Groupe Socialiste Universitaire


Éducation

Le mal-être étudiant : illustration d’une fracture entre la nouvelle génération et le Gouvernement

Posté le 4 avril 2021 par Groupe Socialiste Universitaire

« En limitant l’accès des étudiants aux cours en présentiel, c’est toute une génération que vous sacrifiez et l’avenir du pays que vous mettez en danger » peut-on lire dans la lettre ouverte rédigée par jeunes de l’Université de Haute-Alsace adressée au Président de la République. Depuis plusieurs mois maintenant, des écrits de jeunes en détresse circulent afin d’interpeller le Président de la République et son gouvernement. A travers des lignes mêlant désespoir et colère, les étudiants se sentent abandonnés et demandent davantage de mesures les concernant. Lucile Bregeon, étudiante à l’université de Nantes, parle d’un « cri de détresse d’une génération en péril » ou encore Heidi, étudiante à Strasbourg, affirme ne plus avoir de rêves. Bien d’autres écrits encore témoignent de leur souffrance générée en grande partie par les mesures prises par le gouvernement pour répondre à la crise sanitaire du COVID-19. Cette nouvelle génération tente de tirer la sonnette d’alarme et de revendiquer plus de visibilité au sein du débat politique. Les étudiants sont en colère car les annonces du gouvernement arrivent au compte goutes et trop tardivement ; ils doivent se débrouiller seuls. Cet abandon à l’égard de la nouvelle génération entretient alors un sentiment de rancune des jeunes vis-à-vis de l’Etat. Ils considèrent être « l’angle mort » du gouvernement et regrettent l’absence d’actions adéquates de la part de Madame la Ministre Frédérique Vidal pour tenter de créer un dialogue constructif et productif en concertation avec eux.

La crise sanitaire a intensifié le phénomène de précarité étudiante. Les trois secteurs les plus alarmants sont la santé, le logement et l’alimentation. Une enquête de la Fédération des Associations Générales Étudiantes révèle que 74 % des étudiants ont rencontré des difficultés financières depuis mars 2020 et la moitié ont eu du mal à payer leur loyer ou à s’alimenter correctement. Le gouvernement a tardé à décider la mise en place des repas à un euro dans les restaurants universitaires du CROUS[1]. En effet, il a tardivement accordé cette aide aux étudiants boursiers puis l’a étendue très récemment à “tous les étudiants”. Cependant, alors que Frédérique Vidal déclarait que cette aide allait bénéficier à “près de 20 000 étudiants non boursiers et près de 28 000 étudiants boursiers”[2], on recense un total de 1 675 100 étudiants inscrits dans les universités de France métropolitaine et des DROM[3]. De nombreuses autres difficultés entrent en compte, comme le coût des masques chirurgicaux et du gel hydro-alcoolique qui représente un budget supplémentaire non négligeable. On note également un impact sur l’accès au soin et une fracture numérique qui creusent les inégalités sociales. Cette situation est d’autant plus inquiétante que nombre d’entre eux ont perdu leur emploi. En effet, la plupart de ces jeunes occupaient un travail dans la restauration mais aujourd’hui, c’est un secteur sinistré en raison de la crise sanitaire et économique. D’ailleurs, il est important de noter que pour 46% d’entre eux, l’argent gagné leur permet de financer leurs études selon une étude de l’Observatoire de la vie étudiante.

D’admirables initiatives solidaires ont alors été organisées par des associations étudiantes et caritatives afin de venir en aide aux étudiants en situation de détresse. Lors du premier confinement par exemple, plus de 1000 étudiants de l’Université Paris 8 ont demandé une aide alimentaire d’urgence auprès du Secours populaire[4] qui a alors assuré une distribution de colis contenant des produits de première nécessité à un grand nombre d’étudiants et qui a ensuite étendu cette distribution dans toute la France. Entre autres, il y a également la création de la cagnotte #OnRemplitLeFrigo[5] qui a permis d’assurer une distribution de paniers repas aux jeunes en situation de précarité.  Lors d’une interview, le Président de la République s’est dit ému par ces étudiants qui étaient dans la nécessité de recourir à des associations pour se nourrir[6]. Cependant, aujourd’hui, les jeunes réclament des solutions concrètes et précises et non pas de simples paroles et des aides dérisoires, car ce genre d’initiatives solidaires ne fait au mieux que masquer l’inefficacité et le peu de considération du service public envers les étudiants.

