Groupe Socialiste Universitaire


Europe et géopolitique

Les 40 ans de l’abolition de la peine de mort en France : quelle évolution sur la scène internationale ?

Posté le 10 octobre 2021 par Groupe Socialiste Universitaire

            En 1863, le Vénézuela devient le premier pays dans le monde à abolir la peine de mort. Le continent sud-américain a été pionnier en la matière : au cours des cent années qui suivirent — jusqu’en 1966 — ce sont sept pays sur dix ayant aboli la peine de mort pour tous les crimes qui se trouvent sur en Amérique latine[1]

            Ce n’est qu’à partir de la fin des années 1960 que le continent européen confirme son élan abolitionniste. En 1981, la France abolit à son tour — après de multiples clivages au sein de l’opinion publique — la peine capitale pour l’intégralité des crimes[2].

            Au cours de cet article, nous ne reviendrons pas sur la situation française qui est déjà étayée au sein de la note du pôle Institutions du Groupe Socialiste Universitaire, rédigée par Mario Guglielmetti. Le travail du pôle Europe et géopolitique aujourd’hui se centrera sur la question de la situation de la peine de mort à l’international. 

            La peine de mort est une sanction pénale ordonnant la suppression de la vie d’un condamné. Elle est prononcée par une juridiction légale au sortir d’un procès à l’encontre de la personne ayant commis un acte passible de la peine capitale.

            L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme dispose que “tout individu à droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne.” Bien que le droit international en général — et par conséquent cette Déclaration — n’ait pas de réelle dimension contraignante, cette affirmation a contrario vient ouvrir le champ des interprétations. D’un côté nous trouvons les tenants de l’abolition de la peine de mort — celle-ci étant vue comme une réelle atteinte au droit à la vie — et d’un autre côté, les défendeurs d’une peine de mort en tant que seule “limitation au droit à la vie”. 

            L’article 5 de cette même Déclaration quant à lui vient affirmer que “Nul ne sera soumis à la torture, ni à une peine ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.” La question de la peine de mort n’étant pas explicitement mentionnée — et une nouvelle fois avec l’absence de contrainte du droit international — la réalité est totalement différente dans plus d’une cinquantaine de pays. Malgré l’augmentation constante du nombre de pays en faveur de l’abolition — qu’elle soit partielle ou totale, au niveau de leur législation ou de la pratique — 54 pays y ont encore recours. Serait-il possible d’envisager dans un futur plus ou moins proche, une abolition universelle de la peine de mort ?

            Nous ne pourrons évidemment pas nous intéresser à l’entièreté des pays appliquant de nos jours la sentence capitale. Nous nous centrerons sur plusieurs cas spécifiques, répartis sur les différents continents. Il s’agira donc de s’intéresser à l’Algérie, à l’Arabie Saoudite, au Brésil, aux États-Unis et au Japon. Si certains de ces pays y ont encore recours de façon pleine et entière, en tant qu’élément législatif non désuet et pour une grande catégorie de crimes de droit commun, la plupart n’y ont recours que dans des situations très spécifiques.

            La peine de mort en Arabie Saoudite : une application décomplexée sur fond de religion

            L’Arabie Saoudite fait partie des pays ayant exécuté le plus de personnes au cours de ces dernières années[3]. Majoritairement, ces exécutions sont le fruit de condamnations pour des infractions à la législation des stupéfiants ou pour meurtres.

            Cependant, une problématique sous-jacente à la peine de mort est la pratique de ce que l’on appelle en arabe la diyya (دية), la “dette du sang”. Parallèlement à la prononciation des condamnations à mort, les familles des victimes peuvent accorder leur pardon aux auteurs des meurtres, en échange d’une compensation financière, dans l’usage particulièrement élevé. Malgré un arrêté royal édicté en 2011 fixant le montant de la diyya à 400 000 rials (soit un montant avoisinant les 100 000 euros), les montants demandés dépassent très régulièrement cette limite. Des médiateurs affirment aux familles des victimes qu’elles peuvent demander des millions de rials de “compensation financière” face au drame qu’elles ont vécu. Ces mêmes médiateurs prennent en revanche une commission sur la somme demandée à la famille du criminel. Soulignons que ce marché très lucratif cache une autre problématique : celle de l’impunité du crime. Face à cette pratique particulièrement dénoncée par des figures religieuses et autres personnalités intellectuelles, le pardon n’est plus accordé par les familles des victimes par valeur ou vertu, mais bien pour des raisons financières, y voyant une occasion de collecter une somme conséquente.

