Groupe Socialiste Universitaire


Egalité des genres

LA CRISE DE LA COVID-19, UN PUISSANT RÉVÉLATEUR DE L’IMPACT DU GENRE DANS LA SANTÉ : ÉTUDE COMPARATIVE ENTRE LA FRANCE ET LES ÉTATS-UNIS

Posté le 11 novembre 2021 par Groupe Socialiste Universitaire

Cet article est le fruit d’un travail de recherche mené par ses auteures en 2020-2021 et qui figuera sur le site du Comité d’éthique de l’Inserm dans la rubrique « Notes des groupes de travail » en octobre 2021.

Plan

Introduction

1. Mortalité liée à la Covid-19 : les hommes plus touchés que les femmes

1.1 Des causes biologiques ? 

1.2 Différences entre les sexes dans la mortalité de la Covid-19 : des raisons plurielles 

– Age, sexe et mortalité liée à la Covid-19 

– Comorbidités, contexte socio-culturel, ethnicité et mortalité liée à la Covid-19

2. Covid-19 et confinement : des retombées sanitaires et sociales qui touchent différemment les femmes et les hommes

2.1 Vie au travail et situation économique

2.2 Confinement et impact psychologique

2.3 Le poids du confinement sur la santé sexuelle et reproductive 

2.4 Confinement et violences 

3. Absence de femmes dans les cellules de crise Covid-19 et les médias. 

4. Conclusions et perspectives

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Introduction

                  Dans la plupart des régions du monde, les chiffres sont saisissants : les hommes sont statistiquement plus nombreux à mourir de la Covid-19 que les femmesAutre constat, les mesures de confinement et les retombées sanitaires et sociales de la pandémie ont rendu visibles, comme rarement auparavant, les situations d’inégalité entre femmes et hommes, en France et dans de nombreux pays. 

                  Ces observations soulignent à quel point la prise en compte de la question du genre – alliée à celle du sexe – constitue une dimension incontournable pour comprendre les mécanismes de l’infection et élaborer des mesures de prise en charge et de prévention. Dans cette perspective, nous avons entrepris de comparer l’impact de la Covid-19 en France et aux États-Unisdeux pays qui différent largement dans la culture, l’économie et les politiques de santé.

                  Nous verrons que cette comparaison fait paradoxalement ressortir de nombreuses similitudes qui ont pour dénominateur commun les rapports sociaux de genre, source majeure d’inégalités au détriment des femmes, sur les plans sanitaire, social et économique. Un deuxième point saillant concerne le dysfonctionnement des politiques publiques aux États-Unis qui peinent à garantir un système de santé égalitaire pour assurer les droits de femmes. 

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ENCART 1 :

A propos des systèmes de santé en France et aux États-Unis

La qualité globale de la santé, tant pour les femmes que pour les hommes, est meilleure en France qu’aux États-Unis. La raison principale tient au système de couverture de santé publique (Sécurité sociale) dont bénéficient les ressortissants français et aussi les immigrés vivant en France. Aux États-Unis, il n’y a que deux programmes nationaux de sécurité sociale: Medicaid pour les personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté (presque 20% de la population totale), et Medicare pour toute personne âgée de 65 ans et plus (14% de la population totale). Concernant les autres catégories d’américains, soit l’assurance santé est prise en charge par l’employeur, soit ils payent leur propre assurance, soit ils recourent à des prêts bancaires en cas de maladie, même pour financer un accouchement. Les différences de qualité de santé entre les deux pays sont aussi liées à des facteurs socio-culturels : habitudes alimentaires, vie au travail etc. qui se répercutent sur les états de santé physique et mentale. 

Selon un rapport de l’OCDE en 2019, les États-Unis sont mal classés pour l’ensemble des indicateurs de santé. L’espérance de vie y est plus faible que dans la plupart des autres pays industrialisés. La proportion d’adultes qui fument aux États-Unis est parmi la plus faible des pays de l’OCDE, mais la consommation d’alcool et de drogues est plus forte et le taux d’obésité le plus élevé.[1]Il est frappant de constater que parmi toutes les nations développées, les États-Unis ont le pire taux de mortalité maternelle et se classent au dernier rang en ce qui concerne l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive de sa population. En 2019, le taux de mortalité maternelle des femmes noires non hispaniques était de 44% décès pour 100 000 naissances, soit 2,5 fois le taux des femmes blanches non hispaniques et 3,5 fois le taux des femmes hispaniques (12,6%).[2] [3]

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1. Mortalité liée à la Covid-19 : les hommes plus touchés que les femmes

En avril 2021, le point épidémiologique de Santé publique France indiquait que les hommes constituaient environ 56% des décès lié à la Covid-19. Aux États- Unis, en août 2021, 54,2 % des décès de la Covid-19 concernaient les hommes d’après les chiffres des Centres de contrôle des maladies (CDC).[4]

Selon une méta-analyse de décembre 2020 basée sur des données de 47 pays (Peckham 2020), il n’y a pas globalement à l’échelle mondiale de différence entre les sexes pour la contamination. Par contre, la probabilité pour un homme d’être hospitalisé en soins intensifs est presque trois fois plus élevée (2,84 fois) que pour une femme et la probabilité de décéder est également plus importante (1,39 fois). Les femmes seraient-elle épargnées de par leur constitution biologique ? Seraient-elles naturellement protégées par leurs gènes et leurs hormones ? La réalité est manifestement bien plus complexe (Vidal 2020).

1.1 Des causes biologiques ? 

                  Le rôle protecteur supposé des hormones gonadiques dans la vulnérabilité à la Covid-19 est régulièrement invoqué dans les médias et les réseaux sociaux. Ainsi le New York Times titrait le 27 avril 2020 : « Est ce que les estrogènes et autres hormones sexuelles peuvent aider les hommes à survivre de la Covid ? ». L’article se faisait l’écho de deux essais cliniques en cours aux États-Unis qui testent les effets de l’administration d’estrogènes et de progestérone chez des patients présentant des symptômes modérés de la maladie. Un autre essai clinique étudie l’influence de la réduction médicamenteuse du taux de testostérone sur l’évolution de la maladie. Cependant l’hypothèse hormonale est en contradiction avec le fait que, dans la population des personnes âgées les plus vulnérables, les femmes ménopausées dont les taux d’hormones gonadiques sont très bas, sont néanmoins plus résistantes que les hommes. Par ailleurs, des études préliminaires suggèrent que le SARS-CoV-2 toucherait d’avantage certaines populations féminines : femmes enceintes, ménopausées et les femmes atteintes d’un syndrome des ovaires polykystiques (Gotluru 2021). 

