Groupe Socialiste Universitaire


Débat, Egalité des genres

Egalité des sexes et sports, la différence physiologique, seule responsable de l’écart de performance ?

Posté le 16 août 2021 par Linah Bonneville

Aux Jeux Olympiques de Tokyo de 2021 la parité au sein des joueurs est célébrée pour la première fois. En effet, sur les 11 000 athlètes présents, 48,8% sont des femmes selon le Comité International Olympique. On enregistre une nette et stable progression par rapport aux 45,6% de femmes lors des Jeux de Rio de Janeiro en 2016 et aux 44,2% aux Jeux de Londres en 2012. 

Tâchant de remédier au déséquilibre médiatique persistant, le Comité International Olympique (CIO) cumule les actes symboliques. Chaque pays participant a donc été encouragé à nommer un homme et une femme pour porter le drapeau lors de la cérémonie d’ouverture et le nombre de sports ouverts à une participation mixte n’a jamais été aussi élevé. En outre, les figures de proue de ces jeux sont deux athlètes féminines, Katie Ledeckey et Simone Biles, toutes deux médaillées et favorites du public[1]

Un chemin pavé d’embûches: quelles dates marquantes depuis les premiers Jeux Olympiques modernes? 

Le chemin a pourtant été long. En effet, lors de la création des Jeux Olympiques modernes en 1896, la participation des femmes était écartée d’office. Leur fondateur, Pierre de Coubertin la jugeait inappropriée et déclarait à propos des épreuves olympiques féminines, qu’elles sont : «impratiques, inintéressantes, inesthétiques, et nous ne craignons pas d’ajouter, incorrectes.»[2] Malgré cela, les femmes accèdent aux Jeux Olympiques dès 1900 mais demeurent cantonnées à certaines épreuves telles que le golf et le tennis. 

En 1921, face au refus du Comité International Olympique d’inclure des épreuves d’athlétisme féminines, Alice Milliat fonde la Fédération sportive féminine internationale qui participe à l’organisation de jeux mondiaux féminins dont la première instance se déroule dès 1922.[3] Alice Millat est donc à l’origine des premiers Championnats Olympiques féminins. Face à leur succès, le Comité International Olympique introduit des épreuves d’athlétisme aux JO d’Amsterdam en 1928. Dans les années 30, la participation des femmes aux Jeux Olympiques est ancrée mais, faute de moyens, Alice Milliat est contrainte de prononcer la dissolution de la Fédération sportive féminine internationale en 1936.

Depuis les années 1930, la participation des femmes aux Jeux Olympiques s’accroît progressivement et représente 10% aux Jeux d’Helsinki en 1952, 30% aux Jeux de Barcelone en 1992, et 48,8% aux Jeux de Tokyo en 2021.

Malgré l’obtention de la (quasi) parité au sein des athlètes, les inégalités perdurent, notamment au sein des instances dirigeantes et administratives. Là aussi le chemin fut pavé d’embuches. En 1981, le CIO jusqu’alors exclusivement masculin intègre deux femmes. En 2003 le groupe de travail “Femmes et sports”, est installé au ministère des Sports et chargé de proposer des plans d’action spécifiques afin d’améliorer la place des femmes dans l’activité sportive. En 1996, la Charte olympique est amendée afin d’inclure la nécessité d’oeuvrer pour l’égalité « Le rôle du CIO est d’encourager et soutenir la promotion des femmes dans le sport, à tous les niveaux et dans toutes les structures, dans le but de mettre en œuvre le principe de l’égalité entre hommes et femmes » (Charte olympique, état en vigueur au 18.07.1996, Règle 2, paragraphe 7). En 1996, la première Conférence mondiale du CIO sur la femme et le sport a lieu à Lausanne en Suisse et précise  « que les FI et les CNO créent des comités spéciaux ou des groupes de travail composés d’au moins 10 % de femmes afin d’élaborer et de mettre en œuvre un plan d’action en vue de promouvoir le rôle des femmes dans le sport. »[4]

