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La gauche et la social-démocratie, entretien avec Henri Weber

Posté le 27 février 2019 par Groupe Socialiste Universitaire

Interview d’Henri Weber, ancien sénateur socialiste sur sa définition de la gauche et de la social-démocratie.

Nous rappelons que ce document résume les propos de nos intervenants de manière brute. Il ne s’agit pas des idées qui sont défendues par le GSU, dans la mesure où, notre réflexion est amenée à se construire progressivement à partir des divers avis qui apparaissent durant nos débats et nos conférences. Notre pôle socialisme vous propose ici la vision d’Henri Weber sur la social-démocratie. (Compte rendu du débat « La gauche et social-démocratie européenne » fait par Lueurs, le journal du GSU à retrouver sur son site :http://lueurs.socialistesuniversitaires.fr/interview-henri-weber-la-gauche-et-la-social-democratie)

Membre du Parti communiste français (PCF) à la grande époque, Henri Weber et ses compagnons de route (et de doute) firent scission pour fonder la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR). Entré au PS dans les années 80, il fut conseiller de Laurent Fabius. Sénateur de Seine Maritime (1995-2004) puis député européen (2004-2014), il est également l’auteur de multiples ouvrages sur la gauche et l’extrême gauche européenne. Henri Weber signe un dernier ouvrage en 2018, Rebelle Jeunesse, qui retrace son parcours.

Les objectifs du socialisme

Henri Weber reprend de nombreuses idées qu’il a développées dans son livre Un Éloge du compromis écrit en 1998, et notamment sur la question de : qu’est-ce que la social-démocratie ?

Le socialisme s’ancre dans un système de valeurs. Elles correspondent aux idéaux des Lumières Européennes (liberté égalité solidarité, laïcité, féminisme, et le principe de responsabilité écologique). Ces valeurs ne « volent pas dans les airs sur leurs ailes de colombe ». De fait, l’idée socialiste et social-démocrate comportent des objectifs qui sont, selon notre intervenant, les suivants :

  • Faire parti d’un mouvement démocratique, ce qui est le cas depuis Jean Jaurès, qui fait de cet objectif le point fondamental du socialisme dans son ouvrage Vers la République sociale. L’objectif est de rendre réelles les valeurs de la République. Elles doivent s’approfondir dans une démocratie sociale et participative. En effet, l’association des citoyens passe par la démocratie représentative, participative (directe), et enfin par la démocratie sociale.
  • La maîtrise de l’avenir et de l’économie : la social-démocratie ne croit ni dans le postulat de la main invisible (vision libérale),ni dans la destruction de la nature et la désagrégation de la société. Autrement, la social-démocratie est, par essence, pour un interventionnisme afin de limiter les excès du marché libéral.
  • La social-démocratie est d’abord et avant tout, un projet de civilisation ; Marx parlait « des eaux glacées de l’égoïsme ». Elle dénonce la surproduction du consommable individuellement. La social-démocratie considère, depuis le départ, que « nous voulons faire advenir une société où le plein épanouissement de chacun sera la condition et le moyen du plein épanouissement de tous. ». On souhaite faire advenir les potentialités humaines les plus hautes, accéder à la culture. La gauche poursuit donc ces trois objectifs dans l’objectif d’une société du bien vivre.

L’Europe semble être l’espace le plus pertinent pour la social-démocratie. Si l’espace national n’est pas suffisant pour la poursuite de ces objectifs, un espace continental, voire international parait nécessaire pour le développement d’une social-démocratie aboutie

L’Historique de la social-démocratie, une grande famille

Les partis socialistes européens sont anciens et font partie de l’histoire. Alors que le SPD fête ses 156 ans, la vieille maison, née en 1905 avec la SFIO, souffle son siècle d’existence. Cette famille politique est née de la nécessité commune aux mouvements ouvriers d’avoir une représentation politique forte dans un monde en pleine industrialisation. Sa construction s’est faite à partir d’un projet utopique et révolutionnaire. En effet, dès son premier âge, son projet est, pour Henri Weber, utopique : le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx serait la mobilisation des espérances religieuses, ou plutôt une sorte de millénarisme propre au prolétariat. Il s’agirait donc d’une utopie chimérique, puisque aucune société ne peut être abondante et sans classe. Cependant, construire une Europe social-démocrate serait une utopie réaliste. L’ancien député européen nous explique alors les conditions d’une telle Europe dans ces termes :

