Groupe Socialiste Universitaire


Veille

Veille #1.1 – Afghanistan : Le grand bond en arrière

Posté le 21 août 2021 par Groupe Socialiste Universitaire

Le dimanche 15 août, 20 ans après avoir été chassés du pouvoir suite à l’intervention américaine d’octobre 2001 et aux combats de l’Alliance du Nord, les talibans ont pénétré Kaboul. Quelques heures plus tard, sans résistance, la capitale afghane est tombée. L’inquiétude de la communauté internationale grandit et se manifeste par le rapatriement à la hâte des ressortissants et diplomates étrangers. Mais la crainte de la mise en place d’un nouveau régime islamique rigoriste a également gagné une partie de la population. Les scènes de chaos se sont alors multipliées, notamment à l’aéroport international de Hamid Karzai. Cette chute de l’Afghanistan aux mains des talibans, bien que relativement rapide, n’est pas surprenante. Les différents États s’attendaient tôt ou tard à un retour de ces derniers sur la scène politique nationale, et internationale.

Il convient de revenir succinctement sur l’histoire afghane récente afin de comprendre l’émergence des talibans.

1973 : la pérennisation d’une instabilité chronique

En 1973, la première république afghane est proclamée sous l’égide de Mohammad Daoud Khan. Ce dernier trouva cependant la mort suite à un coup d’État en 1978, à l’initiative de Nour Mohammad Taraki. Alors proche de Moscou, il est assassiné par son Premier ministre Hafizullah Amin, qui adopte par la suite une vision de plus en plus décentrée de l’URSS, ce qui provoque la colère de la capitale soviétique. Lors d’un coup d’État réalisé par le Parti démocratique populaire d’Afghanistan et soutenu par Moscou, Amin est également tué.

Il convient de souligner l’opposition entre la politique souhaitée par l’URSS en Afghanistan et les idéaux défendus par la population afghane. En ce sens, l’athéisme d’État revendiqué par le gouvernement suscite l’ire d’un large pan de la population locale, particulièrement conservatrice et attachée aux valeurs religieuses. Les combattants religieux connaissent alors une réelle popularité auprès du peuple afghan. En 1979, la plupart des provinces du pays sont contrôlées par les partisans d’un Afghanistan islamique. Face à une contestation de plus en plus importante, Leonid Brejnev, secrétaire général du parti communiste de l’URSS, décide d’envoyer les troupes soviétiques sur le territoire. La motivation de ces actes reste la crainte d’une répétition du scénario iranien – révolution islamique ayant porté au pouvoir l’Ayatollah Khomeini et instauré une république islamique -, survenu quelques mois en amont. Dans un premier temps tolérée par les islamistes, l’armée soviétique est rapidement perçue comme étant une armée d’occupation. La résistance s’organise ainsi afin de faire face à l’envahisseur.

Les Moudjahidins, dans un premier temps, sont par conséquent soutenus, en plus de l’être par le Pakistan et l’Arabie Saoudite, par les américains dans le cadre de la Guerre froide, l’objectif étant de contrer l’influence de l’URSS dans la région. Ces combattants religieux bénéficient tant d’un soutien populaire important – y compris des Pachtouns dans le Sud, l’Est et le Sud-Ouest du pays -, que d’un soutien moral, financier et militaire de la part des services pakistanais, très proches des milieux islamiques afghans. Le mouvement des talibans – constitué en majorité d’étudiants des écoles religieuses deobandi – a ainsi vu le jour dans un second temps en 1994 à l’initiative du Mollah Omar. Le but premier de l’organisation a été de se débarrasser des troupes étrangères se trouvant dans le pays afin de retrouver une autonomie pleine et entière. Le second, s’inscrivant dans le long-terme, correspond à une vision sunnite très conservatrice, soit une interprétation stricte des textes sacrés et la création d’un gouvernement purement islamiste. Étant un groupe armé dans un premier temps, ses conquêtes successives lui ont permis de prendre en deux ans le contrôle du pays et d’accéder au pouvoir en 1996. Ils proclament la création de l’Émirat Islamique d’Afghanistan.

C’est en octobre 2001, suite aux attentats du 11 septembre, que les États-Unis interviennent une nouvelle fois sur le terrain, contre les talibans accusés de cacher des camps d’entraînement du groupe terroriste Al-Qaïda ainsi que l’instigateur de ces attentats : Oussama Ben Laden. Une coalition internationale est ainsi formée sous l’égide américaine suite au refus des talibans de livrer ce dernier. Les troupes des États-Unis sont ainsi restées sur le sol afghan pendant près de vingt ans de lutte contre le terrorisme.

