Groupe Socialiste Universitaire


Institutions

Les 40 ans de l’abolition de la peine de mort

Posté le 9 octobre 2021 par Groupe Socialiste Universitaire

La lutte contre la peine de mort, un combat intemporel

  “La peine de mort est abolie”. Le 9 octobre 1981, il y a 40 ans jour pour jour, la peine de mort fut abrogrée en ces termes[1].


  Portée par le Garde des sceaux, Robert Badinter et sous la présidence de François Mitterrand, la disparition de la peine capitale fut une avancée dans les droits humains. Alors que la France, pays des droits de l’Homme, fut le premier pays européen à interdire la torture[2], par cette mesure, elle a été le dernier pays de la Communauté Economique Europénnee et le 36e pays dans le monde à interdire la peine de mort.

  L’abrogation faisait partie des 110 propositions pour la France présentées par François Mitterrand, lors des élections présidentielles de 1981[3] et s’est inscrit dans une politique de réformes du monde judiciaire. Cependant, même une fois abolie, la peine de mort pouvait encore être rétablie. Il ne suffisait que d’une loi pour que la peine capitale revienne dans le code pénal et la guillotine revienne dans les prisons. C’est ce qui inquiétait le Ministre de la justice, jusqu’à l’adoption du protocole n°6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH), ratifié en 1985[4], qui interdit le recours à la peine de mort en temps de paix. Une fois le protocole ratifié par la France, l’interdiction de pratiquer “le châtiment suprême » a alors pris une place supra-législative, les traités ayant une valeur juridique supérieure aux lois internes[5]. Depuis, la peine de mort ne peut plus être rétablie simplement par une majorité parlementaire. La portée de ce traité fut ensuite complété par la ratification en 2007 du  protocole n°13 de la CESDH, qui interdit la peine de mort en toutes circonstances.

  C’est la même année, que l’abolition de la peine de mort pris une valeur constitutionnelle, l’article 66-1 de la Constitution disposant que : “nul ne peut être condamné à la peine de mort”.  Jacques Chirac qui avait voté pour l’abolition lorsqu’il était parlementaire, une fois président, l’a consacré comme une valeur morale de la société française, en l’inscrivant dans la Constitution. Il souhaitait alors témoigner “avec force de notre attachement aux valeurs de la dignité humaine.« [6]

  Si Robert Badinter en tant que Garde des Sceaux, mais aussi en tant qu’avocat a lutté contre la peine de mort[7], l’abolition n’est pas le combat d’un seul homme. C’est un héritage qui a été porté, un esprit qui a été partagé par d’innombrables militants, connus pour certains, restés dans l’ombre pour d’autres. En 1791 déjà, devant l’Assemblée constituante, Louis Michel Le Pelletier de Saint-Fargeau et Robespierre, qui jugeaient la peine inefficace et inutile, plaidèrent pour l’abolition. Au XIXe siècle, Lamartine défendait devant la Chambre des députés et dans sa poésie que la peine capitale était néfaste pour la société[8]. L’abolition est aussi le fruit de la pensée de Victor Hugo, qui défendit la dignité et l’humanisme, tant devant l’assemblée constituante, en 1848[9], que dans sa littérature[10]. La volonté qui anime la lutte contre la  peine de mort, c’est celle d’Artiste Briand, de Georges Clemenceau et de Jean Jaurès. C’est aussi la volonté de toutes celles et ceux qui s’engagèrent au milieu XXe siècle contre la peine de mort, dans l’Association nationale contre la peine de mort, Amnesty International, ou la Ligue des Droits de l’Homme, alors qu’Albert Camus publiait sa réflexion sur la guillotine (1957). 

  A cette époque, la société française a été particulièrement sensibilisée à l’abolition, que ce soit par des artistes comme André Cayatte[11], ou par des affaires judiciaires mettant en avant le risque d’erreur judiciaire, comme l’affaire Ranucci. A ce sujet Michel Foucault écrivit : « Ranucci (…) était-il innocent ? On ne le saura peut-être jamais. Mais on sait, de façon irréfutable, que la justice est coupable. Coupable de l’avoir, avec cinq séances d’instruction, deux jours d’assises, un pourvoi rejeté et une grâce refusée, mené sans plus hésiter à l’échafaud » (« Du bon usage du criminel », Le Nouvel Observateur, n° 722, 11 septembre 1978, pp. 40-42).[12]

