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Europe et géopolitique, Recherches

“CREO ya no te creo” ? Première année au pouvoir de Guillermo Lasso : instabilité, changements et perspectives pour l’Équateur

Posté le 14 juin 2022 par Groupe Socialiste Universitaire

Par Nicolas Segovia Mejia, membre du pôle Europe et géopolitique du GSU

Le 14 mai 2021, l’Équateur a connu un changement majeur dans son histoire politique. Après avoir été écartée du pouvoir pendant 18 ans, la droite est revenue au pouvoir, l’ex-banquier Guillermo Lasso Mendoza ayant gagné l’élection présidentielle de 2021. Sa victoire a marqué un changement majeur dans la direction politique du pays car depuis la crise financière des années 2000, le pouvoir a toujours été occupé par des gouvernements à tendance socialiste, avec de grandes figures charismatiques comme Lucio Gutierrez ou Rafael Correa. La société, marquée par la crise économique causée par la dévaluation du sucre et le remplacement de celui-ci par le dollars étasunien, a perdu toute confiance en la classe économique dirigeante, qu’incarne la droite conservatrice. Toutefois, malgré la crise économique causée par l’épidémie du COVID-19, l’influence de ses pays voisins et les fortes manifestations sociales des mouvements indigènes, c’est la droite conservatrice qui a remporté les élections, bien qu’avec des alliances et des compromis avec ses rivaux politiques.

Dans son discours d’investiture, Guillermo Lasso a bien affirmé sa volonté de mettre fin à la représentation du politique qui avait été faite depuis le début des années 2000, d’ouvrir “un nouveau cycle républicain”. Lasso a déclaré vouloir mettre fin au caudillisme et l’autoritarisme qui s’était imposé, selon lui, durant la présidence de Rafael Correa. Par là, Lasso met fin à une conception du gouvernement centrée sur des structures productives statiques et inchangées, ainsi que la forte personnalisation du pouvoir, en dépit de la place médiatique du Président de la République. Il promettait de protéger la démocratie équatorienne et de mettre fin à la corruption qui avait gangrené les gouvernements antérieurs. En outre, il affirmait vouloir abolir les persécutions idéologiques dont ont été victimes les membres des élites économiques et industrielles, les auto-entrepreneurs et les hauts fonctionnaires. 

Cela fait exactement un an et un mois depuis que Guillermo Lasso occupe le premier bureau du palais de Carondelet. Quel est son bilan ? Quelle est la situation du pays en ce moment et quelle route peut suivre son gouvernement face aux adversités ?

Pour bien comprendre la situation de l’Équateur, il faut avant tout faire un bilan de l’arrivée au pouvoir de Lasso, avant d’aborder les principaux changements imposés par son gouvernement et étudier l’instabilité politique et l’isolement dont est victime l’actuel président.

Une victoire imprévue et bouleversante

Pour comprendre cette victoire et le contexte social qui l’accompagnait, il faut remonter aux manifestations antigouvernementales qui ont eu lieu en 2019. A la suite de l’annonce de la fin des subventions pour les carburants, des grandes et très violentes manifestations ont eu lieu à Quito et se soldent par la destruction du centre historique de Quito et ses alentours, et des dizaines de blessés. Le parti au pouvoir ne pouvait plus briguer un second mandat. Ainsi, le taux d’approbation du président Lenin Moreno, a chuté à 7,1% en 2020. Cette chute a également été renforcée par les politiques d’austérité successives menées par Moreno et par les procédures visant son parti pour des faits de corruption.  Le parti au pouvoir du se résoudre à présenter Ximena Peña, une député à l’envergure politique modeste, comme candidate, la débâcle électorale étant inéluctable. La course au palais Carondelet s’est donc jouée entre trois grands candidats, Yaku Perez, candidat indigène, écologiste et anticapitaliste, Andrés Arauz, candidat socialiste, héritier de Rafael Correa, ancien président entre 2007 et 2017, et Guillermo Lasso, banquier et candidat à la présidence depuis 2013.

L’économiste de gauche Andrés Arauz s’est présenté en contrepartie du président Moreno, qualifié de “traître” à la révolution citoyenne, son mouvement d’origine, par Rafael Correa, qui regrettait de l’avoir nommé comme successeur en 2017. Arauz s’est présenté avec une plate-forme partisane qui prévoyait des changements importants dans la politique étrangère équatorienne, y compris le renversement de bon nombre d’accords mis en œuvre par Moreno pour obtenir un financement du Fonds Monétaire International. En outre, il voulait mettre en place un État social avec une intervention plus forte, proposant de très fortes subventions pour les familles les plus pauvres de l’Équateur.  Dans le contexte de la crise produite par l’immigration vénézuélienne à l’Equateur, une telle perspective l’a associé avec le régime de Nicolas Maduro.