            D’un autre côté, nous connaissons la brutalité du régime de Mohammed Ben Salmane. L’exemple de l’assassinat de Jamal Khasoggi dans le consulat d’Istanbul le 2 octobre 2018 illustre, de façon indirecte, que le pouvoir en place a facilement recours à une violence inouïe pour se conserver. 

            Il convient donc de souligner que beaucoup de ces exécutions cachent une dimension politique : le royaume saoudien est accusé par plusieurs associations défenderesse des droits de l’Homme d’user de la peine capitale à des fins politiques, comme cela a pu être le cas avec l’exécution de trois soldats saoudiens accusés de “collaboration avec l’ennemi, destabilisation du royaume et ses intérêts militaires[4], après l’offensive au Yémen en 2015[5]

            L’Arabie Saoudite suit toutefois une certaine tendance à la baisse. Le 26 avril 2020, les autorités saoudiennes ont officiellement annoncé qu’elles cesseraient d’avoir recours à la sentence capitale à l’encontre des mineurs. De la même manière, suite au moratoire sur la peine de mort pour les délits liés à la drogue, les exécutions ont baissé de plus de 80 %, pour atteindre un taux particulièrement bas de 27 exécutions en 2020, contre 184 en 2019. Nous pouvons en ce sens espérer, dans un premier temps, une diminution progressive des exécutions pour aboutir à une situation similaire à d’autres pays : une peine de mort autorisée par la loi, mais non pratiquée.

            Les États-Unis, une superpuissance occidentale en tant que huitième bourreau mondial

            Si les États du Moyen-Orient restent en pôle position en ce qui concerne les exécutions, certaines grandes puissances occidentales internationales continuent de prononcer des peines de mort et à les appliquer.

            Il peut sembler paradoxal de nos jours que la première puissance mondiale, dont l’aura repose sur la défense des intérêts des individus, des libertés, du libéralisme politique, soit une ardente partisane de la peine capitale. Selon un sondage réalisé par l’Université de Quinnipiac aux États-Unis, 55 % des Américains sont en faveur de la peine de mort pour un individu jugé coupable de meurtre[6].

            À l’instar du Deuxième Amendement garanti par la Constitution américaine — garantissant la liberté de créer une milice pour venir constituer une sécurité pour un État libre, et par conséquent la liberté de détention d’une arme à feu —, la population demeure particulièrement attachée à la peine capitale en raison d’un potentiel “effet dissuasif”. Cette loi du Talion étatique permettant d’assurer une réciprocité de la peine par rapport au crime commis vient par conséquent satisfaire les deux parties : l’État et la population d’un côté, suivant une logique de dissuasion et d’exemplarité, et la famille de la victime d’une autre part, la peine de mort venant satisfaire des élans vengeurs. 

            La peine de mort fédérale est aujourd’hui envisagée pour plusieurs crimes : trahison, espionnage, meurtre commis dans le cadre d’activités s’inscrivant dans les compétences de l’État fédéral, trafic de drogue à grande échelle et tentative de meurtre d’un témoin, d’un juré ou d’un membre d’une cour de justice[7]

            L’ancien président américain Donald Trump en était un ardent défenseur également. Au cours de sa mandature, et particulièrement sa dernière année, 13 prisonniers condamnés à mort ont été exécutés au niveau fédéral, dans un laps de temps de six mois. La dernière exécution eût lieu le 16 janvier 2021, soit quatre jours avant l’investiture de Joe Biden.

