Groupe Socialiste Universitaire


Le GSU

L’écologie, un combat de gauche ?

Posté le 13 octobre 2023 par Groupe Socialiste Universitaire

Image : “Ecologie : comment en faire plus ?” par Monsieur Kak -dessinateur- ; caricature publiée dans l’Opinion le 29 mai 2019 à 7h58.

Valeurs & paradoxe

I. Aspect historique

Notre modèle économique actuel est fondé sur le capitalisme libéral, et ce depuis bien longtemps – Adam Smith, Malthus et Ricardo émettent leurs premières thèses influentes à partir de la seconde moitié du XVIIIèmesiècle. L’un des fondateurs de notre économie moderne, Jean Baptiste Say, a développé de nombreuses théories qui sont devenues des piliers de notre système. Cependant, il est nécessaire de prendre un certain recul sur ses premières affirmations.

En 1828, dans son Cours d’économie politique, Say écrit : « Les ressources naturelles sont inépuisables, car sans cela nous ne les obtiendrions pas gratuitement ». Ce premier postulat était certes vrai au début du XIXème siècle, à la naissance même de la première révolution industrielle, à l’heure où la population mondiale était encore “raisonnablement peuplé par rapport aux ressources – environ 1,2 milliards d’homme sur Terre, dont près de 80% de ruraux – et régulée de bien des manières, et où l’exploitation des ressources n’avait qu’une ampleur très relative. Néanmoins aujourd’hui, d’aucun ne pourrait acquiescer, et nier les limites naturelles de la croissance.

Toujours est-il qu’au moment où l’économie capitaliste prend son premier essor, les ressources sont considérées comme infinies. Le modèle qui se construit alors ne peut qu’être voué à se développer, vers une croissance toujours plus importante. Mais cette fameuse croissance atteint ses limites lorsque les ressources atteignent les leurs. La « crise énergétique », si souvent évoquée, est le symptôme de cet épuisement des ressources, et témoigne surtout de l’incompatibilité d’un système d’économie politique capitaliste, très libéral, que cela soit en France que de droite ou de gauche.

II. Valeurs 

A cela pourrait-on arguer que, droite ou gauche, tout le monde s’appuie sur ce système. Cependant, il est impératif de souligner que le capitalisme ne peut perdurer que sur une logique du consumérisme, puisque si nul n’achète, le système s’écroule. Or, face au consumérisme, la gauche – qui prône des valeurs collectives –  la valeur du l’’altruisme traditionnel de citoyen à citoyen se transforme en altruisme envers les générations futures. Comme le capitalisme est aussi basé sur la croissance et sur l’accumulation des richesses, et si la gauche a défendu longtemps ce productivisme au nom de la redistribution des richesses, elle se doit de continuer à partager aussi la valeur du bien commun, dans lequel on pourrait inclure la nature.

Il va de soi, ainsi que dans le but de diminuer notre consommation des ressources naturelles, il est impératif de diminuer sa consommation individuelle, et ce dans tous les domaines, mais également les consommations annexes, auxquelles nous participons tous : celles des entreprises, des collectivités, de l’Etat. Or, la réduction de la consommation implique forcément une réduction de la croissance, et remet donc en cause le principe d’accumulation des richesses. Cette réduction de la croissance s’oppose fondamentalement à la logique néo-libérale selon laquelle le développement économique se place en tête des priorités.

La gauche s’est donc emparée de ce combat, mais est-ce réellement à juste titre ?

III. Réalité

Comme souvent en politique, lorsque les valeurs viennent heurter la réalité, les choses se compliquent. En effet, si la gauche prône un mode de vie plus responsable, une consommation à la fois plus éthique et plus sobre, il est très difficile pour de nombreuses personnes, de suivre cette route. L’aspect financier d’une telle consommation est le principal obstacle : comment acheter des produits alimentaires non transformés lorsque l’on travaille trop pour avoir le temps de cuisiner, comment acheter bio quand on a du mal à acheter tout court ? Comment acheter des vêtements de qualité lorsque les prix sont huit, voire dix fois plus importants que ceux de la fast fashion ? Comment se déplacer en transports en commun lorsque certaines régions rurales sont extrêmement mal desservies ?

C’est ainsi que le souhait d’être écologique devient seulement un privilège, accessible par une certaine catégorie socioprofessionnelle, instruite, consciente de l’urgence, et bien sûr suffisamment à l’aise financièrement pour se permettre ces nombreux changements dans son mode de vie.

IV. Paradoxe

Ne nous précipitons pas cependant dans de fâcheux raccourcis, où l’on présenterait la gauche comme de consciencieux mais impuissants citoyens, dans l’impossibilité matérielle d’agir, et la droite comme les détenteurs de toutes les ressources, conservateurs et hostiles à la moindre initiative. Si ce portrait peut être vrai pour certains individus, il est erroné pour d’autres. Examinons quelques instants la remarque de Max-Erwann Gastineau, essayiste et journaliste pour Le Monde :

Pensons à Valéry Giscard d’Estaing, auteur en 1975 d’une loi visant la préservation du littoral des risques d’urbanisation. Interrogé par un journaliste qualifiant cette initiative « de gauche », le président de la République répondit : « l’écologie, c’est avoir peur pour ce qui existe… C’est aussi ça, être de droite ! ». Des mots qui méritent que l’on s’y attarde, tant ils résument à eux seuls une disposition d’âme au fondement même de la pensée conservatrice : […] la marque d’un attachement, le produit d’une conviction : celle qui donne au déjà-là (la faune, la flore, tel paysage, tel art de vivre, tel patrimoine…) le visage de la fragilité et à l’homme la mission de le sauvegarder.

Ainsi, la droite aussi se prononce en faveur de l’écologie, cependant il est plus difficile de faire passer beaucoup de réformes concrètes. C’est ici que la théorie affronte la pratique, et si la droite maintient officiellement sa préoccupation écologique, il lui est difficile de voter la moindre réforme qui ralentirait la croissance économique de la France. C’est pourtant bien ces décisions, qui, bien qu’elles soient difficiles à prendre, auraient un impact réel, et éviteraient le greenwashing politique.

En conclusion, le néolibéralisme pose problème au développement de la cause environnementale. La gauche ne peut se résoudre à accepter un programme néolibéral qui s’aligne sur les lois du marché, opposé aux valeurs qu’elle défend. Les classes plus populaires votant à gauche n’ont pas les moyens de s’approprier ce combat qu’est l’écologie, à l’échelle individuelle. Cette cause devient alors accessible aux seules classes aisées qui, par leur niveau de vie, peuvent agir à échelle individuelle, mais qui n’ont pas la volonté, pour la plupart, de sortir de la matrice néolibérale qui aggrave les conséquences environnementales.

Par Ryme Benhima, pôle écologie