  Pour autant, en 1981, lorsque la loi interdisant la peine de mort fut votée, l’opinion publique était défavorable à cette loi[13]. Interrogé, Robert Badinter répondit qu’il fallait que la société française s’habitue à la disparition de la guillotine. Les sondages postérieurs lui donnèrent raison. En 1998, 44 % des Français souhaitaient le retour de la peine de mort.  En 2006, ils n’étaient plus que 38 %.[14] Seulement, depuis les attentats qui ont touché la France en 2015, la position des Français a changé, liée notamment à un “sentiment d’insécurité”. Ainsi, en 2020, l’opinion publique était désormais favorable à 55% au rétablissement de la peine de mort.[15]


  L’idée d’une peine dissuasive revient dans le débat. Pourtant ce qui était vrai hier l’est également aujourd’hui. Une peine suffisamment dissuasive pour empêcher le crime n’existe pas. Laurent Mucchielli, spécialiste des question de délinquances, affirmait ainsi[16], qu’il n’y a pas de diminution du crime par la présence dans la législation de la peine de mort : « Les études menées aux quatre coins du monde démontrent, au contraire, une absence totale de lien entre la criminalité d’une société et le fait qu’elle recoure à la peine capitale.”[17]

  L’inexistence d’un effet dissuasif de la peine capital est d’autant plus marquant en matière de terrorisme. Le criminel étant prêt à sacrifier sa vie – que ce soit pour une raison idéologique ou dans un fanatisme religieux – un condamnation à mort ne pourrait empêcher le passage à l’acte. Au contraire. Le passage devant un tribunal servirait alors de tribune à celui qui mourrait ensuite en martyre du point de vue de ses partisans.


  Certains voient une faiblesse dans ce refus de tuer. Certains aimeraient répondre coup pour coup. Que le sang réponde au sang. Que la loi qui s’applique soit la loi du talion. Mais c’est une force que de refuser une justice qui tue. 

  De conserver ses valeurs et de ne pas perdre son humanité face à l’horreur. De ne pas perpétrer un crime que la société condamne en imitant le criminel. Le meurtre doit être condamné, qu’il soit privé ou institutionnalisé, et la dignité de chaque être humain respectée. Cela n’enlève rien à la nécessité de protéger la société du crime et de punir. Mais la peine de mort ne protège pas. Elle est indigne, inefficace et barbare.

  C’est à sa façon de traiter, même ceux qui ceux sont détournés d’elle, que l’on juge une société. Philippe Maurice, dernier condamné à mort, gracié et devenu professeur d’histoire est un exemple de la réinsertion, qui est le sens de la peine. Il illustre que ce qui fait la grandeur d’une société, c’est son pouvoir de transformer un Homme. C’était là le combat de Victor Hugo. De Robert Badinter. De tant d’autres, invisibles et oubliés. 

            «Cette tête de l’homme du peuple, cultivez-la, défrichez-la, arrosez-la, fécondez-la, éclairez-la, moralisez-la, utilisez-la ; vous n’aurez pas besoin de la couper. » Victor Hugo, Claude Gueux.

Par Mario Guglielmetti, membre du Pôle Institutions


[1] Article 1er de la loi n° 81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort

[2] Article 2 du code pénal de 1791

[3] https://www.vie-publique.fr/discours/170907-programme-electoral-du-parti-socialiste-ps-pour-lelection-presidentie

[4] Voir Robert Badinter, Les épines et la rose

[5] Article 55 de la Constitution

[6] allocution en réponse aux vœux du Conseil constitutionnel du 3 janvier 2006

[7]  Affaire Garceau (1980), Patrick Henry (1977), Carrein (1976), Bontems (1972)

[8] https://www.assemblee-nationale.fr/histoire/lamartine-peine-de-mort-1838.asp

[9]https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/victor-hugo-15-septembre-1848

[10]  Le dernier jour d’un condamné, paru en 1829, l’échafaud en 1859

[11] Nous sommes tous des assassins (1952) est considéré comme le premier film abolitionniste français

[12] https://www.justicepenale.net/post/de-la-peine-de-mort-en-2021

[13] Selon un sondage de l’IFOP, en 1981, 63 % des Français souhaitaient le maintien de la peine de mort

[14] Rapport du Sénat n°195 (2006-2007)

[15] Sondage Ipsos pour Le Monde, septembre 2020

[16] https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/L-abolition-de-la-peine-de-mort-n-a-pas-debouche-sur-un-regain-de-criminalite-_NG_-2010-02-23-547253

[17] A titre d’exemple, aux États-Unis en 2004, le taux d’homicides moyen dans les États ayant recours à la peine de mort était de 5,71 pour 100 000 habitants, tandis que dans les États abolitionnistes ce taux était seulement de 4,02 pour 100 000 habitants. au Canada, 27 ans après l’abolition de la peine de mort, le taux d’homicides était inférieur de 44% au niveau de 1975