Groupe Socialiste Universitaire


Egalité des genres, Le GSU

Égalité des genres et congés parentaux : de l’influence des politiques de sécurité sociale en matière reproductive sur l’égalité au sein des ménages

Posté le 20 mars 2023 par Groupe Socialiste Universitaire

            L’égalité en droit et l’égalité en fait, voilà une vaste, sinon aporétique problématique. Vaste, cette question l’est par les travaux dont le droit et la politique doivent se saisir, mais aussi par les domaines auxquels elle s’applique. L’égalité entre les sexes et les genres en est une au premier plan. Au sein des ménages, l’égale répartition des rôles le donne à lire avec acuité. Ainsi, si les congés parentaux existent dans tous les pays de l’Union européenne et peuvent donc être pris par les deux parents, la pratique démontre que tel n’est pas toujours le cas, et que l’influence de la structure des aides financières en matière reproductive est déterminante. 

La politique de sécurité sociale en matière reproductive renvoie aux allocations attachées aux congés de maternité, de paternité, et parental, ainsi qu’à leur durée. Le congé de maternité est la période avant (congé prénatal), et après (congé postnatal) la naissance de l’enfant, pendant laquelle le contrat de travail d’une salariée est suspendu, et durant laquelle elle reçoit une allocation lui permettant de ne plus travailler. Il en va de même pour le congé paternel, au bénéfice duquel le père de l’enfant peut prétendre après la naissance de celui-ci. Par ailleurs, en France, le congé parental est une durée totale de congé que peut prendre la mère, ou le père, ou que peuvent se partager les deux parents. 

            En France, le congé maternité a été mis en place par une loi de 1909 sous l’impulsion du député Fernand Engerand, laquelle prévoyait 8 semaines de congé sans toutefois y rattacher aucune rémunération. Cette rémunération, accordée en 1910 pour les institutrices, n’a été généralisée aux autres fonctionnaires qu’en 1929, et seulement en 1970 à l’ensemble des salariées. En ce qui concerne sa durée, elle est successivement passée de 8 semaines en 1909 à 14 semaines en 1946, réparties en 6 semaines de congé prénatal et 8 semaines de congé postnatal, puis à 16 semaines en 1980, et à 18 semaines depuis 2017. Il faut par ailleurs noter que le droit français module – en l’allongeant significativement- la durée du congé maternité en fonction du nombre d’enfants à charge et en fonction du nombre d’enfants attendus. 

En ce qui concerne le congé paternité, il a été institué par Ségolène Royal en 2002, alors de 11 jours consécutifs pour les pères qui le souhaitent. Il est récemment passé à 25 jours en 2021, dont 4 sont obligatoires. 

Enfin, le congé parental d’abord « congé parental d’éducation » a été institué par la loi du 12 juillet 1977, mais au bénéfice unique de la mère. Le père n’a pu en bénéficier qu’à partir de 1984. Il ne sera assorti d’aucune rémunération jusqu’à une loi du 4 janvier 1985.

Il s’agira ici de concentrer le propos sur les pays européens, et en particulier sur les pays de l’Union européenne. En effet l’existence de mœurs et de coutumes comparables et celle de résultats divers en matière de parité permet de mettre en évidence l’influence très pratique et concrète des structures et modalités de ces allocations. Par ailleurs, si l’argent est « le nerf de la guerre », voilà une approche pragmatique de l’égalité et de la parité en fait au sein des ménages, influencée par les politiques de sécurité sociale en matière reproductive.

Plus précisément, si la question du recours, ou non, pour les pères, aux congés paternité et parental est si importante, c’est qu’elle détermine grandement d’une part la répartition des rôles sociaux entre les femmes et les hommes, alors même que la dichotomie classique entre intérieur et espace public tend à s’amoindrir et que les femmes travaillent presque autant que les hommes, et par ailleurs, parce que l’idée même d’un congé maternité obligatoire sert à justifier l’écart salarial entre les femmes et les hommes, et les discriminations à l’embauche. 

Dès lors, quelle influence la structure des allocations liées à la naissance d’un enfant exerce-t-elle sur l’égalité entre les hommes et les femmes et la répartition paritaire des rôles au sein du ménage ? Comment l’étude comparée de plusieurs politiques au sein de l’Union européenne permet-elle de mettre en évidence les progrès et réformes à accomplir, en France, en matière de politique de sécurité sociale pour parachever l’égalité entre les hommes et les femmes ? 

I. Les congés parentaux, un facteur ou non, de parité 

            Les congés parentaux et les congés de paternité sont, par leur nature financière, un facteur déterminant de la répartition des rôles au sein des ménages et partant, de la parité ou de l’inégalité entre les femmes et les hommes (A). Ce faisant, il faut aussi mettre de côté l’idée spontanée selon laquelle la parité est avant tout une affaire de mœurs et de coutumes (B).