            Il convient de souligner la spécificité américaine. N’étant pas un pays unitaire mais fédéral, plusieurs régimes juridiques se superposent : d’un côté se trouve le régime juridique des États fédérés, et de l’autre le régime juridique de l’État fédéral. La peine de mort est présente dans vingt-sept États sur les cinquante totaux. Une large partie de ces derniers continuent aujourd’hui de procéder, indépendamment du gouvernement fédéral, à des exécutions. Historiquement, le Texas est l’État ayant procédé au plus d’exécutions depuis 1977 (570), suivi par la Virginie (113) et l’Oklahoma (112)[8].

            À ce jour, les États-Unis n’ont ratifié aucun traité international abolissant la peine de mort. Toutefois, Joe Biden impose un moratoire sur les exécutions fédérales. Il s’agit d’un premier pas vers l’abolition[9]. Aucune exécution fédérale n’a eu lieu depuis le début de son mandat. Il a en ce sens souligné de nombreux problèmes sociologiques et sociaux concernant le profil des exécutés : il dénonce le caractère “arbitraire” de cette sentence qui touche de façon “disproportionnée les personnes de couleur[10].

            Les mentalités semblent toutefois évoluer dans certains États. Le 13 avril 2021, l’Assemblée du Nevada a voté en faveur du projet de loi AB 395  relatif à l’abolition de la peine de mort dans l’État — et prônant une commutation des peines de mort en prison à vie sans libération conditionnelle —, à une majorité de 26 contre 16[11]. S’il n’a pas été encore discuté au Sénat, l’État du Nevada pourrait devenir le 24e des États-Unis à abolir la sentence capitale.

            Le cas particulier du Japon

            Premièrement abolie en l’an 724 par l’empereur Shomu sous l’influence de la religion bouddhiste, elle a été rétablie en 1156 suite à la rébellion de Hogen à Kyoto. 

            Si l’article 36 de la Constitution japonaise interdit les “châtiment cruels[12], c’est bien une décision rendue par la Cour Suprême en 1948 qui constitutionnalise la peine de mort par pendaison, en ce sens que cette méthode d’exécution ne saurait être qualifiée de cruelle[13].

            Lors d’un sondage national réalisé en 2014, plus de 80 % des japonais pensaient que la peine de mort était, dans certains cas, “inévitable”.

            Cette sentence est prévue pour 18 crimes dans la loi de procédure pénale, le code pénal et dans différentes lois relatives aux sanctions de crimes spécifiques. Nous y trouvons notamment : 

  • la direction d’une insurrection ;
  • l’aide à l’ennemi ;
  • la destruction par explosif ;
  • le meurtre, meurtre d’otages et meurtre organisé ;
  • le duel et le meurtre au cours du duel.

            Le cas japonais est assez particulier en ce sens que l’application effective de la peine de mort est soumise à l’approbation du ministre de la Justice. Il se peut par conséquent, si le Garde des Sceaux en poste est contre la peine de mort, qu’aucune exécution nationale n’ait lieu — c’est ce qui est sous-entendu lors de la mandature de Keiko Chiba (2009-2010), ancienne secrétaire générale des parlementaires d’Amnesty international et fervente défenseure d’un débat public au sujet de la peine capitale au Japon. À l’inverse, un(e) ministre de la Justice ouvertement en faveur de la peine de mort peut, dans la limite des condamnations prononcées par les juridictions légales, accepter tout ou partie des “propositions” d’application de peine capitale[14].

            Tous les cinq ans est réalisée un sondage auprès d’un échantillon de 3000 japonais adultes représentatifs de la population nippone concernant l’application de la peine de mort.  Le graphique infra. illustre toutes les données compilées par le site nippon.com sur les vingt-cinq dernières années.

            Ce graphique illustre la tendance croissante de la part des japonais considérant la peine de mort comme étant “nécessaire” — à comprendre ici que dans certains cas particulièrement extrêmes, la sentence capitale est considérée comme étant la seule issue envisageable.

