Groupe Socialiste Universitaire


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La France mise face au fléau des contrôles au faciès

Posté le 22 octobre 2023 par Groupe Socialiste Universitaire

Photo originale de Fred Dufour / AFP

Une procédure historique, une victoire en demi-teinte

Le 11 octobre 2023, le Conseil d’État réunit en sa formation la plus solennelle, l’Assemblée du contentieux, a rendu un arrêt important portant sur les contrôles d’identité[1]. Saisi par la première action de groupe en France contre les contrôles d’identité discriminatoires et six associations et ONG, dont Amnesty International, Human Rights Watch, ou encore Open Society Justice Initiative, il reconnaît « l’existence d’une pratique » discriminatoire n’étant pas uniquement le fait de cas isolés, tout en refusant de reconnaître un caractère systémique à ces contrôles discriminatoires et de s’immiscer sur le terrain politique pour les faire cesser. Il considère qu’il ne lui revient pas « de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire ».

Si les contrôles au faciès, c’est-à-dire « [des] contrôle[s] de police fondé[s] sur des caractéristiques physiques associées à l’origine de la personne, qu’elle soit réelle ou supposée »[2] sont interdits, dans les faits, ils sont un problème et la réaction des pouvoirs publics se fait attendre. Le Président de la République Emmanuel Macron, dans un entretien accordé le 4 décembre 2020 au média en ligne Brut, a reconnu l’existence des contrôles au faciès : « Aujourd’hui, quand on a une couleur de peau qui n’est pas blanche, on est beaucoup plus contrôlé (…) et c’est insoutenable ». Pourtant, depuis, rien n’a changé.

Une pratique établie et documentée

Corroborant une étude menée par les chercheurs Fabien Jobard et René Lévy[3], le Défenseur des droits, dans une enquête de 2017 a relevé que : « les jeunes hommes qui sont perçus comme arabes/maghrébins ou noirs ont une probabilité 20 fois plus élevée d’être contrôlés que les autres ». Il s’agit des mêmes populations dont les relations sont les plus dégradées avec les forces de l’ordre par rapport au reste de la population. Cela peut s’expliquer – partiellement – par les effets dévastateurs des contrôles au faciès sur les personnes victimes de discriminations[4]. Jacques Toubon, alors Défenseur des Droits, recommandait la traçabilité des contrôles, afin de permettre aux personnes s’estimant victimes de discrimination ou de manquements à la déontologie d’exercer des recours. Dans son rapport daté du 22 juin 2020, l’ancien Défenseur des droits démontre que le problème s’aggrave et insiste ainsi sur le fait qu’une partie de la population est « surexposée aux contrôles policiers et à des relations dégradées avec les forces de l’ordre ». Il affirme également que « l’expérience répétée des discriminations et leur nature systémique ont des conséquences délétères et durables sur les parcours individuels, les groupes sociaux concernés et plus largement sur la cohésion de la société française ».

La proposition de mettre en place un récépissé est souvent évoquée et des parlementaires ont tenté de pousser cette proposition,sans succès[5]. François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012 s’y était notamment engagé sans toutefois le mettre en place lors de sa présidence. L’historien Patrick Weil, en s’appuyant sur l’exemple new-yorkais et sur celui de la Grande-Bretagne, appelle pour sa part à l’abrogation des contrôles préventifs, mis en cause pour leur flou permettant de contrôler « quel que soit le comportement»[6] de l’individu, c’est-à-dire, sans véritable motif. En conséquence : « avec ces contrôles répétés, de trop nombreux jeunes perdent le sentiment qu’ils sont des citoyens français, respectés comme tels, à égalité avec les autres »[7].

La politique de la France, en matière de contrôle d’identité, est fréquemment remise en cause par un large panel d’experts incluant chercheurs, associations, autorités administratives et constitutionnelles indépendantes, voire institutions internationales. L’Organisation des Nations-Unies a par exemple mis en cause la France sur cette problématique[8] en août 2015, dans ses observations finales. Au terme du cinquième examen périodique de la France, le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies y a également exprimé sa préoccupation quant à la persistance du profilage racial[9]

Tandis que les institutions européennes ont de nouveau appelé à des changements il y a peu : «L’ECRI recommande en priorité aux autorités d’introduire un dispositif efficace de traçabilité des contrôles d’identité par les forces de l’ordre, dans le cadre d’une politique visant à renforcer la confiance réciproque entre les forces de l’ordre et le public et leur contribution à la prévention et la lutte contre toute discrimination»[10]. Le gouvernement français, lui, ne semble toujours pas prompt à considérer les recommandations des institutions nationales et internationales.

Un combat judiciaire décisif : la suite des multiples condamnations de L’État pour fautes lourdes

À défaut de réponse politique, le combat contre les contrôles au faciès est judiciaire. En effet, la décision rendue par le Conseil d’État intervient à la suite d’une mise en demeure adressée le 27 janvier 2021 au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur et au ministre de la Justice, pour leur demander d’engager des réformes structurelles et des mesures concrètes à même de mettre un terme aux pratiques policières discriminatoires. En l’absence de réponse, la plus haute juridiction administrative a été saisie afin de faire cesser la pratique des contrôles d’identité discriminatoires Elle s’inscrit dans une lignée de plusieurs condamnations de l’État français pour des contrôles discriminatoires. La Cour de cassation avait déjà condamné l’État pour faute lourde en 2016, après l’interpellation de trois jeunes hommes en raison de leurs caractéristiques physiques associées à leur origine réelle ou supposée,[11] tandis que la cour d’appel de Parisa également rendu un arrêt condamnant l’État le 8 juin 2021.

