compte de l’opinion minoritaire. En effet, puisqu’il ne s’agit encore que de simuler des scrutins majoritaires, il suffit de convaincre seulement 50% des votants +1 pour qu’une candidature remporte le scrutin, quand bien même elle déplairait parfaitement à l’autre partie de la population. Cette méthode ne permet donc pas de repousser les limites de la représentativité, ou que très peu, par la multiplication fictive des tours de scrutin. 

            Il y a une autre conséquence au choix de ce mode de scrutin, à être élu sans convaincre on triomphe sans soutien. Mettre en place un tel mode de scrutin pour les élections présidentielles consisterait à introniser une personne avec quelque chose comme 90% d’opinion défavorable le soir même de l’élection, tout le monde l’aillant choisi par défaut, faute de mieux.

            Pour éviter une telle situation, un contemporain de Condorcet, Jean-Charles de Borda, proposa lui aussi sa propre méthode. 

La méthode borda 

            Comme pour le vote alternatif, les candidats sont classés par l’électeur, cependant ici un nombre de points est attribué en fonction du nombre de candidats. Ainsi dans le cas où il y a n candidats, l’électeur classe les candidatures par ordre de préférence et le premier au classement reçoit n points, le second n-1 points, le troisième n-2 points et ainsi de suite. Cependant cette méthode ainsi décrite ne résout pas le problème évoqué précédemment, à savoir l’influence du nombre de candidats sur le vote. En effet, le vote stratégique est toujours possible en ne classant qu’un seul candidat qui reçoit donc n points et on retombe alors dans un scrutin uninominal classique. Mais avec quelques modifications, il est possible de palier à ce défaut. On peut par exemple obliger l’électeur à classer un certain nombre de candidats, voir tous, ou même encore mieux attribuer au candidat arrivé en tête de bulletin, non pas n points avec n nombre de candidats, mais n nombre de candidats classé par l’électeur. L’électeur est ainsi obligé de se prononcer sur toutes les candidatures ou au moins un certains nombre d’entre elles pour pouvoir attribuer un maximum de points à son candidat. 

            Lorsque le nombre de points attribuable dépend du nombre de candidats classés, ce n’est plus l’expression pure de la majorité qui est recherché par le mode de scrutin mais le consensus. C’est le consensus que vise cette méthode Borda quelque peu modifiée, en recherchant quelle candidature serait non pas la plus plébiscitée, mais celle qui serait la moins rejetée. Celle pour laquelle le plus grand nombre serait d’accord pour s’entendre.  

            La méthode Borda revisitée favorise le consensus certes et on peut alors la préférer à toute autre si on conçoit la démocratie comme un système reposant sur le compromis et le débat permanent. Toutefois si l’on voulait utiliser ce mode de scrutin pour les élections présidentielles ou législatives cela impliquerait de changer radicalement la manière de voter et de dépouiller les votes. A contrario le vote par approbation serait lui très simple à mettre en place. 

Le vote par approbation

            Le vote par approbation est très simple à décrire comme à comprendre. L’électeur place le nom de tout candidat pour lequel il approuverait l’élection dans l’enveloppe de vote. La candidature qui recueille le plus de voix gagne. 

            Il permet à l’électeur de s’exprimer sur la totalité des candidats à une élection selon qu’il serait d’accord ou non de les voir élus ou non. Mais à l’inverse des modes présentés précédemment, il présente l’avantage de ne presque rien changer à la façon que l’on a de voter. Ici pas de classement, pas de points, pas de médiane, juste des bulletins nominatifs. C’est sa simplicité qui est son principale avantage , elle pourrait être mise en place du jour au lendemain en France en autorisant simplement les votants à mettre plusieurs bulletins dans l’enveloppe. 

            De plus si on considère la montée de l’abstention comme un symptôme de la crise de la démocratie qu’il faut combattre alors le vote par approbation porte dans sa philosophie une réponse. On peut avoir l’impression, souvent, que ce qui retient certaines personnes de voter pour un tel ou un tel autre, c’est l’obligation d’être en accord avec la totalité du programme du candidat. Avec le vote par approbation, il se s’agit pas de dire qui est ce que l’on veut mais ce que l’on accepte il est forte probable que plus de gens auraient envie de voter sans avoir à porter la responsabilité de la totalité d’un programme. 

Le Jugement majoritaire  

            Souvent présentée comme la meilleure modalité de vote, probablement parce que l’on doit sa paternité à deux chercheurs français du CNRS Michel Balinski et Rida Laraki. Il s’agit non pas de classer les candidats à une élection en fonction d’un nombre de points ou d’une position mais avec un système de mention : excellent, très bien, bien, assez bien, passable, insuffisant, à rejeter. Chaque candidat obtient donc un pourcentage pour chacune des mention.    Le candidat élu est alors celui dont la médiane des votes correspond à la mention la plus haute. 

            Ce mode de scrutin nous ramène à la question « que vise le mode scrutin utilisé ? ». En effet, lorsque ce système est présenté comme palliant aux problèmes inhérents à tous ceux posés par les autres systèmes, il n’est jamais dit ce que recherche ce système. Contrairement au système de vote par approbation qui favorise le consensus, celui-ci favorise le nombre de personnes satisfaites par une candidature, que ce nombre de personnes soit le plus satisfait possible par leur choix. Mais en aucun cas il ne favorise le consensus, le débat ou la discussion. Soutenir ce système c’est faire le constat réalisé précédemment, selon que la représentativité du personnel politique laisse à désirer et y trouver une solution qui ne change rien à la conception actuelle de la démocratie. Dans un régime avec un tel système de désignation de ses représentants l’attitude actuelle du gouvernement, qui est pour l’instant à son 9ème 49-3 en 53 jours, serait parfaitement légitime, elle en serait même ragaillardit de la base populaire sur laquelle elle s’appuie. Ce système, présenté comme providentielle, légitime la dictature de la majorité. 

            En fait c’est le meilleur pour palier au défaut du scrutin majoritaire uninominal à deux tours évoqué plus tôt qu’est celui du vote stratégique. Mais c’est tout, il n’invite aucunement les candidats à débattre ou à trouver un compromis. 

Conclusion

            Le système de vote que l’on se choisit reflète la conception de la démocratie qu’on adopte.  Selon qu’un mode de scrutin méprise ou au contraire fait place aux opinions minoritaires, son choix devient un choix du type de démocratie souhaité. Prendre parti pour un système qui assure à la majorité d’être entendu au mépris de ce que pense la minorité, quand bien même celle-ci représente 50% du corps électoral moins une voix, c’est s’intéresser au rôle des gagnants d’une élection. A contrario prendre parti pour les systèmes de votes dont l’objectif est le consensus, c’est-à-dire la recherche de compris entre toutes les parties en forçant chacun à admettre le point de vue de l’autre, c’est s’intéresser au sort des perdants de l’élection. C’est chercher à faire en sorte qu’il y ait le moins de mécontents de la décision prise dans un but que tous participe et se sente représenté. Il n’existe pas de mode de scrutin parfait, seulement des modes de scrutin mettant en avant différentes visions de ce que doit être la démocratie.     
            Ainsi le débat sur les systèmes de vote n’est jamais un débat scientifique mais bel et bien idéologique. Il revient à choisir entre des systèmes qui permettent à la majorité d’imposer sa volonté sans être gênée par des questions purement techniques et d’autres dont l’objectif est de veiller à ce que le moins de personnes ne pâtissent des choix faits par la collectivité. Ce débat nous renvoie, finalement, à la définition de la démocratie elle-même. 

Par Dan Servais, membre du pôle Institutions