            Il est difficile toutefois de ne pas établir un lien entre l’attaque au gaz sarin perpétrée par la secte Aum Shinrikyō dans le métro tokyoïte le 20 mars 1995. Près de 13 personnes perdirent la vie au cours de cet attentat ayant suscité un vif émoi au sein de la population nippone. L’augmentation d’environ 6 points de pourcentage de l’avis favorable à la peine de mort entre 1994 et 1999 semble donc directement lié à cette attaque ayant été grandement médiatisée. Nous remarquons ainsi une certaine image de la condamnation des individus, selon la logique primaire du “oeil pour oeil, dent pour dent”.

            La plupart des juges et magistrats font preuve d’une réticence à l’égard de l’usage de la peine de mort. Afin de freiner les exécutions nationales, certains avocats et militants d’Amnesty International ont pu faire part de leurs idées.

« While we oppose the death penalty, it would be desirable if the unanimity rule would make lay judge panels more cautious and restrained in issuing death sentences.« [15]

-Teruo Hayashi, officiel d’Amnesty International.

            L’avocat et secrétaire général de la JFBA (Japan Federation of Bar Associations) Hiroshi Shidehara — dont l’une des taskforces est chargée de repenser le système de prise de décision juridiques — a également suggéré que les sentences capitales soient prononcées et effectivement appliquées uniquement selon la stricte règle de l’unanimité[16].

            Ces dernières années, les sondages tendent à stagner quant à l’approbation de l’usage de la peine de mort dans la société japonaise. Le nombre d’exécutions quant à lui ne paraît pas suivre de trajectoire croissante ou décroissante, mais plutôt sinusoïdale. Un pic a été observé en 2018 suite à l’exécution de sept prisonniers de la secte Aum Shinrikyō inculpés pour l’attentat de 1995. Il paraît donc relativement compliqué d’envisager une issue en particulier autour de l’usage de la peine de mort au Japon. Nous pouvons toutefois affirmer sans trop de doutes, de par le conservatisme — notamment culturel — dont fait preuve la société japonaise, que la sentence capitale a encore de beaux jours devant elle.

            Le cas de l’Algérie, une peine de mort autorisée mais non pratiquée

            Depuis 1993, année à partir de laquelle le pays observe un moratoire contre la peine de mort, la justice algérienne n’a procédé à aucune exécution, malgré les centaines de condamnations à mort prononcées. La sentence est toujours prévue au sein du Code pénal algérien[17] — nous remarquons que la peine de mort est mentionnée dans le droit pénal algérien dans plus d’une quarantaine d’articles. La plupart des condamnations à mort prononcées à l’encontre des personnes jugées s’inscrivent dans le cadre d’une rébellion contre l’autorité de l’État (article 77, alinéa 1[18]), tentative de coup d’État (articles 80 et 81[19]), massacre et dévastation (article 84, alinéa 1[20]), trahison (articles 61, 62 et 63), espionnage (article 64)[21]

            Malgré cette présence explicite et conséquente dans le droit algérien de la sentence capitale, le pays a parrainé et a voté pour un moratoire en faveur de l’abolition de la peine de mort, résolution proposée et adoptée par l’Organisation des nations unies le 16 décembre 2020.

            En ce sens, l’organisation Amnesty international tient à souligner la baisse constante des condamnations à mort : ces dernières sont passées de 271 en 2007, à 27 en 2017 puis une seule en 2020[22]. Toutes ces sentences n’ont jamais été concrétisées, puisque la totalité de ces condamnations à mort ont été commuées en réclusion criminelle à perpétuité.

            La France et l’Algérie ont conclu en 2019 une convention d’extradition venant remplacer un texte de loi paru au Journal officiel en 1964[23], incluant une garantie de non application de la peine de mort pour les ressortissants extradés vers l’Algérie, dans les cas où celle-ci aurait été prononcée par les autorités algériennes. Le cas échéant, ces dernières s’engagent à la lumière de la convention bilatérale à ne pas appliquer la peine de mort à l’encontre desdits condamnés.

            La ratification — soit l’entrée en vigueur de la loi via sa parution au Journal Officiel le 23 mars 2021 en France[24][25], et la parution du décret présidentiel algérien au JO le 12 mai 2021[26] — intervient après l’émission d’un mandat d’arrêt international par l’Algérie contre le blogueur Amir Boukhors, connu sous le pseudonyme “Amir Dz” et contre le journaliste Hichem Aboud, tous deux se trouvant en France et accusés d’appartenir à un groupe terroriste et de menées subversives.