                  D’autres recherches suivent la piste de facteurs génétiques liés au sexe impliqué dans les défenses immunitaires et dans les mécanismes de pénétration du virus dans les cellules (Gotluru 2021, Channappanavar 2017, Takahashi 2020). Dans une étude récente (Grzelak  2021) sur la cinétique de la réponse humorale à une forme modérée de Covid-19, il ressort que les hommes ont plus d’anticorps que les femmes un mois après l’infection. Mais dans les six mois suivants, le taux d’anticorps décline moins vite chez les femmes que chez les hommes, indépendamment de l’âge ou du poids. Les causes de cette particularité immunitaire (si elle est confirmée) ne sont pas connues. La question est ouverte sur l’éventualité de différences entre les sexes dans l’efficacité vaccinale et la sensibilité aux variants (Bunders 2020, Gaebler 2021).

                  A noter une étude de grande ampleur parue dans Nature en 2021 portant sur les génomes de 50 000 patients et 2 millions de contrôles issus de 19 pays (Covid-19 Host Genetics Initiative). Treize séquences d’ADN (loci) ont été corrélées à des formes plus ou moins sévères de Covid-19, dont certaines associées à des maladies pulmonaires, auto- immunes et inflammatoires. L’article ne mentionne pas de différences entre les sexes. 

                  Jusqu’à présent, les résultats des recherches sur la pathophysiologie de la Covid-19 chez les femmes et les hommes sont encore trop préliminaires pour envisager des stratégies thérapeutiques et vaccinales ciblées en fonction du sexe.

1.2 Différences entre les sexes dans la mortalité de la Covid-19 : des raisons plurielles 

                  Depuis le début de la pandémie, plusieurs pays ont développé des outils statistiques et démographiques pour décompter les décès de la Covid-19 et comparer les données entre les pays (Harvard GenderSci Lab, 2020 ; Riffe 2020). Au niveau mondial, il y a plus d’hommes que de femmes parmi les décès liés à la Covid-19, mais l’ampleur du désavantage masculin diffère d’un pays à l’autre en fonction des interactions entre de nombreux facteurs : âge, sexe, comorbidités, contexte social, culturel et économique.

Age, sexe et mortalité liée à la Covid-19

                  Un point fondamental pour la comparaison et l’interprétation des données est de calculer les taux de mortalité due à la Covid-19 par âge et sexe. En effet, la pyramide des âges dans la population varie selon les pays et les régions. Compte tenu de la vulnérabilité au virus des personnes âgées, des hommes en particulier, leur proportion dans une population donnée joue un rôle déterminant sur le nombre de décès. 

                  En France, le « Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès » (CépiDC) de l’Inserm est mobilisé pour faire un suivi en temps réel de l’évolution du nombre de certificats de décès Covid-19 par sexe et âge, région et département. Sur les cartes et graphiques disponibles jusqu’à présent, il est signalé que les données sont incomplètes. Les statistiques hebdomadaires de certains départements ne peuvent pas être présentées, afin de préserver la confidentialité des données.[5]

                  Les difficultés de recueil des données concernent aussi l’Observatoire cartographique GEODES de Santé publique France, dont l’objectif est également de suivre l’épidémie de Covid-19 par région, département, sexe et classe d’âge.[6] Pratiquement, dans la plupart des publications hebdomadaires du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), les statistiques sur le nombre de personnes décédées avec diagnostic Covid-19 ne distinguent pas hommes et femmes.[7]

                  A noter la mobilisation de l’Ined (Institut National d’Etudes Démographiques) pour mettre à disposition en libre accès des données nationales et internationales sur les décès liés au Covid-19, qui sont documentées et détaillées par sexe, groupe d’âges et lieu de décès.[8] Le site apporte des informations accessibles à un large public pour éclairer le potentiel des données mais aussi les limites et les écueils à éviter lors de leur utilisation (Garcia 2021). 

                  Aux États-Unis, une démarche similaire est celle de l’Université de Harvard. Le groupe de recherche « GenderSci Lab », dirigé par Sarah Richardson, a entrepris de recenser tous les cas de Covid-19 depuis avril 2020 dans les 50 États des États-Unis.[9] Ces chiffres, mis à jour chaque semaine, révèlent que la plus forte vulnérabilité des hommes n’est pas une règle absolue. Les différences entre les sexes dans la prévalence et la mortalité sont en effet très variables d’un état à l’autre. Les Etats de Dakota, Massachusetts et Rhode Island présentent ainsi les plus forts taux de mortalité chez les femmes (53 à 56 %). Inversement, dans les États de New York, Oregon, Californie et Nevada, la mortalité des hommes est la plus élevée (56 à 58 %). 

                  Quand le facteur âge est pris en compte dans tous ses aspects (en rapportant le pourcentage de morts de la Covid-19 à la pyramide des âges de la population de chaque état, sachant que les femmes vivent en moyenne plus longtemps que les hommes), la surmortalité des hommes est plus fréquente mais avec de fortes variations. Dans les États de New York, Texas et New Jersey, deux fois plus d’hommes que de femmes ont succombé à l’infection comparativement aux taux habituels de mortalité. Par contre, dans les États de Kentucky, Maine, New Hampshire, Utah, Vermont, autant d’hommes que de femmes sont morts de la Covid-19. Le GenderSci Lab a publié un guide de recommandations pour la recherche et les médias sur les biais statistiques et l’impact des facteurs liés au sexe, au genre sur la mortalité liée à la Covid-19.[10]

Comorbidités, contexte socio-culturel, ethnicité et mortalité liée à la Covid-19

                  Un autre élément majeur à prendre en compte est celui des comorbidités qui, pour une tranche d’âge donnée, peuvent affecter différemment les femmes et les hommes (Shattuck-Heidorn 2020). Les maladies chroniques cardiovasculaires et respiratoires, le diabète, les pathologies des reins et du foie, l’obésité, les troubles psychiatriques, l’immunodéficience, sont des facteurs de risque avérés de décéder de la Covid-19. La prévalence de ces maladies est variable selon le sexe et le genre, en lien avec l’environnement social, culturel, économique etc. Ainsi, dans de nombreux pays (dont la France et les États-Unis), les pathologies cardiaques, le diabète, l’obésité sont plus fréquents chez les hommes, tandis que l’asthme affecte davantage les femmes. Nombreux sont les facteurs de risques liés au genre : consommation d’alcool, tabagisme, exposition professionnelle, suivi des consignes de prévention, accès aux soins etc. 

