Groupe Socialiste Universitaire


Egalité des genres, Le GSU

La constitutionnalisation de l’interruption volontaire de grossesse : qu’en est-il aujourd’hui ?

Posté le 20 septembre 2023 par Groupe Socialiste Universitaire

Crédits image : Manifestation du comité Nous Toutes Paris Nord le 1er février ©Joséphine, pour le Collectif La Faille

Plus de quarante cinq ans après l’adoption de la loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), dite loi Veil, portée par l’ancienne ministre de la santé Simone Veil, le débat autour de la constitutionnalisation de la procédure d’IVG a été porté devant le Parlement. Beaucoup ont penser qu’il s’agissait d’une simple réaction au revirement de la jurisprudence de la Cour Supreme américaine Roe v. Wade[1], dans l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization[2], qui met fin à l’obligation qui incombe aux Etats fédérés de garantir un accès à l’IVG aux personnes sollicitantes. Toutefois, l’accès à l’IVG est manifestement fragilisé dans de nombreux pays proches de la France, c’est le cas en Hongrie où le gouvernement de Victor Orban et sa majorité parlementaire travaille pour durcir les conditions d’éligibilité à l’IVG. Dès 2010, la révision constitutionnelle hongroise intégrait dans le titre sur les « libertés et responsabilités », à l’article 2 que «  la vie de l’embryon et du fœtus est protégée dès le moment de la conception »[3], disposition dont le sens embrasse parfaitement la politique anti-IVG du président Orban. La volonté de protéger, en France, le droit fondamental que dispose les personnes d’avoir recours à une procédure interrompant leur grossesse est d’autant plus légitimé par le contexte international d’inflexion des droits des personnes à disposer de leur corps.

Alors que l’adoption de la loi de 1975 dépénalisant l’avortement avait réussi à aboutir sur un accord entre parlementaire de tout bord, sur fond d’argument de santé publique plutôt que d’idéologie politique, l’inscription dans la Constitution du 10 octobre 1958 d’un droit à l’IVG ne semble pas faire consensus que ce soit entre les Parlementaires mais aussi entre les universitaires.

L’idée de cette constitutionnalisation n’est pas non plus nouvelle puisqu’elle devait fait partie de la révision constitutionnelle proposée par le Président E. Macron en 2018. Depuis juin 2022, six propositions de lois ont été déposée à l’Assemblée Nationale et au Sénat dont une a été adoptée le 1er février dernier par la Chambre Haute. Par ailleurs, la question intéresse également le pouvoir exécutif puisque le Président E. Macron a, à nouveau, exprimé sa volonté de réviser la Constitution en ne manquant pas d’intégrer à une disposition « la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse »[4]. Plusieurs techniques juridiques sont donc mobilisées dans l’espoir d’aboutir à la sécurisation de ce droit fondamental en France.

Naissent de ces débats deux axes d’interrogations légitimes, le premier sur les raisons de la constitutionnalisation du droit à l’IVG et le second sur les effets que cela pourrait avoir sur la pratique que nous connaissons actuellement. 

Pourquoi constitutionnaliser ?

La question peut sembler anodine dans une société qui reconnaît le droit des personnes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse, pourtant, comme l’explique la politologue Hazel Atay dans une tribune au monde publiée le 1er février 2023 « dans un monde où le droit à l’avortement est menacé, sa constitutionnalisation ne bouleverserait pas la France mais serait plutôt l’occasion de montrer l’exemple au niveau mondial ». Il y a un double objectif de sécurité juridique et de rasséréner la population sur le caractère effectif de leur droit à disposer de leur corps.