            Cette convention autorise la demande d’extradition pour des individus condamnés à des peines privant de la Liberté d’au moins un an. De la même manière, les deux pays peuvent refuser d’extrader leurs nationaux ou les ressortissants binationaux.

            Nous constatons cependant, selon les propos rapportés par Courrier international[27], que la population algérienne demeure encore en faveur de la peine de mort. Le meurtre de Chaïma, une jeune fille de 19 ans, violée et retrouvée brûlée vive dans une station service non loin d’Alger a suscité une vive émotion. Les appels au retour de l’application effective de la peine de mort se sont multipliés. Le président Abdelmadjid Tebboune, a appelé à condamner avec la plus grande fermeté les auteurs de ces actes, sans citer expressément la peine de mort.

            En 2016, le Rassemblement National Démocratique (RND), alors au pouvoir s’est exprimé en faveur du rétablissement de la peine de mort pour les kidnappeurs d’enfants. Le projet de loi relatif à la prévention et à la lutte contre les crimes de kidnapping d’enfants a donc été ardemment défendu par le Garde des Sceaux, Belkacem Zeghmati, incluant des peines pouvant aller jusqu’à la peine de mort en fonction de la gravité du crime commis dans ce cadre. Ce projet de loi a été adopté par l’Assemblée populaire algérienne le 17 novembre 2020[28].

            Cette volonté populaire et la résurgence dans le débat public de la question de l’application de la peine de mort montrent que, malgré le souhait des dirigeants d’amener — indirectement, par l’absence de pratique — l’Algérie sur la voie des pays abolitionnistes, illustre le lien qui existe entre la prise de décision et la volonté du peuple. Les dirigeants peuvent décider de ne pas totalement suivre la volonté générale afin de faire progresser les droits de l’Homme. Toutefois, les deux éléments doivent aller de pair : si le peuple est opposé à l’abolition de la peine de mort et que les gouvernants décident de limiter au maximum l’usage de celle-ci, le débat sera remis régulièrement sur la table. Ceci favoriserait le risque d’assister à une instabilité vis-à-vis de ces issues — du fait de la dissonance entre la volonté populaire et la réalité effective.

            Le Brésil : une puissance abolitionniste en développement pionnière sur le continent sud-américain

            En ce qui concerne l’Amérique latine, le continent a été pionnier à l’échelle internationale vis-à-vis de l’abolition de la peine de mort. Le Brésil est aujourd’hui le pays moteur du continent latino-américain. Malgré le vent du populisme et du nationalisme qui souffle sur le pays et la mise à mal des droits de l’Homme, le Brésil a été l’un des premiers pays au monde à abolir — quasi totalement — la peine de mort. La dernière exécution aurait eu lieu en 1855 — bien que les sources divergent, certaines affirment qu’elle a eu lieu en 1823, d’autres en 1861. C’est également en 1876 que le Brésil a aboli la peine de mort pour l’ensemble des crimes civils.

            Considéré comme étant un pays en développement, en plus de faire partie des premiers pays au monde à abolir la peine de mort, cette volonté s’est affirmée concrètement via son inscription dans sa Constitution — il convient de préciser qu’une exception en cas de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité est prévue. 

             La peine de mort est en somme totalement abolie, sauf en cas de guerre lors de la commission de crimes spécifiques.

Inscription dans la Constitution de 1988, 7e constitution de l’État brésilien Art. 5
(…)
XLVII — Não haverá penas : 
a) de morte, salvo em caso de guerra declarada, nos termos do art. 84, XIX[29]

            Au sein de la Constitution du Président Getúlio Vargas de 1937, mention était faite de pouvoir rétablir la peine de mort via une loi pour des crimes autres que ceux liés à la guerre. Hormis certaines condamnations à mort prononcées, aucune exécution n’a été enregistrée officiellement[30].