                  Qu’il s’agisse de la Covid-19 ou d’épidémies antérieures, le profil socio-économique des victimes mais aussi leur profil ethnique sont des facteurs clés pour comprendre la disparité entre les sexes dans la susceptibilité à l’infection et dans la mortalité (Bajos 2020, Danielsen 2020, Williamson 2020). 

                  En France, les statistiques de l’Insee ont révélé des différences importantes dans la surmortalité liée à la Covid-19 selon le pays de naissance.[11] En mars-avril 2020, pour les personnes nées en France, la hausse des décès est quasi identique pour les deux sexes (+ 25 % pour les femmes et + 26 % pour les hommes). Par contre l’augmentation des décès est plus marquée chez les personnes nées dans un pays du Maghreb (+ 61 % pour les hommes et + 44 % pour les femmes), de même que pour celles nées dans un autre pays d’Afrique (+ 131 % pour les hommes, + 88 % pour les femmes), et pour celles nées en Asie (+ 101 % pour les hommes, + 79 % pour les femmes). Parmi les facteurs ayant contribué à accroître la mortalité des personnes nées à l’étranger, le rapport de l’Insee évoque leur concentration dans des régions densément peuplées très touchées par la Covid-19, des logements exigus, ou encore l’usage plus fréquents des transports en communs des professions dont l’activité n’a pas été restreinte pendant le confinement. 

                  On rappellera qu’en France, les statistiques ethniques sont interdites, ce qui limite l’analyse des données sur les liens entre Covid-19, sexe et ethnicité. Ce n’est pas le cas aux États-Unis où les chercheurs travaillent depuis longtemps sur l’état sanitaire des populations immigrées et des minorités.  Selon les dernières enquêtes du CDC, les minorités raciales et ethniques sont touchées de manière disproportionnée par la Covid. Le taux d’hospitalisation des Noirs américains, Amérindiens et Latinos est quatre à cinq fois supérieur à celui des Blancs. Par exemple à Chicago et en Louisiane, 50% des cas de Covid-19 et 70% des décès concernent des personnes noires, alors qu’elles ne représentent que 30% de la population. Les raisons de la surmortalité sont liées à des risques élevés de contamination des minorités dans les secteurs de la santé, des services, des transports publics…. là où le télétravail est impossible. Enfin, les populations minoritaires ne disposent pas toujours d’une assurance maladie et sont moins bien prises en charge pour des raisons de préjugés raciaux.[12] [13] [14]

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ENCART 2

Sexe et genre dans des épidémies virales antérieures au Covid-19

Plusieurs exemples témoignent de l’importance de prendre en compte le genre dans les infections virales. La pandémie de grippe espagnole en 1918 a frappé majoritairement les hommes, en particulier les militaires et les travailleurs manuels. Or, ces populations étaient les plus exposées aux contacts de proximité et aussi plus souvent atteintes de tuberculose et donc plus fragiles. La mortalité des hommes de classes aisées était la même que celle les femmes.

                  Dans les infections par coronavirus tels que le SRAS-CoV-1 (épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère en Asie) et le MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient) les hommes ont été plus atteints que les femmes. Là encore, le contexte social a joué un rôle déterminant. Pour le SRAS, la mortalité des hommes était supérieure à celle des femmes de 10%. Mais après avoir pris en compte les facteurs liés à l’âge, la comorbidité, l’activité professionnelle et le mode de vie, les taux de décès étaient similaires pour les deux sexes. Quant au MERS, transmis principalement par les chameaux, les hommes âgés, qui en prennent soin traditionnellement, ont été les victimes majoritaires. 

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2. Covid-19 et confinement : des retombées sanitaires et sociales qui touchent différemment les femmes et les hommes

2.1 Vie au travail et situation économique

                  Partout dans le monde, les enquêtes ont montré que les femmes étaient plus affectées par la crise que les hommes.[15] Dans les pays riches, une des raisons tient au fait que les femmes sont surreprésentées dans les emplois précaires et les secteurs en difficulté comme le tourisme. Dans les pays en développement, 47 millions de femmes ont basculé en dessous du seuil de pauvreté, annulant des décennies de progrès.[16]

                  En France, l’enquête COCONEL menée par un consortium de chercheurs et l’institut de sondage IFOP a suivi pendant le mois de mars 2020 le ressenti et les comportements d’un échantillon représentatif de la population face à la Covid-19 et au confinement.[17] Les résultats montrent de fortes disparités entre les sexes dans les conditions de vie au travail et à la maison, avec une dégradation plus marquée dans les catégories sociales les plus pauvres. C’est pour les femmes que la situation économique s’est le plus détériorée. Parmi celles qui étaient en emploi au 1er mars 2020, deux sur trois seulement continuent de travailler deux mois plus tard, contre trois hommes sur quatre (Lambert 2020). Les cadres ont massivement télétravaillé, tandis que les personnels ouvriers et employés, qui comptent de nombreuses femmes, ont été à l’arrêt pour près de la moitié. Avec la fermeture des écoles, les mères célibataires qui ont dû arrêter de travailler, ont été particulièrement pénalisées par la perte de revenus. Il faut souligner que les mesures de chômage partiel prises par le gouvernement ont permis de limiter les destructions de postes et le décrochage massif de l’emploi féminin.[18]

                  Les personnels qui sont restés travailler étaient présents sur site avec un risque élevé d’exposition à l’infection. Cette situation a touché particulièrement les femmes qui sont surreprésentées dans les métiers du « care » (soins aux autres) et des services : infirmières et aides-soignantes dans les hôpitaux (90 % de personnel féminin), Ephads  (90 %), auxiliaires de vie (97 %), caissières de la grande distribution (90 %), enseignantes (83 % de femmes dans le premier degré), personnels des établissements scolaires, agents d’entretien (76%). C’est parmi ces emplois que se trouve la plus grande part de salariés contaminés.[19] [20]

                  A toutes ces données, viendront s’ajouter celles de deux grandes enquêtes pilotées par l’Inserm, EpiCoV (Épidémiologie et conditions de vie) et SAPRIS (Santé, pratiques, relations et inégalités sociales en population générale pendant la crise Covid-19), dont les résultats sont en cours de publication.[21]

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ENCART 3

Qu’est-ce que le « care » ?