En 1997, Anita L. De Frantz est élue Vice-Présidente du CIO et devient ainsi la première femme à occuper cette fonction. Lors de sa cinquième conférence sur les femmes et le sport, le CIO émet des recommandations selon lesquelles « Le CIO devrait réexaminer le nombre minimum de femmes occupant des postes dirigeants qu’il a fixé pour ses composantes, et établir un mécanisme visant à s’assurer que ce quota est respecté » ; « le CIO devrait établir des partenariats plus étroits avec l’Organisation des Nations unies et ses agences, notamment ONU Femmes, et participer aux activités de la Commission des Nations unies sur la condition de la femme afin de développer son propre programme sur la parité hommes/femmes ».[5]

Cependant, en dépit de ces avancées, en 2021, seuls 33,3% de la Commission exécutive et 37,5% des membres du CIO sont des femmes. Ainsi, malgré les progrès sur le terrain, la composition générale des Jeux Olympiques demeure majoritairement masculine et les “gaffes” sexistes ont la part belle. Ainsi, le président du Comité d’Organisation des Jeux de Tokyo a été remplacé après avoir suggéré publiquement que les “femmes parlent trop durant les réunions.” En mars, le directeur créatif de la cérémonie d’ouverture démissionne lorsqu’il fut révélé qu’il avait tenu des propos insultants à l’égard du physique de Naomi Watanabe, une créatrice de mode. De même, l’équipe norvégienne de beach handball reçoit une amende pour avoir préféré des shorts de sport plutôt que la tenue imposée, à savoir un bikini échancré. De nombreuses personnalités ont néanmoins élevé la voix contre une telle mesure: « En 2021, ça ne devrait même pas être un sujet», a affirmé le président de la Fédération norvégienne de volleyball, Eirik Sordahl, auprès de l’agence nationale NTB.[6] La Fédération européenne s’est « engagée à faire avancer ce sujet dans l’intérêt de ses fédérations » mais a précisé qu’un « changement des règles ne peut se produire qu’au niveau de l’IHF ». A l’instar des débats concernant les tenues des femmes dans les espaces publics, les polémiques sont nombreuses concernant les tenues des athlètes lors des compétitions. 

La représentation des athlètes progresse pourtant et l’écart de performance entre les athlètes féminins et masculins s’amenuise et se stabilise depuis les années 1980 à 10%. 

Pourtant, la performance de certaines athlètes étonne et détonne. Celles-ci sont alors suspectées d’avoir des taux de testostérones supérieurs à la moyenne des femmes. L’opprobre est poussée jusqu’à l’application d’un “test de féminité” consistant à vérifier par une batterie d’examens (physiques, gynécologiques, chromosomiques) si certaines sportives sont bien des femmes.[7] Ces tests discriminants autant pour les femmes que pour les personnes intersexes sont heureusement interdits aux Jeux Olympiques depuis 1999. 

Cependant, plusieurs études scientifiques remettent en question le fait que l’on s’appuie majoritairement sur une différence physiologique entre les hommes et les femmes pour justifier les différences de performance. En effet, cette vision strictement binaire dissimule bien d’autres facteurs qui donnent lieu à ces écarts de performance. 

L’écart de performance entre les athlètes féminins et masculins: quels sont les réels facteurs? 

Ainsi, selon une publication du International Journal of sports physiology and performance, “The Gender Gap in Sport Performance: Equity Influences Equality”[8],  l’écart entre les genres, bien qu’il s’amenuise, demeure en raison des différences biologiques affectant les performances. Néanmoins, cet écart est également dû aux opportunités réduites et aux facteurs socio-politiques qui empêchent la pleine participation des femmes sur un panel de sports à travers le monde. Ainsi, tant que l’environnement culturel ne sera pas équitable, toute étude scientifique étudiant les différences sociologiques en se fondant sur la progression des performances sportives records des femmes et des hommes demeurera limitée. Il s’agit donc d’évaluer les autres facteurs. En effet, les facteurs contribuant au succès sportif sont nombreux: les changements physiologiques en font partie mais sont associés à la possibilité pour un athlète de maintenir sa motivation, aux questionnements relatifs à la santé et aux blessures éventuelles. La santé mentale est également un facteur prépondérant. Ainsi, la surcharge mentale dûe aux attentes excessives a une influence considérable notamment sur la nutrition et les troubles du comportement alimentaire chez les jeunes athlètes. De même le stress relatif à l’environnement, la qualité de l’éducation sportive et le soutien familial[9] sont autant de facteurs qu’il convient de prendre en compte lorsqu’on considère l’écart de performance entre les hommes et les femmes.