            A) L’argent, « le nerf de la guerre » en matière sociale

            Il convient dans un premier temps d’expliquer en quoi les congés parentaux, et les congés paternels constituent un levier, ou à défaut, un facteur déterminant dans la répartition des rôles au sein des ménages. 

Au sein de couples salariés, l’arrivée, soit-elle attendue ou non, d’un enfant, constitue un bouleversement économique majeur. Évidemment car l’enfant à naître constituera un poste de dépense évident, et, le cas échéant, l’objet d’allocations sociales, mais aussi et surtout car le temps encadrant sa naissance va devoir, plus ou moins nécessairement, provoquer une coupure dans le travail. Ainsi, tandis que les nécessités physiques vont pousser les femmes à interrompre leur activité professionnelle avant la naissance, imposant le congé maternité prénatal, elles vont aussi lui imposer après la naissance (congé postnatal). De même, l’état d’un jeune enfant, lequel nécessite des soins et une attention toute particulière, va nécessiter qu’au moins l’un des deux parents s’en occupe et ainsi, n’aille pas travailler (congé parental). Le congé paternité procède lui d’une autre logique, qui est plutôt celle précisément d’une répartition paritaire des rôles, et du parachèvement de la fin d’un modèle patriarcale qui mettait à la charge exclusive de la mère, le soin de s’occuper des enfants, et de faire leur éducation. 

Ces bouleversements sont de nature à avoir un impact économique significative sur les budgets des ménages, ce qui explique évidemment que les choix, le cas échéant, de recourir, ou non, aux congés parental et paternité, vont s’en trouver déterminants.

L’argent apparait donc, et il est important de le relever à titre liminaire, comme l’élément déterminant dans l’influence des politiques de sécurité sociale en matière reproductive sur la répartition des rôles sociaux au sein des ménages. 

            B) La pure tradition et les pures moeurs, un facteur évincé d’explication des différences de recours aux congés parentaux et aux congés de paternité : le contre-exemple éloquent du Portugal

            Il peut être aisé de considérer spontanément que le recours, entre les deux parents, au congé parental, dépend principalement, sinon uniquement, de considérations psychologiques et sociales, en d’autres termes, de moeurs et de coutumes. Pourtant, il ne faut pas s’y méprendre, les moeurs ne peuvent suffire à expliquer et à comprendre pourquoi, dans certains pays, les mères restent davantage au foyer après la naissance de leur enfant alors que les pères choisissent de retourner travailler. 

Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il semble que trois groupes se distinguent en matière de distribution par genre des bénéficiaires du congé parental payé. Les « mauvais élèves » apparaissent clairement comme étant l’Australie, la Pologne, la République Tchèque, la France, l’Autriche, la Corée, l’Estonie, l’Italie, et le Canada. Les élèves « moyens » sont, quant à eux, la Finlande, le Danemark, l’Allemagne, la Belgique, le et Luxembourg. Enfin, et c’est là tout l’intérêt de l’étude comparative, trois pays se distinguent par la récurrence remarquable du recours au congé parental par les pères : l’Islande, la Suède et le Portugal. 

Au Portugal, en 2013, selon la même étude, 41% des pères recouraient au congé parental, ce qui en fait le troisième pays de l’OCDE en termes d’utilisation paritaire de ce congé non genré. Avant même de mettre en évidence les causes de ce chiffre remarquable, ce qu’il souligne, c’est avant tout que les traditions et les mœurs ne sauraient expliquer, au moins à elles seules, non seulement la répartition des congés parentaux, mais plus globalement la répartition des rôles au sein des ménages, et partant, l’émancipation des femmes.  Le Portugal est en effet un pays aux traditions bien ancrées. 84,66% de la population est catholique, contre 54,83 en France ou encore 27,2 en Allemagne. « Il faut dire qu’une attitude patriarcale séculaire, voire un machisme déclaré, subsistent encore dans la société portugaise actuelle » écrit Isabel Allegro de Magalhães, autrice et professeure portugaise. 

S’il fallait s’en convaincre, l’on dirait qu’en 2013, il y avait entre 11 et 12 fois plus de pères portugais qui avaient recours au congé parental que de pères français. L’on dirait encore que plus de deux fois plus de pères portugais utilisaient leur droit au congé parental que de pères finlandais, pays pourtant connu pour son progressisme social. 

C’est donc qu’il faut trouver ailleurs la source de cette très inégale répartition des congés parentaux entre des pays aux cultures pourtant comparables, dès lors que parmi les moins progressistes de ces pays, les pères y recourent avec plus d’importance. 