                  Ce mot anglais désigne en français la sollicitude et le soin aux autres. Le care recouvre deux notions. D’une part, les valeurs morales accordées au fait de porter attention et prendre soin d’autrui. Ces capacités sont celles assignées historiquement aux femmes qui doivent s’occuper des enfants, des malades, des personnes âgées…

L’autre dimension du care correspond aux activités sociales et professionnelles de soin et de services, lesquelles sont le plus souvent assurées par les femmes. L’épidémie de Covid-19 a mis en lumière l’ensemble de ces métiers qui répondent à des besoins essentiels à la vie quotidienne et sont souvent invisibles et peu ou pas rémunérés

–  Sandra Laugier : Le Souci des autres. Ethique et politique du care, Editions de l’EHESS, 2005

– Pascale Molinier : Le Care monde. Trois essais de psychologie morale,  ENS Lyon Editions, 2018

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                  La reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle a fait l’objet d’un décret paru au Journal officiel le 15 septembre 2020. Le statut de maladie professionnelle est désormais accordé automatiquement aux personnels soignants qui ont développé une forme grave du Covid-19 ayant nécessité un apport d’oxygène. Les autres catégories de travailleurs doivent passer devant un comité d’experts pour bénéficier de cette reconnaissance.[22] Les chiffres de l’Assurance maladie publiés en février 2021 montrent que le pourcentage de professionnels reconnus contaminés par le coronavirus est faible. Seuls 437 dossiers sur 16 919 déclarations reçues ont abouti à une reconnaissance, soit un taux de prise en charge de 2,6%. Cette situation est en partie due au fait que la démonstration est compliquée pour les catégories professionnelles non-soignantes en contact avec le public pendant l’urgence sanitaire, particulièrement pour celles qui ont assuré le fonctionnement indispensable du pays (alimentation, transports en commun, sécurité, nettoyage etc). Les femmes y ont massivement participé.[23]

                  Enfin, il faut souligner que la période de la pandémie a aussi eu pour conséquence d’aggraver le renoncement aux soins, un phénomène plus marqué chez les femmes. Selon une enquête de « l’Observatoire des non-recours aux droits et services » (Odenore), 64% des femme ont déclaré avoir renoncé à un acte médical impératif, contre 53% des hommes. Les raisons de ce non-recours sont d’ordre socio-économique : baisse de revenu, perte d’emploi, famille monoparentale (Beltran 2020). 

                  Aux États-Unis comme en France, la crise sanitaire a particulièrement fragilisé les emplois de service où les femmes sont majoritaires (commerce de détail, restauration, tourisme, aide à la personne, nettoyage etc.). Les femmes ont davantage renoncé à travailler pour assurer la garde des enfants. La crise de la Covid-19 a aussi été révélatrice des inégalités auxquelles les femmes de la communauté afro-américaine sont confrontées sur le marché du travail. L’écart salarial entre femmes noires et hommes blancs est en moyenne de 37%, alors qu’il est de 17,7 % entre femmes et hommes en population générale.[24] [25]

                  Il n’existe pas de programme national d’indemnités de chômage aux Etats-Unis. Certes, le Département du travail fédéral enregistre le nombre de demandeurs d’emploi à travers le pays pour des collectes statistiques mais il revient à chaque État/juridiction de distribuer les allocations de chômage en fonction de ses propres critères d’éligibilité. La crise économique liée à la Covid-19 n’a pas donné lieu à des mesures de chômage partiel contrairement à la France. 

                  La reconnaissance de la Covid-19 comme maladie professionnelle n’a pas été déclarée au niveau national, sauf pour les employés fédéraux (prison, forces de l’ordre et autres métiers à risque de contamination). Une agence fédérale – le OSHA attaché au Département du travail https://www.osha.gov/ – enregistre au niveau national les plaintes des employés pour accident ou maladie au travail. La procédure de compensation est gérée par chaque État suivant ses propres lois, quand elles existent. Si ce n’est pas le cas, les travailleurs se tournent vers le système judiciaire.

2.2 Confinement et impact psychologique

                  Les effets de la crise se sont imprimés dans la sphère de l’intime en lien avec la réorganisation de la vie domestique quotidienne et l’insécurité socioéconomique. La « charge mentale » des femmes s’est fortement alourdie avec le suivi scolaire des enfants et les tâches domestiques qu’elles ont assurés en majorité. 

                  En France, plusieurs enquêtes sur l’impact psychologique du confinement ont révélé un risque important chez les femmes de burn-out domestique. Les familles monoparentales sont particulièrement exposées à ce risque d’épuisement, mais aussi au risque d’isolement, en milieu urbain et rural.[26]

                  Le monde du travail est tout autant concerné. Le nombre de salarié(e)s en arrêt maladie pour troubles psychologiques est passé de 9% à 18% après le premier confinement.[27]  [28]

Les professions à prédominance féminine ont été particulièrement surexposées aux risques psychosociaux (infirmières, aides-soignantes, caissières). Lors du second confinement, 58% des femmes salariées étaient en détresse psychologique.[29]

                  La fermeture des universités a aggravé les fragilités économiques et psychologiques rencontrées par les étudiants et notamment les étudiantes : 40% de femmes contre et 31% d’étudiants hommes ont arrêté leur activité rémunérée pendant le premier confinement. Selon « l’Observatoire de la Vie étudiante », les étudiantes étaient 36 % à présenter des signes de détresse psychologique contre 25% d’étudiants.[30]