L’Équateur a effectué un deuxième tour entre Arauz et Lasso, ce dernier s’imposant facilement. Il obtient 52,4% des voix contre 47,6% pour le candidat de gauche.

Pourquoi est-ce important?

Son arrivée à Carondelet a bouleversé l’approche de la politique équatorienne mise en place depuis 2003. Des changements majeurs comme une réforme des subventions aux hydrocarbures, la rationalisation des dépenses publiques, la réforme de l’enseignement supérieur ne sont que les points les plus importants de son programme. De plus, son approche des relations internationales est différente de celle de Arauz. S’il avait gagné, Arauz aurait adopté une position plus critique envers les États-Unis et l’Europe, plus inclinée envers la Chine et la gauche nationaliste mexico-argentine, voire venezualo-péruvienne.

La campagne de vaccination

L’un des grands succès de Lasso dans ses premiers mois de gouvernement a été sa campagne de vaccination. Reprenant les accords qui avaient été signés par le gouvernement Moreno, le gouvernement de Guillermo Lasso a étendu la vaccination contre la Covid-19 à l’ensemble de la population. L’Equateur est aujourd’hui l’un des pays les plus avancés dans la vaccination de sa population. Ceci a permis de mettre fin à certaines mesures sanitaires comme le port du masque ainsi que la réactivation économique.

Le Plan de Vaccination 9/100 promu par le Gouvernement et coordonné par le Ministère de la Santé Publique (MSP), a atteint une record dans le processus de vaccination à l’échelle régionale. 9 062 160 premières doses avaient été injectées le 31 juillet 2021. plus de la moitié des 17,6 millions d’équatoriens. Le succès de cette initiative est en partie dû à la stratégie diplomatique où aucun potentiel partenaire n’a été écarté de la liste pour l’achat de vaccin.

Cela signifie que l’Équateur continuera d’approfondir ses relations avec les États-Unis, l’Europe et l’Occident en général sans pour autant dénigrer ses relations avec Pékin et Moscou. Toutefois l’Équateur dépendra du FMI pour faire face aux conséquences économiques du COVID-19. Autrement dit : c’est un résultat stabilisant et un statu quo en politique internationale. La place qu’a la politique étrangère dans le projet de Lasso s’est confirmée lors des premiers jours du sommet des Amériques. En effet, Lasso a fait un appel pour la mise en place d’un plan Équateur en référence d’un mécanisme similaire mis en place en Colombie pour affronter le crime organisé dans les années 2000.

La  difficile croissance des “opportunités économiques”

La victoire de Lasso a eu un effet positif dans l’économie équatorienne. En effet, à la suite de  l’annonce de sa victoire, le risque pays[1] de l’Équateur est descendu de 345 points se situant à 824, ce qui est supérieur à des scores de pays comme l’Argentine qui se retrouvait au même moment en 1578 points. De plus, dès son  arrivée au palais présidentiel, Lasso a multiplié les sources d’investissement pour le pays, notamment en facilitant les investissements dans le commerce extérieur équatorien par le biais des décrets présidentiels du 24 mai 2021.

De plus, le ministre de l’Économie, Simón Cueva, a annoncé que l’Équateur avait conclu un accord avec le FMI. Ce dernier a accepté de débloquer un financement de 6 000 millions de dollars, dont 1 500 millions du FMI et 4 500 millions  d’autres organisations multilatérales telles que la Banque Mondiale et la Banque Interaméricaine de Développement.

Pourquoi est-ce important ?

Les médias financiers occidentaux salivent déjà, saluant la présidence « emphatique » de Lasso et sa prudence budgétaire, mais il convient de rappeler qu’en 2019, Moreno a fait face à des manifestations à l’échelle nationale qui ont ramené ses taux d’approbation en dessous de 10%, parce qu’il tentait de mettre en œuvre des mesures d’austérité pour obtenir de l’argent du FMI. 

Bien qu’il ait mis en place ces mesures, Lasso cherche également à combattre les fortes inégalités qui traversent le pays, notamment entre les plus riches et les plus pauvres. Profitant d’ une croissance du PIB de 4,2% le gouvernement de Lasso a augmenté le salaire minimum de 25 USD et à étendu certaines prestations sociales comme le bon de solidarité. Ces mesures semblent avoir eu un effet positif à court terme car la pauvreté extrême à été réduite de 5,4%, se plaçant aux alentours de 10%.