            C’est de même au cours de la dictature militaire (1964-1985), que la loi de sécurité nationale a permis aux militaires en 1969 de rétablir la peine de mort pour des motifs politiques — motifs au demeurant particulièrement flous. Si le Tribunal Supérieur Militaire (TSM) a systématiquement commué les sentences capitales en réclusion criminelle à perpétuité, plusieurs centaines de militants ont été exécutés sommairement par les militaires. Certains militants étaient également assassinés avant même que leur procès n’ait lieu[31].

            En ce sens, de par son attachement à l’absence de peine de mort, l’actuel Président brésilien Jair Bolsonaro, ancien militaire, est fermement opposé à son rétablissement[32] : il exclut toute discussion relative à ce sujet et estime que le “sujet est clos”. Il s’est d’ailleurs opposé à l’avis de son fils, Eduardo Bolsonaro, député fédéral qui s’était exprimé en faveur d’un référendum au sujet du rétablissement de la peine de mort[33].

            Il convient de noter qu’au Brésil, la question de la peine de mort revient régulièrement dans le débat public au regard de la violence endémique à laquelle fait face le pays. Cette émergence de la problématique de façon régulière illustre le caractère émotionnel de cette pensée : répondre à la violence par la violence. Si un individu a été capable de commettre un meurtre — aussi horrible soit-il —, ce dernier doit faire face à un châtiment exemplaire et en assumer les conséquences. 

            Pour autant, même si la peine capitale a été très tôt abolie, la justice n’est pas pour autant tournée vers le respect des droits de l’Homme. En effet, la justice militaire prime et n’hésite pas à faire justice d’elle-même, parfois en toute impunité, car “le crime paie”[34]. La criminalité demeure très élevée, ce qui divise aujourd’hui la population. Depuis les années 1990 émerge une division au sein de la population autour de cette question : même si une partie des Brésiliens ne souhaite pas voir le rétablissement de la peine de mort, la moitié de la population – voire une moitié majoritaire – plaide en faveur de son rétablissement. Depuis l’inscription de l’abolition de la peine de mort, sauf circonstances exceptionnelles, l’entreprise de restaurer cette sentence pour des motifs autres que des cas de crimes de guerre, de haute trahison… nécessiterait obligatoirement une réforme constitutionnelle, une procédure qui s’avèrerait particulièrement complexe.

            Conclusion

            Pour des raisons évidentes, il nous était impossible de traiter au cours de cet article de l’intégralité des pays pratiquant encore la peine de mort. Nous nous sommes centrés sur les pays qui nous paraissaient être pertinents au regard de leur position sur la scène internationale et des valeurs qu’ils défendent, de leur histoire, de leur culture. Notre but était également de toucher la majeure partie des continents et de ne pas nous centrer sur une région unique du monde. De la même manière, il nous a paru pertinent de traiter tant de pays pratiquant pleinement la peine de mort que de pays l’ayant aboli presque totalement, mais également d’États prévoyant encore la peine de mort dans leur droit interne et se refusant de l’appliquer effectivement.

            Nous aurions pu nous intéresser aux cas de la Chine, de la Corée du Nord ou encore de l’Iran. Cependant, l’opacité de ces régimes nous empêche d’avoir suffisamment de recul pour mener une recherche approfondie. Nous sommes toutefois sûrs que la Chine pratique encore de nos jours des milliers d’exécutions par an — tant pour des crimes, des délits de droit commun que pour des raisons politiques — au même titre que la Corée du Nord — malgré l’annonce officielle des autorités nord-coréennes affirmant que le pays n’a procédé à aucune exécution depuis 2003.

            Nous nous poserons finalement la question de l’éthique de la peine de mort vis-à-vis des États. Si l’opinion publique peut pencher en faveur d’une exécution de l’individu ayant commis un crime spécifique, cette exécution n’en reste pas moins un meurtre. Un meurtre institutionnalisé. Aussi institutionnalisé soit-il, un meurtre ne relève plus de la justice, mais bien d’une pulsion primaire, d’émotions, de la vengeance. Or le propre de la Justice n’est-il pas de répondre au Crime en dehors de tout affect ? Répondre aujourd’hui au meurtre par le meurtre, en arguant de l’effet dissuasif pour légitimier cette action, est contradictoire avec les valeurs que défendent certains de ces pays. Et c’est, pour un État, se rendre responsable d’une violence qu’il dénonce.