                  De nombreuses études s’intéressent aux conséquences, actuelles et futures, de la crise sanitaire et du confinement sur la santé psychique de la population : augmentation des troubles du sommeil, addictions, dépression, anxiété etc. L’enquête internationale COCLICO (Coronavirus Containment Policies and Impact on the Population’s Mental Health) vise à évaluer les effets du confinement sur la santé mentale, les facteurs associés et leur évolution au cours du temps. Les premiers résultats de la branche française de l’enquête indiquent la survenue d’une détresse psychologique chez 33 % des répondants, dont 12 % présentant une détresse d’intensité sévère. Les populations les plus à risque ont été identifiées, notamment les femmes en situations de précarité économique et sociale.[31] [32] Depuis mars 2020, Santé publique France a lancé l’enquête CoviPrev en population générale afin de suivre l’évolution des comportements (gestes barrières, confinement, consommation d’alcool et de tabac, alimentation et activité physique) et de la santé mentale (bien-être, troubles) ainsi que leurs principaux déterminants. Les premiers résultats publiés sur la santé mentale ne comportent pas d’analyse en fonctions du sexe.[33]

                  Aux États-Unis, comme en France, les enquêtes menées pendant la pandémie font ressortir un état généralisé de mauvaise santé mentale majoritairement chez les familles confinées, les travailleurs « essentiels », les étudiants et plus particulièrement chez les femmes. L’augmentation des violences conjugales est un facteur aggravant. Dans un sondage réalisé par la Kaiser Family Foundation (KFF), 53 % des femmes ont déclaré que la crise de la Covid-19 avait eu un impact négatif important sur leur santé psychique (anxiété, dépression, troubles du sommeil, pensées suicidaires) contre 37 % des hommes.[34] Les femmes des minorités ethniques ont été particulièrement touchées.[35]

2.3 Le poids du confinement sur la santé sexuelle et reproductive

                  Le confinement et la forte pression sur le système hospitalier ont rendu l’accès aux soins en général plus compliqué, avec en particulier une menace pour les droits sexuels et reproductifs des femmes.

En France

Accès à l’avortement

                  Pendant le premier confinement, les statistiques des appels du numéro vert national « Sexualités, Contraception, IVG » ont révélé que les signalements de difficultés liées à l’IVG ou la contraception ont augmenté de 320% par rapport à la même période de 2019.[36] En effet, les équipes médicales et les services qui assuraient des IVG ont pour beaucoup été réorientés vers la lutte contre la Covid-19. De plus, la limitation des déplacements a compliqué la possibilité d’obtenir une consultation médicale dans les délais légaux, avec pour conséquence des retards de diagnostic et des demandes d’avortement hors-délai au moment du déconfinement.

                  Cette situation a conduit le Ministre de la Santé à prendre des mesures d’exception (loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020):

– Extension du délai pour l’IVG médicamenteuse à domicile de 5 à 7 semaines de grossesse

– Possibilité de prescrire une IVG médicamenteuse par télémédecine pour limiter les déplacements et/ou tenir compte des difficultés d’accès aux structures de soins

– Possibilité de se procurer la pilule contraceptive, même si l’ordonnance n’a pas été renouvelée

– Possibilité de pratiquer une interruption médicale de grossesse (IMG) au-delà du délai légal de l’IVG (12 semaines de grossesse) au motif de « détresse psychosociale » lorsque la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme.[37]

Accès à la PMA (procréation médicalement assistée)

                  Au printemps 2020, les centres de PMA ont dû fermer, leurs activités étant considérées comme non prioritaires. Ils ont ensuite repris avec une activité réduite de 30 à 50% selon les centres, occasionnant des retards dans les interventions médicales (insémination artificielle, fécondation in vitro, recueil de dons de gamètes…). 

                  L’Agence de la biomédecine publie des recommandations régulièrement actualisées sur les activités de PMA en lien avec la Covid-19. La version de juillet 2021 comprend un document qui synthétise les principales questions soulevées par les couples en parcours de PMA, dont la vaccination, tout en soulignant que les données scientifiques sur les effets du virus sur la fertilité des femmes et des hommes, sur la grossesse et sur l’AMP sont encore rares et incomplètes.[38]

Aux États-Unis

 Accès à l’avortement

                  Aux États-Unis, la pandémie s’est traduite très concrètement par l’augmentation des pressions visant à fermer les cliniques qui pratiquent l’avortement. Bien avant les bouleversements économiques de la Covid-19, de nombreuses femmes ne pouvaient déjà pas assumer les frais d’un avortement. Depuis 1980, l’amendement Hyde (renouvelé à chaque vote du nouveau budget fédéral) interdit à « Medicaid » – assurance santé pour les pauvres – de financer le recours à l’avortement. Or, la majorité des patientes qui avortent sont pauvres. La moitié vit en dessous du seuil de pauvreté. Les femmes des communautés noires, latino-américaines et amérindiennes sont les plus touchées. 

                  Depuis le début de la pandémie, les mouvements anti-avortement ont multiplié leurs revendications, arguant que l’avortement n’est pas un soin de santé essentiel et que son interdiction permettrait au personnel soignant de s’occuper exclusivement des cas de Covid-19. En 2020, douze États ont tenté d’interdire le recours à l’avortement dont l’Alaska, l’Iowa, la Louisiane, le Mississippi et la Virginie occidentale. Certains tribunaux fédéraux (Alabama, Ohio, Oklahoma, Tennessee) ont réussi à bloquer les interdictions, mais les restrictions restent encore en place dans de nombreux États. 

                  En réaction, les mouvements pro-avortement, ont réclamé un accès plus large à l’avortement par pilule abortive assisté par la télémédecine. Les organisations de défense de la santé reproductive (Aid Access, Plan C, Self-Managed Abortion, Safe and Supported Project) offrent sur leurs plateformes des informations et un soutien sur la manière d’utiliser la pilule abortive en toute sécurité. Mais de nombreux obstacles juridiques et réglementaires persistent. Certains états exigent que le médecin qui prescrit la pilule abortive soit physiquement présent auprès de la patiente, un recours limité par la mobilisation des médecins sur le front de la Covid-19. Des réglementations excluent les sages-femmes/maïeuticien.es, souvent plus disponibles que les médecins pour l’IVG médicamenteuse.