D’autre part, la pandémie a accentué le phénomène du décrochage scolaire. En effet, beaucoup d’étudiants se détachent de leur formation, certains abandonnent même. Alors que le maintien du lien physique entre les professeurs et leurs élèves est capital, les étudiants se retrouvent isolés et suivent des enseignements à distance dans la grande majorité du temps. D’ailleurs certains étudiants vivent dans un environnement peu propice à l’apprentissage.  Ils rentrent alors dans une routine dangereuse dans laquelle ils perdent leur rythme de travail et leur motivation. Depuis début janvier, les étudiants de première année et les étudiants étrangers, ainsi que ceux souffrant d’un handicap ou les étudiants en précarité numérique sont autorisés à retourner à l’université un jour par semaine avec une jauge maximale de 20%. Cependant, ce retour en cours reste inopérant et inefficace car il se révèle insuffisant et discriminant. En effet, beaucoup d’étudiants se considèrent être en situation d’injustice vis-à-vis de leurs camarades. De plus, malgré les aides du gouvernement, la fracture numérique creuse les inégalités entre les étudiants et a comme impact direct le décrochage scolaire ; l’accès au numérique est aujourd’hui un outil essentiel et constitue le premier canal de communication entre les professeurs et les étudiants en temps de crise sanitaire. 

Indéniablement, la crise du COVID-19 a eu également un impact important sur la santé mentale des jeunes. En effet, ils ont très peu, voire plus du tout de liens sociaux ; leur vie sociale se retrouve à l’arrêt. Ce phénomène est encore plus important chez les étudiants de première année et étrangers qui sont entrés dans un monde nouveau, celui de l’université, dans lequel ils n’ont eu que très peu de temps pour prendre leurs repères. Ils ne parviennent plus à se projeter et se retrouvent dans une situation d’incertitude vis-à-vis de l’avenir. L’isolement vient également peser de manière considérable sur le moral des étudiants. D’autant plus qu’ils ont le sentiment qu’on leur vole leurs « belles années ». Tous ces facteurs contribuent à développer de la frustration et à favoriser le stress chez les jeunes poussant certains d’entre eux en situation de détresse jusqu’au suicide. Rappelons qu’aujourd’hui, le suicide représente la seconde cause de mortalité chez les jeunes de 15-25 ans. Aujourd’hui, on considère que 43% des étudiants présentent au moins un trouble de santé mentale. [7]

C’est véritablement une urgence sociale qui ne peut se régler par la présence par-ci par-là de quelques psychologues, d’assistants sociaux ou d’ateliers de « bien-être » organisés au sein des universités. Les « chèques-psy »[8] sont entrés en vigueur le 1er février 2021. Ils permettent « à tous les étudiants qui le souhaitent » de consulter un psychologue, un psychothérapeute ou un psychiatre. Ce « chèque psy » doit être demandé préalablement soit à un médecin de santé universitaire, soit à un médecin particulier qui a passé une convention avec les services de santé. C’est seulement après cette étape que l’étudiant pourra être redirigé vers un psychologue. Ainsi, on se rend compte que l’accès à ces soins est lourd administrativement et donc souvent décourageant. D’ailleurs, les étudiants sont limités à un maximum de trois consultations d’une durée de 45 minutes. De plus, ces chèques ne s’étendent pas aux jeunes qui sont sortis du cadre universitaire alors qu’ils sont eux aussi victimes du contexte actuel. Là encore, cette mesure est jugée insuffisante bien qu’elle soit nécessaire. Ainsi, aujourd’hui toute la population étudiante se retrouve impactée que ce soit dans ses conditions de vie sociale ou d’apprentissage. 

