Groupe Socialiste Universitaire


Europe et géopolitique, Le GSU

Ukraine – Russie : « guerre et paix »

Posté le 28 février 2022 par Arthur Romano

Le 8 août 2008, en plein jeux olympiques d’été à Pékin (Chine), les forces armées russes commencent à envahir la Géorgie, sans conséquences majeures pour la Russie[1]. Début février 2022, en plein jeux olympiques d’hiver à Pékin, la mécanique de guerre russe semble reproduire le même schéma qu’en Géorgie en Ukraine. Le 21 février, la Russie de Vladimir Poutine décide de reconnaître les deux républiques séparatistes du Donbass et de signer des accords d’entraide et d’amitié. Cette situation interpelle la Communauté internationale et nous questionne sur les éléments qui ont conduit à ce que d’aucuns considèrent comme les prémisses d’une guerre aux portes de l’Europe. Le 23 février à l’aube, la Russie lance une offensive majeure et signe le début d’une nouvelle guerre interétatique en Europe.

Une nouvelle atteinte à la souveraineté ukrainienne

Une des définitions les plus admises en droit internationale est celle de Max Uber et qui considère que « La souveraineté, dans les relations entre États, signifie l’indépendance. L’indépendance, relativement à une partie du globe, est le droit d’y exercer à l’exclusion de tout autre État, les fonctions étatiques »[2]. C’est cette indépendance qui est remise en cause par l’agression russe de février, mais également dans les discussions qui la précède. Rien d’autre. La crise russo-ukrainienne n’est pas inédite et s’est déjà produite.

Une première fragmentation du territoire ukrainien cristallise les enjeux de la crise de ce début d’année 2022, mais remonte à plus longtemps, plus précisément à l’accession de l’indépendance de Kyiv. En effet, l’Ukraine proclame son indépendance pour la seconde fois en août 1991 (après une courte période entre 1917 et 1920). La quasi-unanimité des électeurs confirme ce choix le 1er décembre 1991 avec près de 90,5% en faveur de ce nouveau statut[3]. En dépit de la reconnaissance diplomatique de l’Ukraine par Boris Eltsine en 1991, les premières revendications de certains pans du territoire ukrainien apparaissent. C’est le cas notamment de la Crimée que la Russie laissa à l’Ukraine, ce, contre tout attente au regard de son attachement historique à cette région stratégique.

L’heure de vérité pour l’Europe

Pour Joe Biden et Boris Johnson, la « fenêtre pour la diplomatie » était « cruciale »[4]. La situation de crise survenant en Ukraine n’est pas inédite. Pour cause, celle-ci a laissé craindre aux États-Unis et à l’Union européenne une reproduction des événements en Géorgie ou en Moldavie. La Russie ayant fait fi des condamnations précédentes de la communauté internationale, c’est un facteur qui permet d’expliquer pourquoi, en moins d’une semaine, les États-Unis d’Amérique ont rompu nettement avec l’isolationnisme de Donald Trump et ont alerté sur une attaque « probable », « imminente », pouvant survenir « avant la fin des jeux olympiques ». L’administration Biden a ainsi pris les devant – au regard des autres nations – évacué les personnels non-essentiels de son ambassade à Kyiv, avant de délocaliser « temporairement » cette dernière dans une ville plus à l’Ouest. La France quant à elle, après une phase d’accalmie en maintenant son ambassade et suggérant aux français qui le pouvaient de partir a indiqué à ses ressortissants le 22 février qu’ils devaient quitter le plus rapidement possible l’Ukraine.

Éloignement d’un éventuel front, certes, mais surtout un rapprochement de l’Union européenne et des pays de l’alliance de l’OTAN. Pourtant, les États-Unis l’assurent : ils n’enverront pas de troupes pour « évacuer » les ressortissants américains qui resteraient bloqués en Ukraine si un conflit éclate. Cependant, la démarche stratégique américaine est trouble : si la garnison de la garde nationale se retire d’Ukraine, plus de 14.000 troupes sont déployées dans plusieurs pays membres de l’OTAN, dont près de 2.000 en Pologne et plus de 7.000 en Allemagne[5].[1] [RA2] 

Aux craintes américaines, les gouvernements ukrainiens, français ou encore – et non des moindres – polonais ont joué quant à eux la carte de l’apaisement et ont multiplié les échanges, qu’il soit par conférences interposées ou directement comme Emmanuel Macron les 7 et 8 février 2022. Le couple franco-allemand a été par ailleurs très présent avec notamment le déplacement du Chancelier Olaf Scholz mi-février.