                  Jusqu’à présent, on ne dispose pas de données statistiques qui comparent le nombre d’avortements avant et pendant la Covid-19. Selon une étude qualificative auprès de vingt prestataires de services d’avortement dans des cliniques privées du Sud et du Midwest des États-Unis, les personnels interviewés ont fait état de difficultés accrues pour permettre aux patientes d’obtenir un avortement : fermeture abrupts des cliniques, nécessité de faire appel à des médecins itinérants, limites imposées par le législateur à la télémédecine, intensification des activités des manifestants anti-avortement, réglementations anticonstitutionnelles interdisant le recours à l’avortement médicamenteux.[39]

Accès à la PMA (procréation médicalement assistée)

                  Les travaux des sociétés savantes américaines dans le domaine de la PMA ont révélé que la pandémie a réduit significativement l’activité des 400 cliniques traitant l’infertilité à travers le pays.[40] [41] L’impact a été plus important pour les femmes que pour les hommes.[42] On notera que les fermetures de centres de FIV dans le monde, et plus particulièrement aux États-Unis, ont entraîné une baisse de 14 milliards de dollars du marché de la PMA entre 2019 à 2020. 

2.4 Confinement et violences 

                  Partout dans le monde, les violences faites aux femmes (et aux enfants) se sont intensifiées pendant la COVID-19 (North, 2020). La raison principale tient au confinement qui isole socialement et physiquement les familles et augmente les tensions entre des personnes (Van Gelder et al., 2020).

En France

                  Pendant le premier confinement, les interventions des forces de l’ordre à domicile ont augmenté de 42 % par rapport à la même période en 2019. Lors du second confinement, la plateforme « arretonslesviolences.gouv.fr» a enregistré une hausse des signalements de 60% contre 40% pendant le premier confinement. Les violences conjugales ont représenté l’essentiel des gardes à vue depuis le début du confinement. 

                  Le contexte de confinement a compliqué la prise en charge des victimes. Les structures d’accompagnement et d’hébergement ont vu leurs difficultés financières et de fonctionnement accentuées par les impératifs sanitaires (CESE).[43] Plusieurs mesures ont été prises par les pouvoirs publics : dispositifs de signalement de violences en pharmacie, dans les centres commerciaux, sur internet, via sms à travers l’extension de la disponibilité du 3919, le numéro national de référence pour les femmes victimes de violences. Des moyens supplémentaires ont été alloués pour les hébergements et l’aide aux associations de lutte contre les violences faites aux femmes.

Aux États-Unis

                  Aux États-Unis, chaque année plus de 10 millions de femmes sont victimes de violences conjugales.[44] Pendant le confinement, les violence domestiques ont augmenté de 8,1 % dans les grandes villes américaines. Les appels aux services de secours ont crû de 9,7 %. Dans une enquête réalisée en mai 2020, un tiers des femmes ayant subi des violences ont eu des difficultés à trouver un centre de secours (Lindberg et al., 2020).La « Young Women’s Christian Association (YWCA) », le plus grand centre de services et de logements pour les femmes victimes de violences, a signalé que la plupart de ses abris à travers le pays étaient pleins, en particulier dans les États les plus touchés par la Covid-19. Jusqu’à présent aucun programme national d’aide aux femmes et enfants victimes de violences a été mis en place.[45]

3. L’absence de femmes dans les cellules de crise Covid-19 et les médias

                  Selon les données publiées par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et ONU Femmes, les cellules de crise mises en place par les gouvernements pour lutter contre la Covid-19 comptent quatre fois plus d’hommes que de femmes à travers le monde, alors que les femmes représentent 70 % du personnel de santé à l’échelle internationale.[46]

En France

                  Le traitement de la crise dans les instances gouvernementales et les médias a été révélateur de l’invisibilité des femmes expertes dans les domaines de la biologie et de la médecine. Elles sont pourtant bien présentes dans de nombreuses disciplines de recherche : médecine, épidémiologie, sociologie, économie….[47]  Or les postes de direction à l’hôpital, dans les universités et les centres de recherche sont surtout tenus par des hommes qui de ce fait sont majoritairement sollicités par les pouvoirs publics. Au début de la crise sanitaire en mars 2020, le Conseil scientifique du Covid-19 comprenait 2 femmes et 9 hommes. En juillet 2021, sa composition est de 5 femmes et 11 hommes. 

                  Selon deux études du CSA et de l’INA, la crise sanitaire a accentué la sous-représentation des femmes dans les médias. Pendant le confinement, le pourcentage de femmes expertes était inférieur à 20 % sur les chaînes de France Télévision alors que leur présence est en temps normal de l’ordre de 40 %. Le constat est le même dans la presse écrite. Une enquête réalisée par l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI), a révélé qu’en janvier 2021, 70 à 80 % des scientifiques interrogés dans les journaux (généraliste ou spécialisée) étaient des hommes.[48]

                  Ces questions sont au cœur du rapport gouvernemental de la députée Céline Calvez publié en 2020. Ce rapport analyse la présence et le temps de parole des femmes dans l’ensemble des médias pendant la crise sanitaire et formule des propositions pour lutter contre les inégalités de représentation entre les femmes et les hommes.[49]

Aux États-Unis 

                  Au début de la pandémie, seuls deux des 27 membres de la « White House Coronavirus Task Force » étaient des femmes. Depuis l’élection de Joe Biden, le rebaptisé « White House COVID-19 Response Team » compte désormais 6 femmes sur 16 membres. Le Gender Inequality Research Lab (GIRL) de l’Université de Pittsburgh a lancé un programme de recherche sur la représentation des femmes aux postes de direction et au sein des cellules nationales de lutte contre la Covid-19. Un rapport sur les données propres à chaque Etat est en cours.[50]

                  Concernant la place des femmes dans les médias, le rapport « The Missing Perspectives of Women in COVID News », financé par la Fondation Bill et Melinda Gates, a dressé un tableau de la situation internationale.[51] Trois indicateurs ont été mesurés : les femmes citées comme sources d’expertise, les reportages dont les protagonistes sont des femmes et le temps consacré aux enjeux d’égalité des sexes dans le contexte de la Covid-19. Les résultats montrent un biais important en faveur des hommes, tant dans les pays du nord (Royaume-Uni, France, États-Unis parmi d’autres) qu’au Sud (Inde, Kenya, Nigeria et Afrique du Sud). Ce parti pris s’inscrit dans l’invisibilité politique effective des femmes dans les processus décisionnels sur la crise sanitaire dans les pays analysés.