  • Le socialisme est frappé au cours de la Grande Guerre par le schisme communiste, qui scinde la 2eInternationale et marque l’apparition de la 3e Internationale. Pour ceux restés dans la 2e, la social-démocratie devient réformiste et parlementaire. La révolution russe de 1917 a pour retentissement ce qu’appelle Henri Weber une « révolution copernicienne » avec le Parti socialiste ouvrier d’Allemagne (Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands, abrégé en SAPD) dans la pensée socialiste. Ces derniers s’opposent à l’URSS, notamment en ce qui concerne la dékoulakisation des campagnes et la formation de goulag. Au niveau international, le SAPD était membre du Bureau de Londres, qui regroupait de nombreux partis travaillistes, avec lesquels ils réfléchissent aux racines qui mènent au stalinisme dans les années trente. Dans l’Ecole de Stockholm, des sociaux démocrates nordiques ont repris leurs travaux et considèrent que, sous certaines conditions, les entrepreneurs peuvent être au service de la société et que vouloir les éliminer serait une lourde erreur. Il faudrait alors, pour y parvenir, un mouvement ouvrier organisé en associations, syndicats, partis politiques qui encadrent le salariat du « berceau à la tombe ». De plus, il faut sans cesse des droits nouveaux qui s’attachent à l’évolution des sociétés humaines.
  • Une démocratie avancée, dont l’outil est le droit.
  • Il faut une culture du compromis, et non promouvoir la lutte des classes. S’il y a des intérêts antagonistes, il y a aussi des intérêts communs. Il faut un rapport de force et une élaboration du commun. Le but de la production n’est plus l’accumulation, mais un juste profit qui permet l’investissement, et un partage des fruits de la croissance. Après la Seconde Guerre mondiale vient l’âge du keynésianisme, de la stabilité gouvernementale et des techniques du fordisme et de la mise en place de l’Etat Providence. Les partis socialistes européens deviennent des partis gouvernementaux. Dans l’histoire, les socialistes se sont toujours posés cette question : peut-on participer aux gouvernements ? (Pour y avoir été favorable, des personnalités de la gauche française comme Briand et Millerand ont été exclus). C’est aussi pour cela que les responsables politiques contemporains s’attachent à affirmer qu’ils sont un parti de gouvernement, car l’histoire n’a pas toujours conduit à cette évidence pour les socialistes. Dans cette période, les sociaux-démocrates rassemblent les suffrages nécessaires dans les années 50-70, ils font jusqu’à 50% des voix. Mais à partir du moment où la social-démocratie allemande tombe en dessous de 40%, on assiste alors à une défaite historique. L’échec du keynésianisme et la crise de l’Etat Providence – dû entre autre à l’augmentation de l’espérance de vie – suivent cette période de prospérité. Le nouveau défi aujourd’hui serait alors une nouvelle révolution industrielle majeure, reposant sur l’essor de la biotechnologie, de la nanotechnologie, et de l’intelligence artificielle. Dans l’hypothèse de cette troisième révolution industrielle, les anciens systèmes d’organisation sont par conséquent obsolètes. Il serait alors nécessaire, en tant qu’enjeux majeur de la social-démocratie contemporaine, de repenser de nouvelles formes d’organisation pour s’adapter aux changements de la société.
  • L’éco-socialisme : Les impératifs de la lutte pour l’environnement nous amènent désormais à considérer dans le progrès social cet enjeu particulier pour l’humanité. Néanmoins, il peut y avoir une confrontation entre le social et l’environnement. L’enjeu qui vient alors est de réfléchir à une certaine synthèse entre les deux.

La social-démocratie et le compromis

Pour Henri Weber, les compromis dépendent des rapports de force dans la société. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ce dernier différencie trois grandes périodes de compromis, durant lesquels les rapports de force évoluent.

  • Tout d’abord, il y a ce qu’il appelle le compromis offensif au cours des Trente Glorieuses. Durant cette période, les rapports de force sont si favorables aux salariés, que ces derniers réussissent à imposer de nombreuses réformes sociales.
  • Puis à partir de 1973, le rapport de force s’est dégradé, entrainant une évolution du compromis qui devient défensif. On voit alors se développer des aides sociales, et se mettre en place un traitement social du chômage. Et jusqu’au début des années 2000, les salariés acceptent des modérations salariales.
  • Enfin, les compromis évoluent vers une adaptation démocratique, voire vers une modernisation démocratique de nos sociétés et de nos économies. Cela se concrétiserait selon H. W. par l’acceptation des salariés de la politique de l’offre, notamment avec l’idée qu’il faudrait se tenir à la pointe de la technologie, et donc mettre en place une politique de l’offre, comme celle instaurée par Gerhard Schröder au début des années 2000 en Allemagne. Pour notre intervenant, ce dernier aurait été l’acteur d’une « modernisation démocratique » au bilan positif.