Groupe Socialiste Universitaire


Egalité des genres

Inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans la constitution, une avancée historiquement symbolique 

Posté le 4 mars 2024 par Groupe Socialiste Universitaire

Crédit photo : GILE Michel/SIPA

49 ans après la promulgation de la loi Veil dépénalisant l’IVG, ce lundi 4 mars 2024 le Congrès réunit à Versailles vient d’inscrire à l’article 34 de la Constitution, portant sur le domaine de la loi, que « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». C’est au Conseil Constitutionnel que reviendra désormais la charge de protéger cette liberté, désormais fondamentale. 

Une avancée historique pour la France qui devient ainsi le seul pays au monde à inscrire clairement et en des termes explicites, la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans un texte à valeur constitutionnelle. Historiquement, l’ex-Yougoslavie était le premier pays à avoir constitutionnalisé l’avortement en 1974 puisque l’article 191 de sa constitution disposait que : « c’est un droit de l’Homme de décider librement de la naissance de ses enfants »[1]. Il est également possible de considérer que l’actuel article 55 de la Constitution Slovène fait référence indirectement au droit de recourir à l’IVG en disposant que : « la décision d’avoir des enfants est libre. / L’État garantit les possibilités de réalisation de cette liberté et crée les conditions qui permettent aux parents de décider de la naissance de leurs enfants »[2]

Un long chemin parcouru 

C’est en réaction à la suppression du droit fédéral d’avorter par la décision de la Cour Suprême des États-Unis, que Mathilde Panot (députée et présidente du groupe LFI) soumet au vote de l’Assemblée nationale, le 24 novembre 2022, une proposition de loi visant à constitutionnaliser l’IVG. Le 1 er février 2023, c’était au tour du Sénat de se prononcer sur l’adoption de cette proposition de loi. Il a ainsi voté favorablement ce texte après avoir adopté l’amendement du sénateur Philippe Bas (ancien collaborateur de Simone Veil du groupe LR). Cet amendementqui a permis l’adhésion d’une partie suffisante du groupe LR pour que soit adopté le texte, a toute son importance dans le processus de constitutionnalisation de l’IVG puisqu’il est venu apporter des modifications majeures au texte. 

En ce qui concerne la première modification : la proposition de rédaction initiale créait un nouvel article 66-2 disposant que : « nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits ». Le nouvel amendement adopté par le Sénat propose quant à lui de modifier l’article 34 pour y ajouter la disposition suivante « la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse »[3].   

En ce qui concerne la seconde modification apportée : si la proposition initiale se voulait plus inclusive en évitant une rédaction qui conditionnerait l’accès à l’IVG au fait d’être assigné officiellement au genre féminin. L’idée était que les personnes transgenres puissent être incluses dans cette constitutionnalisation de l’IVG. La modification apportée par le Sénat s’écarte de cette rédaction puisqu’elle se borne à associer la liberté de mettre fin à sa grossesse au genre féminin. Dans son avis rendu le 7 décembre 2023, le Conseil d’État précise alors au point n°15 qu’« il résulte de l’objet même de cette liberté et conformément à l’intention du Gouvernement qu’elle doit être entendue comme bénéficiant à toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil (…) » [4].

À la suite de ces 2 votes, Emmanuel Macron avait annoncé le 8 mars 2023 qu’il souhaitait inscrire dans la Constitution française la liberté pour les femmes de recourir à l’avortement[5].  C’est alors qu’un projet de loi, reprenant la proposition de loi dans les termes arrêtés par le Sénat, a été soumis au vote des 2 assemblées. Elles ont respectivement adopté sans modification le texte qui leur a été soumis le 30 janvier pour l’Assemblée nationale et le 28 février pour le Sénat. 

 L’avantage de la modification de la Constitution par un projet et non par une proposition de loi, résulte en ce que le texte n’a pas à être soumis à une approbation par référendum. Il suffit d’un vote d’approbation réunissant la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés[6] par les Assemblées réunit en Congrès, pour que soit modifiée la Constitution. 

Une disposition symbolique loin d’offrir des garanties réelles

Ce texte de compromis basé sur l’amendement du Sénat porte surtout l’ambition d’être bien plus symbolique que juridique puisque malgré la constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’IVG, il faudra continuer de se battre pour que cette liberté soit effective. Le terme de « liberté garantie » qui a été retenu n’implique pas d’obligation positive envers l’État quant à l’accès à l’avortement. D’après les termes du syndicat des avocats de France (SAF) : « la liberté peut être restreinte là où le droit doit être garanti » car c’est « la notion de droit qui, renvoie à l’idée d’une véritable créance vis-à-vis de l’État, qui imposerait l’effectivité de l’accès à l’avortement »[7].

En d’autres termes, Mathilde Philip-Gay (professeure de droit à l’Université Jean Moulin de Lyon) explique sur France Inter qu’« une liberté, c’est la faculté de faire quelque chose, (…) de procéder ou non à l’interruption volontaire de grossesse ». Tandis que « le droit à l’IVG, c’est la garantie que si une personne le souhaite ou si c’est nécessaire, elle pourra procéder à une interruption volontaire de grossesse. La liberté est garantie par la loi, alors que le droit doit être garanti en lui-même »[8].

Ainsi, malgré cette constitutionnalisation, de nombreux problèmes pourront continuer de persister :  les délais d’attente pour avoir recours à une IVG pourront continuer de s’allonger (moins de 6 jours d’attentes dans les Pays-de-la-Loire pour 8 à 11 jours dans les Hauts-de-France[9]), des centres pourront continuer de fermer (130 centres ont fermés en une quinzaine d’années[10]), les médecins pourront continuer de refuser de pratiquer cet acte médical essentiel, les pénuries de médicaments ne seront pas réglées et les disparités territoriales pourront continuer de se creuser (17% des avortements sont réalisés en dehors du département des patientes)[11]… Il convient de noter, en outre, que cette modification de la Constitution n’empêchera pas qu’à l’avenir le Parlement puisse revenir sur les conditions d’accès à l’IVG ou bien restreindre son délai.  

Si le texte constitutionnalisé est moins puissant, moins protecteur et moins engagé que la proposition de loi à l’origine du processus de constitutionnalisation, cette victoire n’en est pas moins importante. La constitutionnalisation de la liberté de recourir à l’IVG est une victoire pour les droits des femmes et nous pouvons nous féliciter que la France soit à l’origine d’une telle avancée qui pourrait influencer d’autres États

Par Lepeinteur Chloé, membre du pôle Égalité des genres


[1] https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1974_num_26_4_15623 (p.193-194) 

[2] https://mjp.univ-perp.fr/constit/si1991.htm

[3] https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/143/Amdt_1.html

[4] https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-constitutionnelle-relatif-a-la-liberte-de-recourir-a-l-interruption-volontaire-de-grossesse

[5] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/03/08/hommage-national-a-gisele-halimi

[6] https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019240655

[7] https://lesaf.org/constitutionnalisation-de-livg-un-leurre-grossier/

[8] https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-droit-devenu-liberte-que-change-la-formule-choisie-par-le-senat-pour-constitutionnaliser-l-ivg-8800060

[9] https://www.capital.fr/economie-politique/ivg-dans-la-constitution-le-delai-dattente-pour-avorter-en-france-selon-les-departements-1493045

[10] https://www.planning-familial.org/fr/avortement-100

[11] https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/28/acces-a-l-ivg-dans-la-pratique-des-obstacles-perdurent-en-france_6133817_4355772.html