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ENCART 4

La mobilisation internationale sur « Femmes et Covid-19 » 

– Le COVID-19 Global Gender Response Tracker créé par le PNUD et ONU Femmes, hébergé sur la COVID-19 Data Futures Platform (une plateforme de données relatives à la COVID-19), fournit des informations sur les disparités de genre dans les réponses à la COVID-19, depuis la violence fondée sur le genre jusqu’à la relance économique, en passant par les mesures de protection sociale ciblant les femmes. Il a été actualisé depuis son lancement en septembre 2020, afin d’y inclure plus de 3 100 mesures prises dans 219 pays et territoires.[52]

– En mars 2020, un groupe de travail international, le « Gender and COVID-19 Working Group« , réunissant des médecins et chercheurs en sciences biomédicales, humaines et sociales, a publié dans le journal médical The Lancet une tribune sur l’impact de l’épidémie sur la santé et les conditions sociales et économiques des femmes (Wenham et al 2020). La tribune insiste aussi sur le fait que les femmes sont très peu représentées dans les instances de décision sur la gestion de l’épidémie, tant à l’OMS que dans l’administration du gouvernement américain. Le programme de recherche du groupe vise à élaborer des recommandations pratiques auprès des institutions de santé et des gouvernements pour le respect des droits des femmes dans la gestion de la pandémie. 

– Ces préoccupations sont aussi celles du « Conseil des droits humains de l’ONU » et de son groupe de travail sur la Covid-19 qui a publié une déclaration sur les risques de discrimination des femmes et des filles liés à la pandémie.[53] Un appel a été lancé aux États pour prendre des mesures dans une approche intersectionnelle du genre :

– Rendre le dépistage universel et gratuit et assurer le suivi avec des stratégies de confinement qui ne font pas courir aux femmes et aux filles un risque accru de violence et d’abus.

– Garantir l’accès au traitement et payer les congés maladie sans discrimination pour les femmes.

– Renforcer les systèmes de protection sociale, aide au logement, prise en charges des enfants et des personnes âgées

– Garantir l’accès aux services de santé, y compris les services de santé sexuelle et reproductive

– Fournir une protection contre la discrimination et les abus des femmes employées de maison, dont beaucoup sont des travailleuses immigrées.

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4. Conclusions et perspectives

                  Si l’on tente de dresser un bilan d’étape des nombreux travaux de recherche sur la pandémie, il convient de souligner l’importance de la contribution des sciences humaines et sociales, un champ d’étude qui s’est avéré particulièrement réactif à la situation de crise aux côtés des recherches en biologie et médecine. Ces études ont mis en lumière l’impact aggravant de la Covid-19 sur les inégalités entre les femmes et les hommes à tous les niveaux de la vie sociale, économique et politique. Le confinement a exacerbé les rôles sociaux de sexe au sein des familles et leurs déséquilibres, à rebours de la dynamique de progrès des dernières décennies. Les femmes ont été plus exposées que les hommes aux retombées de la pandémie en termes de précarité économique et de risques psychosociaux dans la vie au travail. Autant de situations propres à fragiliser leur santé physique et mentale : renoncements aux soins, difficultés d’accès aux droits sexuels et reproductifs, violences conjugales accrues, détresse psychologique, etc.

                  L’ensemble de ces constats souligne la nécessité de disposer d’indicateurs genrés pour l’analyse et le suivi des effets de la crise sanitaire. Cette prise en compte est indispensable pour élaborer des politiques de gestion et de sortie de crise, qui prennent correctement en compte les inégalités entre femmes et hommes. Dans ce domaine, la France est en retard par rapport aux États-Unis. Le recours aux données genrées n’est pas encore la norme. De nombreuses enquêtes sont menées sans tenir compte de cet aspect. Le croisement avec des données ethniques fait également défaut. 

                  Il faut souligner qu’en France, les retombées de la Covid-19 ont eu aussi des versants positifs. La mobilisation de nombreux acteurs de la société civile (soignants, patients, chercheurs, associations etc.) a conduit les pouvoirs publics à prendre des mesures d’exception pour garantir les droits des femmes, notamment dans l’aménagement de la loi sur l’avortement et dans les dispositifs de signalement des violences et les aides aux associations. D’autre part, le manque de femmes expertes dans les médias et les instances de décisions a fait l’objet d’un rapport gouvernemental qui formule des propositions pour lutter contre les inégalités de représentation entre les femmes et les hommes.

                  Aux États-Unis, où les travaux de recherche ont bénéficié des données genrées, on peut déplorer que ces informations ne soient pas traduites en politiques publiques. Les dysfonctionnements dans l’accès aux soins, à l’assurance-santé et aux indemnités de chômage ont des conséquences délétères en termes de santé publique, notamment pour les femmes et les groupes minoritaires. L’illustration en est donnée par le recul de l’accès à l’avortement pendant la pandémie et même après… Une loi votée en septembres 2021 au Texas interdit l’avortement au-delà de 6 semaines et offre des récompenses aux témoins qui dénoncent toute autre personne engagée dans un parcours d’avortement : la femme, son médecin, son conjoint, le conducteur du véhicule Uber qui la conduite à la clinique, etc.[54]

                  Pour conclure sur la situation en France, nous recommandons de pérenniser au-delà de la période de crise l’ensemble des mesures prises dans le cadre d’urgence sanitaire pour veiller à garantir les droits des femmes sur le plan sanitaire et socio-économique.

                  Comme l’a très bien formulé le rapport du CESE, « pour beaucoup d’entre nous, la manière dont la pandémie de Covid-19 a remis en causedes dynamiques de progrès vers l’égalité, considérées comme acquises, a constitué une surprise et un avertissement sur l’ampleur du travail de fond qui reste à accomplir ». Cette conclusion rejoint les préoccupations éthiques du groupe « Genre et recherche en santé » dont l’objectif est de lutter contre les inégalités entres les femmes et hommes dans l’accès aux soins et la santé et de proposer des actions pour y remédier. 