            De nombreuses études ont été menées et ont démontré que la peine de mort n’avait en aucun point un effet dissuasif vis-à-vis des individus, des criminels. Prenons la problématique selon un raisonnement a contrario : lorsque la peine de mort a été abolie dans les pays qui la pratiquaient, le chiffre des crimes n’a pas augmenté, et a pu diminuer. C’est ce que nous observons au Canada. Depuis l’abolition de la peine de mort en 1998, l’indice de gravité de la criminalité a été en baisse constante jusqu’en 2014 — il connaît une légère hausse depuis ces dernières années[35] (voir graphique infra.). La question d’une brutalisation de la société en l’absence de mesure “dissuasive” semble donc tomber à l’eau. 

            Au demeurant, affirmer que la peine de mort est effectivement dissuasive est peu probable selon Carolyne Hoyle, professeure de criminologie à l’université d’Oxford. Lors du débat biennal du Conseil des droits de l’homme sur la peine de mort, celle-ci a affirmé qu’une telle vision reviendrait à considérer que le criminel est un individu rationel[36].

            Aujourd’hui, le nombre d’exécutions décroît progressivement. Selon un rapport de l’ONG Amnesty International, ce chiffre a diminué de 31 % — soit le niveau le plus bas depuis 10 ans[37]. À un niveau plus local, le nombre d’exécutions dans certains pays a augmenté : c’est le cas au Japon — peloton d’exécution suite au procès des responsables de l’attentat chimique du métro de Tokyo —, en Biélorussie, aux États-Unis, à Singapour et au Soudan du Sud. 

            Rik Daems, Président de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, rappelait l’importance de l’abolition par la loi de cette peine, le 9 octobre 2020, et a félicité l’ensemble des 142 pays ayant l’ayant abolie. Il a en ce sens insisté pour faire du Conseil de l’Europe une institution dans laquelle aucun des pays ne recours à la sentence capitale. 

            Nous le voyons, le chemin vers l’abolition universelle de la peine de mort demeure ainsi encore tumultueux. 

            Nous terminerons sur la citation de Robert Badinter faisant particulièrement écho à l’actualité alors qu’un vent favorable à la restauration de la peine de mort semble s’abattre sur nos démocraties : 

“Utiliser contre les terroristes la peine de mort, c’est, pour une démocratie, faire sienne les valeurs de ces derniers.”

Par Thomas Perez, Directeur du pôle Europe et géopolitique et Juliette Cocheteux-Duminil, membre du pôle Europe et géopolitique


[1] :  https://www.contreculture.org/AL%20Abolition%20peine%20de%20mort.html

[2] : https://www.youtube.com/watch?v=waM7DsuhX28

[3] : Selon les sources, près de 184 personnes furent exécutées en 2019, 149 en 2018, 158 en 2015 et 90 en 2014. Les chiffres augmentent au fil des années.

[4] : https://www.franceinter.fr/peine-de-mort-88-des-executions-commises-en-egypte-iran-irak-et-arabie-saoudite

[5] : Pour en savoir plus sur l’offensive de l’Arabie Saoudite au Yémen : https://www.lesechos.fr/2015/03/yemen-larabie-saoudite-et-ses-allies-a-loffensive-246862

[6] : https://www.pollingreport.com/crime.htm

[7] : https://www.franceinter.fr/monde/la-peine-de-mort-va-t-elle-disparaitre-aux-etats-unis-grace-a-joe-biden

[8] : https://www.peinedemort.org/document/11235/Abolition-de-la-peine-de-mort-dans-l-Etat-de-Virginie-aux-Etats-Unis

[9]  : https://www.franceinter.fr/monde/la-peine-de-mort-va-t-elle-disparaitre-aux-etats-unis-grace-a-joe-biden

[10] : ibid.