Dans sa note[9] publiée le 22 février 2021, Le Groupe Socialiste Universitaire propose quatre mesures d’urgence afin de lutter contre la crise sociale que traversent les jeunes. Cette note a été remise au Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche, et de l’Innovation et au Ministère des solidarités et de la santé en espérant qu’ils y prêtent une grande attention et qu’ils puissent rendre ces mesures effectives dans les plus brefs délais. Elles ciblent particulièrement les étudiants et les jeunes entre 18 et 30 ans entrant sur le marché du travail. Tout d’abord, il est demandé l’annulation des loyers d’hébergement du CROUS et des logements sociaux pour toute l’année 2021 afin de soulager financièrement les étudiants. En effet, cela leur permettrait de pallier leurs difficultés liées notamment à la perte de leur emploi et d’accroître leur pouvoir de consommation. Ensuite, cette note réclame le doublement des APL pour les jeunes qui vivent dans le parc privé sur toute l’année 2021. Une autre mesure encore sollicite la mise en place d’une reprise de dette sur trois ans pour les jeunes de 18 à 30 ans car beaucoup d’entre eux se sont endettés pour financer leurs études ou tout autre projet personnel. Cela représente un frein considérable à la poursuite de leurs études et donc à une bonne insertion sur le marché du travail. Aujourd’hui, alors que nous sommes dans une économie meurtrie par la crise sanitaire et économique, il est plus que nécessaire de pousser notre jeune génération à poursuivre ses études et à monter en qualification. Enfin, il est demandé d’abaisser les seuils règlementaires pour que les jeunes de moins de 25 ans bénéficient du RSA car les conditions pour en jouir sont jugées trop restrictives. 

Il est important de souligner la mobilisation des sénateurs socialistes, avec à leur tête Rémi Cardon, qui ont lutté pour l’extension du RSA d’un peu plus de 500 euros aux jeunes entre 18 et 25 ans dans une proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans. Le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner affirme que « ce n’est pas une démarche idéologique, c’est quasiment humanitaire ». Cependant, le 20 janvier 2021, le Sénat, à majorité de droite, a rejeté cette proposition de loi sans aucune proposition alternative. En effet, la droite sénatoriale et le Gouvernement considèrent que l’extension du RSA n’est pas la solution et que ce sont essentiellement les conditions d’insertion sociale et professionnelle des jeunes qui sont déterminantes. 

Ainsi, les mesures apportées par le gouvernement sont certes indispensables mais pas suffisantes. Les étudiants sont conscients que la période actuelle est déterminante pour l’avenir et que faire des concessions devient une nécessité mais il est tout de même indéniable qu’ils ne bénéficient pas d’une aide conséquente afin de pallier leurs difficultés, que ce soit sur le plan scolaire, psychologique ou matériel. Leurs revendications sont plus que légitimes et le gouvernement a le devoir de prendre en compte l’ensemble des problématiques les concernant et de les placer au centre du débat politique. C’est un enjeu essentiel auquel on doit accorder davantage de temps et de moyens car la jeune génération d’aujourd’hui sera la France de demain. 

Par C.B, membre du Pôle Éducation


[1] Centre Régional des Oeuvres Universitaires Scolaires 

[2] Discours de Frédéric Vidal au Crous de Créteil le 25 janvier 2021

[3] Chiffre pour l’année 2019-2020 sur le site du Ministère de l’Enseignement supérieur 

[4] Action collective organisée par : RUFS Paris 8- Saint Denis , le Secours Populaire de Saint-Denis,  Solidaires étudiant.e.s Saint-Denis 

[5] Action menée par l’entrepreneure Brunella Emmanuelli, le journaliste Babacar Sall ainsi que le twittos Philousports

[6] Interview Brut du 4 décembre 2020

[7] Selon une enquête menée par le Centre Nationale de Ressources et Résilience et le Fonds FHF Recherche & Innovation 

[8] D’autres aides psychologiques sont disponibles pour les étudiants avant et pendant la mise en place des “chèques-psy” comme le Bureau d’aide psychologique universitaire (BAPU) ; Les Happsy Hours créées par l’association Apsytude et enfin les Nightlines qui sont un service d’écoute à disposition des étudiants 

[9] « Crise sociale des jeunes : des réponses d’urgence face à une situation d’urgence », Note du Groupe Socialiste Universitaire