Suite à la reconnaissance des républiques autoproclamées du Donbass par la Russie, le Secrétaire d’État américain Antony Blinken a décidé d’annuler la rencontre avec son homologue russe, Sergueï Lavrov.  En dépit des nombreux échanges, le conflit s’est intensifié et généralisé sur l’ensemble du territoire ukrainien.

Ce basculement dans un conflit armé international est la traduction de l’échec de la diplomatie et le mépris de la souveraineté étatique. Cette guerre cristallise les velléités expansionnistes russes.

Une crise cristallisant la volonté d’expansion russe

La mise en exergue du conflit intervient alors que la Russie et ses alliés ont entamé des « manœuvres militaires » tant sur terre que sur mer. Ces exercices ont pris une autre tournure lorsque Vladimir Poutine a annoncé que des essais balistiques auront lieu, incluant ses forces stratégiques. Ce déploiement laisse craindre à la communauté internationale que la Russie n’en profite pour déployer des armes nucléaires en Biélorussie, annihilant ainsi avec toutes les avancées des Accords de Minsk de 2015[6]. Cette crainte ne peut qu’être renforcée par le vote qui aura lieu le dimanche 27 février au parlement biélorusse pour autoriser la pérennisation de ce type d’armes sur son territoire.

Selon Boris Johnson, Premier ministre du Royaume-Uni, « nous sommes maintenant dans un continent où il y a un pays expansionniste qui est très armé »[7]. Ce point de vue doit être nuancé. Car au contraire, l’expansionnisme russe post-URSS s’est déjà produit par le passé. Le sort de la Crimée ressemble ainsi à celui de la Géorgie (avec l’Ossétie du Sud) et la Moldavie (avec la République moldave du Dniestr, ou Transnistrie) qui ont également été amputées de parties de leur territoire avec le même mécanisme de déclaration d’indépendance suivi d’une volonté de rattachement à la Russie (ou à défaut d’une simple indépendance) et avec l’ingérence d’agents russes non-officiels.

A ce titre, l’Ukraine considère « de manière plus que plausible » que des intermédiaires russes aient commis des actes de terrorisme sur son territoire depuis 2014. L’Ukraine met notamment en avant le harcèlement constant que subirait la population de Marioupol et Volnovakha. L’arrêt de la Cour internationale de justice rendu début février 2022 et les arguments des deux États démontrent à eux seuls la difficile interprétation du droit international et, par son existence, de l’absence d’arbitrage en la matière. De l’absence de dialogue tout court.

L’appréhension la plus forte demeure sur les conséquences directes et indirectes de ce conflit. Depuis les sanctions européennes et américaines de 2014 suite à l’annexion de la Crimée, la Russie a connu des mesures économiques, diplomatiques et politiques. Néanmoins, celles-ci n’ont eu qu’un impact limité. D’une part, alors que la Russie était privée du marché européen pour certaines ressources, telles que les céréales, elle a réussi à supplanter toute concurrence et devenir le premier producteur mondial, place qu’elle n’occupait pas auparavant.

Du point de vue politique et diplomatique, il convient de rappeler que l’état Russe avait été suspendu de droit de vote au Conseil de l’Europe et, de facto, de la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et Libertés Fondamentales (CEDH). L’absence de la Russie devant cette juridiction posait un problème majeur pour les organismes et associations de défense des droits humains : celui de la reconnaissance des violations commises. Cette suspension ne durera pas et la Russie réintègrera dès 2019 le Conseil et donc la Cour[8].

L’autre aspect diplomatique réside dans le comportement de l’Union européenne (UE). Si Poutine considère qu’elle est disqualifiée d’office, elle vit aujourd’hui une crise qui déterminera sa force future : celle d’une véritable union ou celle d’une désunion. Voire l’aboutissement de la construction d’une défense européenne[9].