Par Jennifer Merchant (Vice-présidente du Groupe Socialiste Universitaire et membre du pôle égalité des sexes) et Catherine Vidal (co-responsable du groupe de réflexion « Genre et Recherches en Santé » au sein du Comité d’Éhique de l’Inserm)

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[1]https://www.oecd.org/fr/sante/systemes-sante/panorama-de-la-sante-19991320.htm   

[2]. http://www.thelancet.com/pdfs/journals/lancet/PIIS0140-6736(16)31470-2.pdf

[3]https://www.cdc.gov/nchs/data/hestat/maternal-mortality-2021/maternal-mortality-2021.htm

[4]https://covid.cdc.gov/covid-data-tracker/#demographics

[5]. https://opendata.idf.inserm.fr/cepidc/covid-19/index.html

[6]. https://geodes.santepubliquefrance

[7]. www.santepubliquefrance.fr/dossiers/coronavirus-covid-19

[8]. https://dc-covid.site.ined.fr/

[9]. https://www.genderscilab.org/covid-19-project

[10]. https://www.genderscilab.org/blog/covid-communication

[11]. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4627049#consulter

[12].  https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2764789

[13]. « Deaths by Race/Ethnicity »  : https://covid.cdc.gov/covid-data-tracker/#demographics

[14]. « Deaths by Race/Etnicity : State by State »: https://covidtracking.com/race/dashboard

[15]. https://www.unwomen.org/gender-equality-in-the-wake-of-covid-19

[16]. Programme des nations-unies pour le développement PNUD, https://www1.undp.org/content/undp/fr/home/news-centre/news/2020/_COVID-19_will_widen_poverty_gap_between_women_and_men_.htm

[17]. https://www.ehesp.fr/2020/04/08/etude-coconel

[18]. https://blocnotesdeleco.banque-france.fr/billet-de-blog/le-travail-des-femmes-pendant-la-crise-de-la-covid-19

[19]. https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/parite/actualites/article/femmes-providentielles-mais-femmes-invisibles-sous-payees-surchargees

[20]. https://www.lecese.fr/actualites/crise-sanitaire-et-inegalites-de-genre-le-cese-alerte?

[21]. https://www.sapris.fr ; https://www.epicov.fr/

[22]. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042328917

[23]. https://www.lecese.fr/actualites/crise-sanitaire-et-inegalites-de-genre-le-cese-alerte

[24]https://voxeu.org/article/expanding-gender-gap-us-due-covid-19

[25].  https://iwpr.org/iwpr-publications/fact-sheet/shortchanged-and-underpaid-black-women-and-the-pay-gap/

[26]. https://www.lecese.fr/actualites/crise-sanitaire-et-inegalites-de-genre-le-cese-alerte

[27]. Baromètre annuel Absentéisme Maladie 2020, 

https://newsroom.malakoffhumanis.com/actualites/malakoff-humanis-presente-les-resultats-2020-de-son-barometre-annuel-absenteisme-maladie-545f-63a59.html

[28]. https://www.liberation.fr/france/2020/12/17/teletravail-un-salarie-sur-deux-en-detresse-psychologique_1808978/

[29]. https://www.50-50magazine.fr/2021/01/07/les-penibilites-invisibles-des-metiers-occupes-par-les-femmes/

[30]. http://www.ove-national.education.fr/enquete/la-vie-detudiant-confine/

[31]. www.irdes.fr/coclico

[32]. https://www.irdes.fr/recherche/2020/qes-249-les-inegalites-face-au-risque-de-detresse-psychologique-pendant-le-confinement-premiers-resultats-enquete-coclico.html

[33]. https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/coviprev-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie-de-covid-19

[34]. https://www.kff.org/coronavirus-covid-19/poll-finding/mental-health-impact-of-the-covid-19-pandemic/

[35]. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33263142/ 

[36]. https://www.planning-familial.org/fr/contraception/sexualites-contraception-ivg-

[37]. https://ivg.gouv.fr/ivg-et-mesures-exceptionnelles-en-periode-covid-19.html

[38]. https://www.agence-biomedecine.fr/Recommandations-sur-les-modalites-de-prise-en-charge-des-couples-dans-le

[39]. Carole Joffe, « COVID-19, Health Care, and Abortion Exceptionalism in the United States », 26 août 2021 : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1363/psrh.12182  

[40]https://www.fertstert.org/article/S0015-0282(20)30619-1/fulltext

[41]. In Vitro Fertilization Market Size, Share & Trends Analysis Report By Type (Fresh Donor, Frozen Nondonor), By Instrument (Disposable Devices, Culture Media), By End-use, By Region, And Segment Forecasts, 2021 – 2028, July, 2021. https://www.grandviewresearch.com/industry-analysis/in-vitro-fertilization-market#utm_source=Social&utm_medium=Twitter&utm_campaign=covid19-alert_cp_2-Aug-2021_hc&utm_content=in-vitro-fertilization-market

[42]https://www.abdn.ac.uk/news/14623/   

[43]. Le CESE: https://www.lecese.fr/travaux-publies/combattre-toutes-les-violences-faites-aux-femmes-des-plus-visibles-aux-plus-insidieuses

[44]. https://ncadv.org/STATISTICS

[45]https://build.neoninspire.com/counciloncj/wp-content/uploads/sites/96/2021/07/Domestic-Violence-During-COVID-19-February-2021.pdf

[46]. https://www1.undp.org/content/undp/fr/home/news-centre/news/2021/Womens_absence_COVID-19_task_forces_perpetuate_gender_divide_UNDP_UNWomen.html

[47]. https://expertes.fr/

[48]. https://www.liberation.fr/france/2021/01/28/plus-de-70-des-scientifiques-interroges-dans-la-presse-ecrite-sont-des-hommes_1818678/

[49]. https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Rapport-sur-la-place-des-femmes-dans-les-medias-en-temps-de-crise

[50].https://www.gspia.pitt.edu/CentersandInstitutes/Initiatives/GenderInequalityResearchLab%28GIRL%29

[51]https://www.iwmf.org/wp-content/uploads/2020/09/2020.09.23-The-Missing-Perspectives-of-Women-in-COVID-19-News.pdf

[52]. https://data.undp.org/

[53]. https://www.ohchr.org/en/issues/women/wgwomen

[54]. https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/02/pourquoi-la-loi-tres-restrictive-au-texas-menace-le-droit-a-l-avortement-aux-etats-unis_6093173_3210.html