La montée de la délinquance

Le premier mandataire doit gérer la montée de la délinquance associé aux cartels mexicains qui essayent de s’introduire dans le pays. Ceci a débouché dans de fortes révoltes dans des prisons et une croissance de la délinquance dans les quartiers sensibles. Depuis septembre, des violents affrontements entre détenus ont lieu dans diverses prisons du pays. Ces heurts ont déjà laissé 380 morts et se sont étendus aux régions de la côte telles que Manabí, Guayaquil et Esmeraldas.

Pour contrer cette dynamique, Lasso a décrété l’état d’urgence dans le pays et a déployé l’armée dans les villes les plus dangereuses. Toutefois, son gouvernement reste très lié car il ne compte pas d’un soutien majoritaire de l’Assemblée Nationale et doit faire face à de très fortes manifestations des mouvements indigènes qui s’opposent à ses mesures d’austérité, ses politiques énergétique et minière. Lasso souhaite en effet intensifier l’exploitation des ressources stratégiques.

Le gouvernement se trouve isolé dans son activité législative. Il n’y a plus qu’une dizaine de députés qui le soutiennent, ce qui se traduit par le rejet de tous ses projets de réforme phares dans son programme, hormis une loi réformant le système tributaire[2] approuvée par un échec de l’opposition.  L’isolement de l’exécutif fait rêver de nombreux constitutionnalistes qui voient une opportunité de voir jouer “la mort croisée”, un mécanisme constitutionnel qui permet au président de dissoudre l’Assemblée Nationale et de gouverner dans le domaine de la loi par décret pendant 6 mois. Toutefois, il s’expose à voir son nombre de députés se réduire encore plus, lui rendant plus difficile la tâche de gouverner. À l’heure actuelle, pour le président, l’utilisation de ce mécanisme n’est pas envisagée.

Durant le sommet des Amériques, Lasso a fait appel à une coopération internationale pour combattre le narcotrafic transnational. Son objectif serait de pouvoir compter sur de meilleurs mécanismes de contrôle que ceux qui peuvent être fournis par une politique purement nationale. De plus, Lasso a cherché un soutien logistique et stratégique auprès de  l’armée israélienne, qui a aboutit à une loi renforçant les prérogatives des forces de l’ordre et de l’armée dans la neutralisation des menaces à l’ordre publiques et des groupements criminels. Cette loi, validée par l’Assemblée, est fortement contestée par le groupe indigène Pachakutik qui y voit un outil visant à réprimer les manifestations populaires.

Cette première année de G. Lasso se termine avec de nombreux enjeux auxquels l’actuel président doit faire face, la lutte contre la délinquance organisée étant le plus important. Sa popularité se trouvant au plus bas, le président doit regagner la confiance de ses concitoyens. Sa politique sécuritaire semble s’orienter vers la coopération internationale, notamment avec les États-Unis. Néanmoins cette dernière cause des résistances de la part des mouvements de gauche qui y voient une ingérence et une atteinte à la souveraineté.

Finalement, il lui est reproché d’être inopérant dans la gestion des services publics. Malgré une augmentation des recettes tributaires et une augmentation des recettes pétrolière, il est critiqué par le gouvernement pour son ineffectivité  dans la gestion des services publics : le système de santé est saturé par une mauvaise allocation des ressources, notamment un manque de médicaments, la gestion des actes civils des équatoriens est également devenue très lente et les changements dans le système universitaire n’ont pas entièrement permis à tous les bacheliers de faire des études supérieures. Pour de nombreux analystes, cette mauvaise gestion se rapporte au fait que le président favorise son cercle de connaissances personnelles plutôt que des hauts fonctionnaires qui bénéficient d’une plus grande expérience dans la gestion des services publics.


[1]  : Pour Bernard Marois, professeur en Finances à HEC, « Le risque-pays peut être défini comme le risque de matérialisation d’un sinistre, résultant du contexte économique et politique d’un État étranger, dans lequel une entreprise effectue une partie de ses activités. » Autrement dit, il s’agit d’un indice évaluant le risque d’investir dans un pays étranger.

[2] : La réforme change plusieurs dispositifs. Nous pouvons noter une augmentation de la TVA sur certains produits de loisir, la mise en place d’un impôt au patrimoine, l’élimination de certaines déductions fiscales pour les entreprises et les particuliers avec un salaire au-dessus du salaire minimum, et un régime fiscal plus favorable pour les petites et moyennes entreprises.