II. La structure des allocations, le caractère déterminant dans le facteur paritaire des congés parentaux

            À l’origine de l’utilisation ou non des congés parentaux et des congés paternité par les pères, l’aspect financier préside aux conséquences des politiques de sécurité sociale, bien plus que les traditions, us et coutumes. Cette conclusion nous conduira à mesure l’influence exercée par les modalités d’utilisation des congés parental et paternité (A.). Plus globalement, la réflexion se placera sur le terrain du changement, de la différence entre égalité en droit et égalité en fait, et somme toute sur le statu quo, ennemi du parachèvement de l’égalité paritaire (B). 

            A) L’influence des modalités d’utilisation des congés parental et paternité

Qu’entend-t-on par modalités d’utilisation ? Pour le congé parental, cela s’entend essentiellement sur ce que prévoie l’encadrement normatif du congé parental : à savoir, dans quelle mesure les pères sont-ils encouragés ou obligés, par la loi, à prendre les congés qui sont mis à leur disposition. 

                        1° Pour le congé parental : partage à l’initiative libre des couples, ou système de « use it or lose it » ? Le bon exemple de la Suède.

            Deux modèles semblent devoir être distingués : les systèmes où le congé parental est pris librement par l’un ou l’autre conjoint, ou partagé selon des modalités de temps égal, d’une part, et d’autre part, les systèmes de « use it or lose it», dans lesquels un certain congé est attribué au père, et l’autre à la mère. Dans ce second cas de figure, le père qui choisira de ne pas bénéficier de son congé parental ne pourra en faire bénéficier la mère : le congé sera simplement perdu. 

En France tout d’abord, l’encadrement du congé parental le place dans la première catégorie. La prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE) permet à un ou aux deux parents dont l’enfant a moins de 3 ans (ou moins de 20 ans en cas d’adoption) de cesser ou réduire leur travail pour s’en occuper. Il est est même loisible au père et à la mère de le prendre en même temps. 

Néanmoins, le recours au congé parental n’est pas obligatoire, et encore moins celui du père. Les résultats sont ceux que l’on connait, et sont le reflet d’un constat d’échec. 

Au contraire, l’exemple de la Suède se distingue assez nettement. La politique de la Suède en la matière est une illustration assez éloquente de la volonté des politiques publiques d’encourager les pères à recourir au congé parental. Ainsi, la Suède est le premier pays dans le monde à avoir remplacé le congé maternité par le congé parental, par une réforme de 1974, ouvrant alors aux deux parents, donc au père, la possibilité d’en bénéficier et de s’occuper davantage de l’éducation de leur enfant. Néanmoins, le pays a dû prendre acte de ce que même après la réforme 90% des jours de congés étaient encore utilisés par les mères. La Suède a donc trouvé une solution originale et audacieuse : elle a installé un “quota de père” en 1995, qui permettait d’allouer trente jours de congé uniquement au père, à peine de le perdre. C’est le système de « use it or lose it ». En 2002, cette durée a été étendue à soixante jours, puis à 90 jours en 2016. Conséquence ? En 2014, les pères prenaient 25% des jours du congé parental global. Cette politique de l’exclusivité d’une part du congé paternité produit donc des effets remarquables, car elle permet d’inciter les hommes et les ménages à changer des habitudes pourtant bien ancrées de répartition des rôles. 

                        2° Pour le congé paternité : l’influence de la durée non seulement maximale totale de congé, mais aussi l’existence et la durée de congé obligatoire 

En France, après la naissance de l’enfant, le père bénéficie d’un congé de paternité et d’accueil de l’enfant de 25 jours ou de 32 jours en cas de naissances multiples. Il faut distinguer une première période de 4 jours consécutifs qui fait immédiatement suite au congé de naissance, durant laquelle le salarié doit, sauf exceptions, interrompre son activité, de laseconde période de 21 jours, ou 28 jours en cas de naissances multiples, qui peut être fractionnée en deux périodes d’une durée minimale de 5 jours, laquelle est facultative. 

Au sein de l’Union européenne, les États sont tenus par une directive de 2019 à accorder au minimum 10 jours de congés paternité aux pères. 

Sur le plan du congé paternité, l’Espagne se distingue remarquablement de ses voisins et mérite que l’on s’y attarde : pas moins de seize semaines sont accordées aux pères. D’abord, le décret-loi royal 8/2019 du 8 mars 2019 a allongé le congé paternité à 8 semaines, puis en 2019 à 12 semaines, et enfin à 16 en 2021. Plus précisément, le père a droit à une période de repos de six semaines ininterrompues après la naissance du bébé, auxquelles s’ajoutent dix semaines, lesquelles peuvent être réparties pendant les douze mois suivant la naissance ou l’adoption de l’enfant. Ce sont précisément les mêmes modalités que celles applicables au congé maternité. 