Retrait des troupes américaines : un grand bond en arrière ?

Donald Trump poursuivit le processus de retrait de l’armée américaine en février 2020, celui-ci ayant été amorcé sous l’administration Obama qui avait d’ores et déjà entamé un retrait drastique des troupes nationales. Son successeur, Joe Biden déclarait en juillet que “La mission a été accomplie en ce sens que nous avons capturé Oussama Ben Laden et que le terrorisme n’émane plus de cette partie du monde.” Le président américain justifie également ce retrait de par le fait qu’il ne “s’agissait pas de construire une nation.” Rappelons que plus de 2400 soldats américains sont morts au cours de ces vingt années de guerre. Par ailleurs, les coûts économiques et psychologiques expliquent le ressentiment de la population américaine à l’égard de cette guerre aux origines primaires de plus en plus floues. Selon le Watson Institute de l’Université de Brown dans le Rhode Island, les dépenses liées à la présence des États-Unis en Afghanistan sont estimées à 2260 milliards de dollars.

Le retrait des troupes américaines, marquant la fin de la plus longue guerre que les États-Unis aient connu, a été acté sous le mandat de Donald Trump suite aux accords de Doha. Ces accords signés en février 2020 entre les talibans et les États-Unis visaient pour ces derniers à retirer leurs militaires du pays d’ici le 31 août 2021. En contrepartie, les talibans s’engageaient à ne pas avoir recours à des attaques terroristes et à entamer des négociations avec le gouvernement afghan. Cependant, le retrait progressif des États-Unis a permis une recrudescence des offensives des talibans dans les provinces afghanes. Ce que certains ont pu percevoir comme étant un retrait hâtif fait l’unanimité au sein de la classe politique américaine et trouve un écho particulièrement positif au sein de la population : alors que la crise sanitaire dure depuis bientôt deux ans et au regard du gouffre financier que représentait cette présence militaire, le retrait était inévitable et vivement encouragé.

Soulignons également le fait que depuis les mandatures Obama, la doctrine néo-conservatrice notamment ne repose plus sur l’idée d’imposer la démocratie dans le monde ou de construction des nations. Joe Biden a en ce sens défendu avec ardeur sa décision. Ce retrait est d’autant plus justifié selon lui que l’armée afghane – créée sous l’égide des États-Unis et composée de près de 300 000 hommes entraînés par les américains – n’a pas su réellement résister face à l’offensive des talibans afin de garantir la pérennité du gouvernement.

Quelles conséquences géopolitiques ?

La communauté internationale, et particulièrement les occidentaux, ont entamé le rapatriement des différents ressortissants ainsi que des diplomates étrangers pour des raisons de sécurité. L’aéroport Hamid Karzaï est aujourd’hui entouré par les troupes américaines qui sécurisent les lieux afin d’organiser le départ des ressortissants étrangers et des différentes missions diplomatiques.

Emmanuel Macron a affirmé mardi 17 août que plus de 600 Afghans ayant travaillé aux côtés de la France au cours de la guerre ou au sein des missions diplomatiques françaises ont été rapatriés sur le territoire métropolitain.

Le Président français a fait part de son inquiétude face à “des flux migratoires irréguliers” qui pourraient “nourrir des trafics” en tout genre ou représenter une menace pour la population – intentions malveillantes… Nous pouvons nous attendre à ce que la question migratoire, en plus de la gestion de la crise sanitaire, fasse partie des problématiques saillantes de l’élection présidentielle à venir.

Les dirigeants européens commencent à se déclarer favorables à l’accueil de réfugiés afghans sur leur territoire, non sans une certaine volonté de sécurité toutefois – accueil “contrôlé” selon les propos d’Angela Merkel ; réglementé. En 2015, lors de la crise migratoire liée à la guerre syrienne, 32,5 % des migrants étaient originaires de la Syrie. Les dirigeants européens illustrent donc leur volonté d’empêcher qu’une migration économique n’intègre le flux migratoire en provenance d’Afghanistan.

