Posté le 14 décembre 2020 par Gregoire Perrot
Dans la très longue liste de ce que l’école nous fait intérioriser, le vote se trouve inscrit. Passage obligé, l’élection des délégués apprend à chacun la participation démocratique. Il serait amusant de relever qu’avant le fond c’est déjà la forme qui prime lorsque les écoliers décident pour qui voter. Toutefois, c’est bien le vote qui nous intéresse, et le fait que déjà c’est un choix unique qui doit être fait. Tout composite que sont nos sociétés, nos démocraties scolaires à Européenne en passant par celles de nos universités font toujours primer la majorité qui s’est exprimée sur une minorité, c’est le principe même d’un vote. On se contente souvent d’obtenir la majorité sans chercher à trouver la solution consensuelle. D’autant que la majorité n’est jamais « réellement » majoritaire. En effet le consensus on ne le trouve jamais dans le cœur du vote, mais toujours dans sa forme. Le plus souvent un scrutin uninominal ou un scrutin de liste auxquels on ajoute un second tour, c’est ici que l’on fonde la majorité — majorité relative dès que le second tour doit départager plus de deux candidats — d’un camp qui fait partie d’un de ceux déjà près sélectionnés.
Et pourtant même quand il est question de choisir un canapé, une heure de rendez-vous ou la couleur d’un logo, plus généralement, dès qu’il est question de faire organiser dans nos groupes quelques aspects que ce soit de démocratie interne nous sommes capables de trouver d’autres moyens que le simple choix unique. Tout bon organisateur ponctuera toujours l’introduction de son sondage Messenger par un : n’hésitez pas à mettre le plus de choix possible. Pourquoi donc, ne choisissons-nous pas nos délégués, nos députés et autres présidents d’association du troisième âge par des modes de votes moins binaires ?
Le vote par approbation ou préférentiel permet d’insérer dans l’enveloppe plusieurs bulletins de vote, ce mode de scrutin permet d’éviter deux mécanismes, celui du vote utile et celui du rejet direct des « petits candidats ». Le vote utile est une déformation de la pratique du vote du citoyen visant à voter non pas pour le candidat qui emporte le plus son approbation, mais celui qui a le plus de chance de l’emporter contre le candidat considéré comme le plus nocif. Le rejet des petits candidats n’est pas tellement éloigné. C’est de ne pas envisager de voter pour les candidats dont il est prévu par les sondages qu’ils n’atteindront pas la barre des 5 % barre symbolique dans la tête de l’électeur, mais surtout politique dans les faits, car une fois dépassé elle permet le remboursement des frais du candidat et, dans certains cas, de pouvoir fusionner sa liste avec une autre pour le second tour. Le fait de pouvoir schématiquement voter pour plusieurs candidats permet d’envisager l’élection d’une façon plus ouverte sans peur de « perdre » son vote. À noter que le vote préférentiel a récemment reçu l’assentiment de Bruno Retailleau. Le sénateur LR veut en faire le système de vote pour une future primaire de la droite[i].
On pourrait même envisager d’aller au-delà du bulletin de vote comme on l’entend aujourd’hui, avec un ou plusieurs noms. C’est le cas du système de vote par note ou par valeurs. Le principe est dans l’énoncé. Pour chaque candidat l’électeur attribue une note, gagne celui avec la meilleure moyenne. Le vote peut consister à donner une note de 0 à 20, de – 1 à 1 ou de 0 à 2, selon la formule retenue.
Ce mode de vote alternatif a été testé avec le vote par approbation lors de l’élection présidentielle de 2012, en parallèle du vote national [ii] dans les bureaux de vote de trois communes. Après correctif, on constate que François Hollande gagnerait encore plus largement l’élection, 9,70/20[iii] avec le vote par note, et 49 % avec le vote par approbation contre 28,63 % lors de l’élection. Suivant le mode vote utilisé, la position des autres candidats n’est plus là même. Nicolas Sarkozy ne garde sa place de second qu’au vote par approbation, et fini à 4e avec le vote par note. Une mention au grand gagnant de ces modes de vote alternatif : François Bayrou. 5e lors de l’élection, il se classe 3e au vote par approbation et au vote par note de 0 à 20 et même 2 pour le vote par note allant de -1 à 1 et pour celui allant de 0 à 2. Un dernier résultat, dans l’hypothèse de notes allant de -1 à 1, ce qui signifie la possibilité d’une note négative, Marine Le Pen est la grande perdante. En effet, elle passe de la troisième à la 8e place, sur 10 candidats. Plus généralement, on constate que ces modes de vote sont plus plébiscités par l’électorat de gauche comme le relate l’expérimentation.