Du côté du congé paternité, influence claire et inévitable des modalités qui l’encadrent : les pères passeront d’autant plus de temps à la maison à s’occuper de leur enfant que leur congé paternité sera obligatoire, ou à défaut, sera long. 

            B) Le statu quo, ennemi du parachèvement de l’égalité paritaire : la question de l’incitation par le montant de l’allocation et sa nature 

            Aujourd’hui, il est impossible de ne pas faire le constat selon lequel les hommes s’occupent moins des enfants, moins des tâches ménagères, et plus précisément, prennent moins de congés parental et paternité que les femmes, qui mécaniquement, reprennent le travail plus tard. Dès lors, il faut jouer sur d’autres leviers pour parvenir à rectifier une inégalité matérielle, malgré une égalité en droit souvent garantie.

En France, le montant de l’allocation de congé parental est de 396 euros pour un temps plein, et de 256 euros pour un temps partiel. 

En Suède, pays où les parents sont le mieux rémunérés, le congé parental ouvre droit à un revenu de remplacement qui correspond à 80 % du salaire antérieur pendant les 13 premiers mois. 

D’une part, cela donne un total bien supérieur à ce qui se fait en France, mais c’est aussi bien plus cohérent avec la notion de revenu, ce que n’est pas, précisément, l’allocation de congé parental en France, laquelle ne permet pas de cotiser, ni n’ouvre droit à aucuns droits sociaux ou permet de progresser dans sa carrière. 

En Islande, le modèle apparait comme bien plus favorable d’un point de vue pécunier – congé parental de neuf mois, dont un tiers est réservé à la mère, un tiers au père et un tiers partageable entre les deux, avant les dix-huit mois de l’enfant, chaque partie étant perdue si elle n’est pas prise par son destinataire. Il est rémunéré à 80 % pour tout salaire en dessous de 1 260 euros par mois et 75 % pour les salaires supérieurs, avec un plafonnement à 1 890 euros mensuel. 

L’Allemagne a joint le caractère pécuniaire de l’allocation à l’incitation faite aux pères de bénéficier du congé parental : si les deux parents prennent le congé, qui correspond à deux tiers du salaire, plafonné à 1 800 euros par mois, et est donc bien plus généreux qu’en France, ils ont droit à deux mois supplémentaires. 

Le montant de l’allocation et sa nature est d’autant plus déterminant dans le choix pour le père d’en bénéficier, ou non, que les différences salariales sont telles, qu’un père qui s’arrêterait de travailler pour s’occuper de son enfant bouleverserait davantage les finances du ménage que si la mère le faisait à sa place. En effet, en France, dans le secteur privé, les femmes gagnent 23,7% de moins que les hommes. Ce chiffre est de 18,4 pour les contrats de travail à temps plein, et de 9% pour des postes et des compétences égales. Dès lors, plus le montant de l’allocation est élevé, et bonus s’il s’agit d’une rémunération qui apporte toutes les conséquences attachées à la rémunérations (cotisations, impositions, droits sociaux), plus les hommes seront incités à prendre les congés dont ils peuvent légalement bénéficier, aidant ainsi leur femme dans les tâches relatives à l’enfant, ou l’aidant ainsi à reprendre le travail plus tôt. 

L’argent étant « le nerf de la guerre » en matière sociale, le montant de l’allocation du congé parental, et sa nature (allocation, rémunération) est déterminant dans le choix des pères, sinon des ménages, à ce que le père en bénéficie. 

Tom Fruchart, co-directeur du Pôle Égalité des sexes


Sources : 

  • Mathilde DAMGE, « Instaurer un revenu parental serait-il souhaitable (et possible) ?», Le Monde, 22 juin 2018 
  •  « Moins de 1 % des pères prennent un congé parental, malgré une réforme en 2015 », Le Monde, 7 avril 2021 
  • Diane ROMAN, « Travail domestique non rémunéré et droits des femmes : l’apport des droits humains », in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 2 décembre 2013 
  • Code du travail, Sous-section 1 : Congé parental d’éducation et passage à temps partiel. (Articles L1225-47 à L1225-59)
  • Sénat, Étude de législation comparée n° 200 – octobre 2009 – Les congés liés à la naissance d’un enfant
  • Histoire des congés parentaux en France. Une lente sortie du modèle de rémunération de la mère au foyer, Catherine Collombet, 2016