[11]  : https://www.americanbar.org/groups/committees/death_penalty_representation/publications/project_blog/nevada-death-penalty-repeal-bill-april-2021/

[12] : Article 36 de la Constitution japonaise : “L’imposition de tortures ou de châtiments cruels par un fonctionnaire est absolument interdite.

[13] : https://www.larevuedesressources.org/la-peine-de-mort-au-japon,1202.html

[14] : Ce fut notamment le cas de Kunio Hatoyama, ministre de la Justice de 2007 à 2008. Loin d’être un abolitionniste, il souhaitait faire évoluer la méthode d’exécution de la peine de mort de façon à ce que celle-ci soit plus “paisible”. Il a notamment regretté de ne pas avoir procédé à plus d’exécution et arborait le surnom de “faucheur” ou “ange de la mort”, surnom attribué par le journal Asahi Shinbun.

[15] : http://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.japantimes.co.jp%2Ftext%2Fnn20120325a5.html

[16] : ibid.

[17] : http://lexalgeria.free.fr/penal3.htm

[18] : Article 77, alinéa 1 : “L’attentat, dont le but a été, soit de détruire ou de changer le régime, soit d’exciter les citoyens ou habitants à s’armer contre l’autorité de l’État, ou s’armer les uns contre les autres, soit à porter atteinte à l’intégrité du territoire national, est puni de la peine de mort.

[19] : Article 80 : “Ceux qui ont levé ou fait lever des troupes armées, engagé ou enrôlé, fait engager ou enrôler des soldats ou leur ont fourni des armes ou munitions, sans ordre ou autorisation du pouvoir légitime, sont punis de la peine de mort.

Artile 81 : “Les commandants qui ont tenu leur armée ou troupe rassemblée, après que le licenciement ou la séparation en a été ordonné, sont punis de la peine de mort.

[20] : Article 84, alinéa 1 : “Ceux qui ont commis un attentat dont le but a été de porter le massacre ou la dévastation dans une ou plusieurs communes, sont punis de mort.

[21] : http://lexalgeria.free.fr/penal3.htm

[22] : https://www.peinedemort.org/zonegeo/DZA/Algerie

[23] : http://www.joradp.dz/FTP/Jo-Francais/1964/F1964049.pdf

[24] : https://www.peinedemort.org/document/11241/La-France-promulgue-la-nouvelle-convention-d-extradition-avec-l-Algerie

[25] : Loi n° 2021-302 du 22 mars 2021

[26] : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/05/13/l-algerie-ratifie-la-nouvelle-convention-d-extradition-avec-la-france_6080055_3212.html

[27] : https://www.courrierinternational.com/article/justice-apres-la-tunisie-lalgerie-reflechit-appliquer-de-nouveau-la-peine-de-mort

[28] : https://www.aps.dz/algerie/112953-apn-adoption-du-projet-de-loi-relatif-a-la-prevention-et-a-la-lutte-contre-l-enlevement

[29] : “Il n’y aura pas de peine : a) de mort, sauf en cas de guerre déclarée, selon les termes de l’article 84, XIX”

[30] : https://information.tv5monde.com/info/le-bresil-abolitionniste-avant-tout-le-monde-5325

[31] : ibid.

[32] : https://www.ledevoir.com/monde/ameriques/543715/bresil-bolsonaro-s-oppose-au-retablissement-de-la-peine-de-mort

[33] : https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/16/bresil-bolsonaro-s-oppose-a-son-fils-sur-la-question-de-la-peine-de-mort_5398442_3210.html

[34] : https://lepetitjournal.com/rio-de-janeiro/actualites/peine-de-mort-abolie-depuis-plus-de-120-ans-elle-reste-toujours-lesprit-des-bresiliens-36505

[35] : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2018001/article/54974-fra.htm

[36] : https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/HRC/Pages/NewsDetail.aspx?NewsID=26780&LangID=F

[37] : https://www.peinedemort.org/document/10459/Rapport-d-Amnesty-international-Condamnations-a-mort-et-executions-en-2018 (rapport publié en 2019).