Une autre expérience relate bien cette prégnance des modes de vote alternatif à gauche. LaPrimaire.org, en partenariat avec le CNRS, l’Université de Paris-Dauphine et l’École Polytechnique, a organisé un vote en ligne avec le jugement majoritaire[iv]. Étant donné que : le vote se déroulait en ligne sur ma base du volontariat, qu’il y’a relativement peut eu de publicité, et considérant la présence des quatre candidats se déclarant de gauche, dans les cinq premiers, on peut sans mal déduire que celle et ceux qui ont participé à cette consultation sont politiquement à classer à gauche.
Au-delà de cette consultation, qu’est-ce que le jugement majoritaire ? Il est intéressant de finir cet article par ce mode de vote, car il est à la foi le plus compliquée et donc revendiqué comme le plus aboutit. Le jugement majoritaire est issu du travail de deux mathématiciens du CNRS, Michel Louis Balinsk et Rida Laraki[v]. Il se base sur le principe de la meilleure médiane. On demande à l’électeur d’attribuer une mention au candidat : « Très bon », « Bon », « Assez bon », « Passable », « Assez mauvais », « Mauvais » ou « à rejeter ». Pour chaque candidat il est additionné les mentions attribuées — en cas d’absence de mention sur un bulletin il est attribué la mention passable. Il est ensuite tracé une médiane majoritaire pour déterminer quelle mention correspond le mieux à un candidat pour la majorité plus un des électeurs. Le candidat avec la meilleure mention gagne. Malgré son caractère très compliqué, le jugement majoritaire bénéficie même d’une association de soutien : mieux voter (le nom est bien trouvé), qui bénéficie d’un assez grand nombre de soutiens.[vi]
Le jugement majoritaire est symptomatique d’un grand nombre de questions que posent les modes de vote alternatifs. Un candidat à 14/20 peut sembler être une très bonne note pour certains et juste passable pour d’autres. Certains pourraient vouloir réserver la mention « Très bon » au nouveau De Gaulle ou Mitterrand, quand d’autres l’utiliseront à toutes les élections. L’autre question est celle de la difficulté du vote. Un seul candidat pour qui on vote c’est quelque chose de simple direct, c’est faire un choix clair. On peut aussi inverser la chose, faire remarquer que dans les deux études mentionnées ici, les électeurs ont préféré un mode de vote alternatif au vote traditionnel — on peut aussi se dire que c’est l’effet de nouveauté. Il faut aussi considérer que le fait de ne choisir qu’un seul candidat favorise bien cette recherche d’idéal. Enfin on peut aussi se demander si la crise démocratique que nous vivons n’appelle justement pas un mode de vote nouveau, qui donnerait l’impression de pouvoir réellement évaluer le candidat sans donner l’impression de voter avec la même conviction à chaque élection.
Le sujet est très vaste. Trop pour pouvoir être traité en un seul texte, considérant qu’il faudrait aussi faire mention à toutes les formules mathématiques qui tente de démontrer la meilleure solution. Toutefois, l’ambition de cet article aura été d’essayer de démontrer l’utilité que nous avons à interroger cette question du vote. Quitte à revenir in fine, au système que nous utilisions déjà et que nous intériorisons depuis enfante.
Grégoire PERROT
[i] Belouezzane, Sarah « Présidentielle 2022 : Bruno Retailleau souhaite organiser une primaire chez Les Républicains », 09 décembre 2020 à 18 h,
[ii] Baujard, Antoinette, et al. « Vote par approbation, vote par note. Une expérimentation lors de l’élection présidentielle du 22 avril 2012 », Revue économique, vol. vol. 64, no. 2, 2013, pp. 345-356.
[iii] Il faut considérer que les électeurs ayant mis de très bonnes notes (≥15) à NS ou MLP en on mit des très mauvaise (<5) à FH.
[iv] Balinsk Michel Louis, Laraki Rida, LaPrimaire.org, : « Résultats du Vote au “Jugement Majoritaire” Expérience Facebook/LaPrimaire.org Election Présidentielle de 2017 », 16 mai 2017 :
[v] Balinski M. et R. Laraki (2013). « Jugement Majoritaire vs Vote Majoritaire (via les Présidentielles de 2011-
2012) ». Revue Française d’Economie. N° 4, volume XXVII, 11-44.