Alors que les observateurs étaient rivés sur la question allemande, la République fédérale a annoncé en amont de l’offensive russe avoir pris la décision de suspendre l’homologation du gazoduc « NordStream 2 », censé délivré 55 milliards de mètres cubes de gaz par an à l’Allemagne[10]. Cette initiative est en premier lieu symbolique et démontre une volonté de rassurer les pays membres de l’UE après des critiques à l’égard de Berlin. En deuxième lieu, il s’agit également d’un sacrifice assumé, bien difficilement. En effet, l’Allemagne ayant changé sa position quant au nucléaire cherchait à diversifier ses ressources énergétiques, incluant le gaz et dont la Russie était l’un de ses principaux exportateurs[11]. Or, l’Allemagne n’est pas la seule à être dépendante de la Russie lorsqu’il s’agit de l’énergétique. Près de 40% du gaz européen est importé depuis cet État[12]. C’est là le troisième enjeu économique et diplomatique. Le gaz était déjà une monnaie d’échange en 2021 pour la levée des sanctions américaines et dont les négociations auraient du permettre d’éviter d’utiliser cette ressource pour « nuire » à l’Ukraine[13].

L’hiver en Europe de l’Ouest arrive à sa fin et les températures remontent. Pourtant, la hausse du prix des ressources énergétiques en fin d’année 2021 laisse craindre une nouvelle explosion des prix avec l’éclatement de ce conflit armé international. A titre d’exemple, au matin de l’offensive russe du 23 février les marchés ont dévissé et le prix du baril de pétrole s’est envolé à plus de 104 dollars. La force économique de l’Union européenne, qui vient de publier une liste à jour des nouvelles personnes visées par le gel des avoirs sur son territoire, devra rapidement montrer qu’elle pourra se passer de ces ressources[14].

Mais au-delà de ces problématiques économiques, politiques et diplomatiques, il ne faut pas négliger les répercussions humaines. Certes, le Président russe a-t-il indiqué ne pas s’en prendre aux civils et qu’ils seront protégés, pourtant il s’agit d’un acquis naturel du droit international humanitaire. Néanmoins, dès les premiers missiles, des civils ont perdu la vie, démontrant l’absence de distinction entre civils et militaires. En fin de journée, le gouvernement ukrainien annonçait quant à lui la perte de la centrale de Tchernobyl.

Cette guerre n’a pas commencé en février

Enfin, affirmer que cette guerre n’a lieu que depuis le 23 février n’est pas infondé. En effet, un conflit armé non-international existe et demeure depuis 2014. Officiellement, ce conflit voit s’opposer depuis fin février 2014 séparatistes pro-russes et forces régulières ukrainiennes. Cette guerre a déjà lieu. [3] [RA4] 

Des titres des grands journaux internationaux, elle a été peu à peu délaissée pour sombrer dans les faits divers à l’international. Pourtant, plus de quatorze mille personnes y ont perdu la vie, dont près de deux mille sur la seule année 2014[15]. C’est à cette même période qu’en mars 2014 des troupes lourdement équipées mais sans distinction quant à leur origine ont commencé à prendre le contrôle de la Crimée. Le 6 mars 2014, le Parlement de Crimée obtient à sa demande son rattachement à la Russie. Les Protocoles (ou accords) de Minsk de 2015, longtemps critiqués par l’Ukraine, notamment en raison de l’attribution d’un statut particulier aux séparatistes, ne prévoyaient qu’un cessez le feu. Celui-ci n’a quasiment pas été respecté depuis lors, ce « acte de guerre » commis par la Russie en est la parfaite illustration. Le Président Poutine a quant à lui indiqué que le temps des accords de paix n’existe plus. Le déclenchement de l’offensive de février le démontre.[RA5] 

L’Exode.