La constitution revêtant l’appellation de norme supreme du pays, se place au sommet de la hiérarchie des normes en droit français. Ainsi, les normes constitutionnelles ont une valeur qui transcende celle des dispositions législatives. C’est un argument qui convainc un nombre important d’auteurs, d’autant plus que la constitution d’un Etat est le reflet des principes et valeurs autour desquels s’articule cette même société.[5]

D’autres auteurs notamment des praticiens du droit argue qu’il n’est pas nécessaire de consacrer son activité législative à ce projet de constitutionnalisation puisqu’il s’agit seulement d’une réaction à vif au revirement de jurisprudence américain. Pour appuyer leur propos, ils n’hésitent pas à mettre en exergue deux décisions du Conseil constitutionnel, l’une datant du 27 juin 2001 (n°2001-446) et la seconde du 16 mars 2017 (n°2017-747), qui reconnaît le recours à l’IVG comme une liberté découlant de l’article second de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Ces deux décisions sont, aux yeux de certains auteurs, une consécration suffisante de la part du juge constitutionnel français. Force est de constater que le principe de laïcité s’applique à toute personne ayant la qualité de juge – ou plus généralement de magistrat – contrairement aux juges de la Cour supreme américaine qui sont appointés sur la base de leurs opinions politiques. Il est donc difficile d’imaginer que, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel puisse porter atteinte à ce droit.

Les effets de la constitutionnalisation sur le régime actuel ?

Comme explicité à l’instant, l’inscription du droit à l’IVG dans la constitution semble une solution vertueuse en théorie. L’effet principal serait de parachever l’intention initiale de la loi de 1975, en donnant à cette liberté un plus grand retentissement juridique puisque la révision constitutionnelle n’est pas une procédure facile. Pour illustrer cela, il n’est pas impossible d’imaginer que dans une conjoncture politique différente de celle que nous connaissons, le législateur désire porter atteinte à ce droit ce qui lui sera rendu plus complexe avec une consécration au rang constitutionnel. En somme, constitutionnaliser n’aurait que pour effet de renforcer la régime actuel.

Un seul problème se pose pour un renforcement effectif de l’accès à l’IVG : la clause de conscience invocable par les médecins.[6] Cela signifie qu’un médecin n’est jamais tenu à l’exercice d’une interruption volontaire de grossesse si ses convictions personnelles vont à l’encontre de cet acte médical. Certains présentent la clause de conscience comme la conciliation de la liberté de conscience et le droit à l’avortement, pourtant il s’agit de « deux droits antithétiques » puisque l’invocation de la clause infléchi la possibilité des personne à recourir à l’interruption volontaire de grossesse.[7] Il n’est pas possible d’avoir des données empiriques sur le nombre de médecins ayant de recours à cette clause, toutefois, le fait que le médecin jouissent de cette possibilité rompt le principe d’égalité d’accès au soins dont dispose tout usager du système de santé.

Cumulativement, le phénomène croissant de déserts médicaux sur le territoire national met à mal l’accès à l’IVG. Selon le site internet « vie publique », 30,2% des français vivent dans un désert médical. Les conséquences de cette faible densité de professionnel de santé sont le rallongement des délais des rendez-vous médicaux, le rallongement kilométrique d’accès à un praticien – spécifiquement pour les personnes dépourvu de moyens de locomotion personnel – l’augmentation du coût d’accès aux soins de manière générale.

Finalement, garantir un droit à l’avortement fiable et accessible en France ne réside pas uniquement dans l’inscription de cette liberté dans la constitution mais également dans la mise en place de centre médicaux permettant d’accueillir les patient.e.s sans qu’ils ne se heurtent à un refus de pris en charge basé sur des opinions politiques, philosophiques ou religieuses.

Lila Laborde, membre du pôle égalité des genres.

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[1] Roe v. Wade, 410 U.S. 113 (1973) 

[2] Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization 597 U.S (2022)

[3] Loi fondamentale Hongroise [Alaptörvénye] du 25 avril 2011.

[4] Hommage national à Gisèle Halimi, 8 mars 2023.

[5] D. Roman, S. Hennette-vauchez, S. Slama. « Pourquoi et comment constitutionnaliser le droit à l’avortement », revue des droits de l’Homme, juillet 2022.

[6] Article L. 2212-8 du Code de la Santé Publique

[7] T. Dumortier. « La loi IVG : l’effectivité de quel droit ? » dans « à la recherche de l’effctivité des droits de l’Homme », PU de Paris, 2008.