Cette procédure historique entamée en 2021 pour combler l’inaction de l’État français visait à porter un certain nombre d’actions juridiques appelant à mettre fin au contrôle au faciès[12]. Lors de la saisine du Conseil d’État, il était demandé, inspirées d’expériences menées à l’étranger : la modification de l’article 78-2 du code de procédure pénale, la création d’un régime spécifique pour les mineurs et d’une autorité indépendante de contrôle, la mise en place d’un récépissé de contrôle et la rédaction systématique, après chaque opération de contrôle, d’un rapport qui serait transmis au procureur de la République, la redéfinition des rapports entre la police et la population et l’amélioration de la prise en compte des questions de discrimination dans la formation, ainsi que l’évaluation et le contrôle des agents[13]. Néanmoins, le Conseil d’État considère que ces demandes « visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité »[14]. Il considère en outre que les demandes ne relèvent pas des pouvoirs du juge administratif et a, par conséquent, rejeté le recours.

Une marche historique manquée

L’avocat des six associations, Maître Antoine Lyon-Caen, estime que le Conseil d’État « met ainsi les pouvoirs publics devant leurs responsabilités »[15]. Néanmoins, subsiste le regret d’une décision qui n’est pas allée assez loin : « Le Conseil d’État a raté une marche de l’histoire »[16], se désole Maïté de Rue d’Open Society Justice Initiative, tandis que le président d’Amnesty International Jean-Claude Samouiller affirme «qu’une belle occasion a été gâchée. ». 

Cependant, le combat n’est pas fini. En effet, depuis 2017, six requérants mettent en cause l’État français concernant les contrôles au faciès devant la Cour Européenne des droits de l’Homme[17]. Cette décision qui affirme que les contrôles au faciès ne sont pas des cas isolés ne pourra que renforcer l’argumentation du recours intenté. La nécessité de modifier la législation concernant les contrôles préventifs est d’autant plus importante que, s’ils ne présentent pas de garanties suffisantes permettant d’éviter des contrôles discriminatoires, leur efficacité est pour le moins douteuse.  

En effet, si « aucune statistique d’ensemble n’était disponible », expliquait le ministère de l’Intérieur dans un rapport du Sénat de 2016, les contrôles d’identités sont un phénomène massif puisque : « selon les chiffres d’Open Society ou ceux avancés par des députés ces dernières années, notamment M. Gilles Carrez (LR), cinq à dix millions de contrôles sont effectués chaque année » informait le rapport rendu en 2018 par le député La France insoumise Eric Coquerel. Pourtant, une expérimentation menée en 2014 par la Direction générale de la police nationale (DGPN), durant laquelle le nombre de contrôles d’identité demandés par le procureur de la République ainsi que leurs suites ont été comptabilisés, a montré des résultats marquants. Dans le département de l’Hérault, 95,45% des contrôles n’ont donné lieu à aucune suite (sur près de 9 000 personnes contrôlées en six mois) et seulement 4% à des interpellations. Des taux similaires ont été notés dans le Val-d’Oise, avec 92,9% de contrôles n’ayant entraîné aucune suite contre 3,88% qui ont conduit à des interpellations sur un peu plus de 10 000 contrôles au total[18].

L’existence des contrôles au faciès a été affirmée, les solutions pour prévenir les actions discriminatoires des policiers existent ; les associations et différentes institutions en proposent de nombreuses, à l’État de prendre ses responsabilités et de les écouter. En attendant, la lutte continue.

Par Mario Guglielmetti

Responsable national de la formation & membre du pôle Institutions


[1] Contrôles d’identité discriminatoires : la détermination d’une politique publique ne relève pas du juge administratif

[2] Qu’est-ce que le « contrôle au faciès »

[3] Police et « minorités visibles » : les contrôles d’identité à Paris – CESDIP

[4] La lutte contre le contrôle au faciès – Open Society Justice Initiative

[5] Proposition de loi n°520 – 15e législature – Assemblée nationale

[6] article 78-2 du Code de procédure pénal

[7] Patrick Weil : «Il faut mettre fin aux contrôles d’identité» – Libération

[8] Rapport annuel du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapports du Haut-Commissariat et du Secrétaire général

[9] Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France

[10]  RAPPORT DE L’ECRI SUR LA FRANCE

[11]  Cass. civ. 1, 9 novembre 2016, quatre arrêts, n° 15-24.212, n° 15-25.873, n° 15-24.210 et n° 15-25.872, P+B+R+I 

[12] ​​Une procédure historique contre l’inaction de l’État français face aux contrôles d’identité discriminatoires

[13] En France, « le contrôle d’identité au faciès est un problème systémique, structurel, institutionnel »

[14] Résolution 2512 du Conseil de l’Europe

[15] Contrôles au faciès : « Le Conseil d’État a raté une marche de l’histoire » – POLITIS

[16]  Les premières réactions des associations requérantes et des témoins après l’audience

[17] SEYDI ET AUTRES CONTRE FRANCE: REQUÊTE 8 mai 2017 EXPOSÉ DES FAITS Introduction 1. Dans l’exercice du maintien de l’ordre e

[18] Quatre questions sur les contrôles d’identité, contestés en France