Ainsi, lorsque dans la nuit du 23 au 24 février 2022 la Russie attaque l’Ukraine, elle ne fait qu’officialiser sa position de 2014 : son soutien matériel et humain aux séparatistes.[6] [RA7]  Les derniers développements ne sont donc qu’une intensification des conflits et la fin d’une hypocrisie qui tenait depuis 2014. A l’heure où l’Exode de la population des villes attaquées (et objectifs militaires potentiels) a commencé, demeure la question du devenir de cette population meurtrie.

Par Arthur Romano, membre du pôle Europe et géopolitique


[1] P. Dickinson, “The 2008 Russo-Georgian War: Putin’s green light”, accessible here, consulted February 14, 2022.

[2] Cour Permanente d’Arbitrage, Sentence Arbitrale, Max Uber, Affaire Île de Palmas (ou Miangas), États-Unis c. Pays-Bas, 4 avril 1928, accessible ici, consulté le 10 février 2022.

[3] A. DAUBENTON ; I. DMYTRYCHYN ; L. A. HADJA ; G. LUCIANI ; Y. RICHARD ; « Ukraine », Universalis.fr, accessible ici, consulté le 22 février 2022 ; J. ISAILOVIC ; S. LARCHER, « Entretien avec Mykola Riabchuk », in Entretiens d’Europe n°80,Fondation Robert Schuman, 24 mars 2014, accessible ici, consulté le 14 février 2022.

[4] “Britain says Johnson and Biden see crucial window for diplomacy on Ukraine”, Reuters, February 14, 2022, accessible here, consulted February 24, 2022.

[5] N. BERTRAND; B. STARR, “White House approves plan for US troops to help Americans leave Ukraine if Russia invades”, CNN, February 9, 2022, accessible here, consulted February 15, 2022 ; H. COOPER, “The Pentagon orders another 7,000 American troops to Europe”, The New York Times, February 24, 2022, accessible here, consulted February 25, 2022; Reuters, “U.S. to send 7,000 troops already on alert to Germany -U.S. official”, Reuters, February 24, 2022, accessible here, consulted February 25, 2022.

[6] P. Nikolskaya ; T. Balmforth, “Putin oversees nuclear drills, U.S. says Russian forces ‘poised to strike’ Ukraine”, Reuters, February 20, 2022, accessible here.

[7] The Telegraph, https://www.telegraph.co.uk/politics/2022/02/24/boris-johnson-russia-ukraine-joe-biden-liz-truss-cobra/

[8] A. MILLET, « La Russie fait un retour agité au Conseil de l’Europe », L’Express, 25 juin 2019, accessible ici, consulté le 5 janvier 2022.

[9] J-P. STROOBANTS, « Josep Borrell : « Une Europe de la défense plus forte est dans l’intérêt de l’OTAN » », Le Monde, 14 septembre 2021, accessible ici, consulté le 3 janvier 2022.

[10] V. BONNEBAS, « Malgré sa dépendance au gaz russe, l’Allemagne suspend le gazoduc Nord Stream 2 », Reporterre, 23 février 2022, accessible en ligne ici, consulté le 24 février 2022.

[11] N. STEIWER, « La suspension de Nord Stream 2 pousse Berlin à diversifier ses approvisionnements en gaz », Les Echos, 23 février 2022, accessible ici, consulté le 23 février 2022.

[12] E. LAMBERT, « Crise en Ukraine : comment le gaz est devenu une arme diplomatique entre Moscou et les occidentaux », France Info, 28 janvier 2022, accessible ici, consulté le 2 février 2022.

[13] T. WIEDER, « Gazoduc Nord Stream 2 : les États-Unis et l’Allemagne se mettent d’accord », Le Monde, 22 juillet 2021, accessible ici, consulté le 20 février 2022.

[14] Règlement (UE) 2022/259 du Conseil du 23 février 2022 modifiant le règlement (UE) n°269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, accessible ici, consulté le 24 février 2022.

[15] R. MELLEN, “The Human Toll of the Russia-Ukraine conclict since 2014”, The Washington Post, February 22, 2022, accessible here, consulted February 24, 2022; Office of the UN High Commissioner for Human Rights, Conflict-related civilian casualties in Ukraine, OHCHR, 8th October 2021, accessible here, consulted 23rd February 2022.