À ce jour, le gouvernement taliban n’a été reconnu que par la Russie, l’Iran et la Chine. L’Iran a en effet été, de façon schématique, une des bases arrières des talibans lors de leur prise de pouvoir en 1996 – bien que les tensions à l’égard des minorités chiites en Afghanistan nourrissent certaines divergences des points de vue entre ces derniers. Les relations se sont donc poursuivies jusqu’à aujourd’hui. Quant à la Chine, il convient de souligner les intérêts que représente l’Afghanistan pour le pays, notamment en ce qui concerne l’extraction de minerais rares. Bénéficiant du retrait des troupes américaines, la Chine a pu sécuriser des investissements d’ores et déjà existants. Par ailleurs, le président chinois cherche à conserver une certaine sécurité à la frontière que le pays partage avec l’Afghanistan. L’une des conditions émises pour que la Chine soutienne les talibans fut de ne plus entretenir de liens avec les organisations séparatistes ouïghoures, notamment dans le Turkestan oriental.

Quelles volontés de la part des talibans ?

Les souvenirs de la période 1996-2001 étant prégnants dans les esprits des afghans, des milliers d’habitants ont d’ores et déjà tenté de fuir dans les pays voisins et de trouver désespérément une place dans les différents vols internationaux. La vie sous le joug des talibans et de la Charia était ainsi synonyme d’absence de musique, de cinéma, mais également de politique. La situation a cependant été bien plus préoccupante pour les femmes qui se sont vues, au cours de ces cinq années, totalement dépourvues de leurs droits les plus fondamentaux. Nous pouvons en ce sens craindre une nouvelle dégradation de la situation des femmes sous l’emprise des talibans dans les prochains jours.

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

La citation de Simone de Beauvoir n’a jamais été autant d’actualité qu’à l’heure où les talibans sont entrés dans Kaboul, capitale de l’Afghanistan.

Selon l’UNHCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) les femmes et les enfants subissent les conséquences les plus néfastes du conflit. Depuis la fin du mois de mai, 80% de la population afghane ayant fui le pays sont des femmes et des enfants.

Si les femmes fuient c’est parce qu’elles ont peur pour leur vie. Lors de la dernière application de la charia par les talibans (1996-2001), les droits des femmes étaient très restreints. Elles étaient privées d’éducation, de droits civiques ou de leur libre circulation en étant dans l’obligation de sortir accompagnées d’un homme. Elles étaient privées d’emploi et n’avaient aucun droit à disposer librement de leur corps. Elles étaient obligées de porter une burqa et n’avaient pas de recours à l’avortement. Les femmes afghanes ont été lapidées sur les places publiques lorsqu’elles étaient accusées d’adultère. Au-delà de ces violences sexistes, les violences sexuelles étaient aussi nombreuses car elles étaient mariées (parfois très jeunes) de force et violées.

Les talibans ont assuré qu’il n’y aurait pas de régression pour le droit des femmes, ces derniers disent vouloir une amnistie générale. Cependant ils ont précisé que le respect du droit des femme se fera dans le cadre de la loi islamique. Pourtant lorsque les talibans sont arrivés aux portes de Kaboul, il n’aura suffi que de quelques instants pour que les femmes soient à nouveau effacées de l’espace public et que des classes d’écoles ferment. Les femmes continuent d’être apeurées par ce régime qui se redessine, à l’image de Zarifa Ghafari, maire de Maidan Shar qui a déclaré attendre que les talibans viennent la tuer. Tayeba Parsa juge afghane, appelle quant à elle la communauté internationale à venir en aide aux femmes et aux juges afghanes, qui risquent d’être tuées. Elle évoque un possible désir de vengeance de la part de certains talibans contre les juges qui ont participé à leur condamnation.

Il est aujourd’hui nécessaire de s’unir pour venir en aide à ces femmes dont les droits les plus fondamentaux sont déjà menacés. Plus que jamais la mobilisation des associations féministes du monde entier est nécessaire. En France, plusieurs associations féministes exigent que les femmes afghanes soient aidées en ayant la possibilité de fuir l’Afghanistan et d’être accueillies dans d’autres pays, afin de préserver leur vie. Une pétition a été initiée en ce sens par l’association Pouvoir Féministe qui interpelle le président de la République afin que la France accueille les défenseuses des droits des femmes afghanes.

Par Thomas Perez, directeur du pôle Europe et Géopolitique, Pierre Maulny, directeur des recherches adjoint & Chloé Lepeinteur, secrétaire générale du GSU de l’Université de Rouen-Normandie