“Lorsque des politiques et des ressources sont dédiées aux femmes et aux jeunes filles dans le milieu du sport, l’on parvient à un nombre égal de performances de haut niveau” déclare Nicole M. LaVoi, Directrice du centre Tucker pour la Recherche sur les Femmes et jeunes filles dans le milieu sportif à l’Université du Minnesota. “Visiblement, bien des pays ont trouvé cela particulièrement complexe.”[10]

C’est malheureusement le cas en France. En effet, “tous sports confondus et proportionnellement au nombre de sélections, les Françaises ont remporté 1,7 fois moins de médailles que les Français sur les trois dernières éditions des Jeux olympiques d’été (Pékin 2008Londres 2012 et Rio 2016).”

Pourtant, parmi les neuf meilleures nations que sont la Chine, États-Unis, Grande-Bretagne, Russie, Allemagne, Corée, Italie, Australie, la France est la seule où la sous représentation de médaillées est aussi prégnante.

Ce constat est étudié dans le cadre d’un partenariat avec l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) et sous l’égide de la Fédération française d’athlétisme et donne lieu à un rapport sur  Le rôle des facteurs sociaux dans l’accès et le maintien à une carrière de haute performance en athlétisme & La question de la spécificité de la performance féminine soumis le 17 mai 2021. En effet, les athlètes françaises étant moins performantes que les hommes sur la scène internationale que ce soit olympique ou mondiale, il était nécessaire d’établir un état des lieux sur les “facteurs sociaux qui influencent l’accès et le maintien à la haute performance en athlétisme”.

Ainsi, au lieu d’étudier les spécificités entre les hommes et les femmes, l’ensemble des paramètres permettant de performer a été étudié afin de déceler ceux qui contribuent au décalage des performances entre sportives et sportifs. 

Dans le cadre de cette étude, trente athlètes français de haut niveau (15 hommes et 15 femmes) et 22 acteurs gravitant autour d’eux (entraîneurs, cadres fédéraux, acteurs du secteur privé…) ont été questionnés. Sont représentés dans cet échantillon les meilleurs athlètes français (ceux qui ont rapporté le plus de médailles aux Jeux olympiques, Championnats du monde et Championnats d’Europe) ainsi qu’un panel d’acteurs qui construisent avec eux l’athlétisme en France. De cette étude découle plusieurs conclusions cruciales.[11]

  • La capitalisation de la performance

Les primes versées en cas de victoire olympique sont égales entre les femmes et les hommes ce qui n’est pas le cas dans bien d’autres compétitions. Ainsi, la Coupe du monde de football féminine de 2019 a donné lieu à des primes neuf fois inférieures à celles des hommes, écart qui ne peut être expliqué par le nombre de téléspectateurs puisque ceux-ci étaient seulement trois fois moins nombreux à regarder la coupe féminine. L’égalité des primes acquise au Jeux Olympiques demeure pour l’heure une exception. 

 Cependant, afin d’avoir une carrière pérenne, il ne suffit pas de gagner une médaille olympique. Il est également nécessaire de bénéficier de partenariats lucratifs, d’aides financières et d’un salaire convenable. 

Ainsi,  sur les 30 athlètes interrogés, 16 seulement bénéficient d’une “stabilité économique dans le temps”, leur permettant de se consacrer à leur carrière avec sérénité. Parmi eux, cinq hommes ont reçu plusieurs médailles et sont suffisamment médiatisés pour bénéficier de sponsors leur assurant des revenus stables. Or les médailles permettent d’avoir de bons sponsors mais il est ardu de gagner des médailles sans revenus suffisants ce qui génère un cercle vicieux. Les rémunérations dépendent principalement des contrats avec les émissions et annonceurs. Or ces contrats concernent majoritairement des hommes. De plus, la couverture médiatique des athlètes masculins excède de très loin celle des femmes en termes de quantité et de qualité. Ainsi, les femmes ne reçoivent que 4% de la couverture médiatique sportive et y sont souvent objectifiées et dénigrées.[12]

Quant aux salaires des athlètes de haut niveau, malgré le manque d’informations à cet égard, l’ancienne Ministre des sports Chantal Jouanno cite des chiffres témoignant d’une inégalité manifeste. Dans le basketball, celle-ci rapporte un salaire moyen de 9 760 € net par mois pour les hommes contre 3 600 € pour les femmes. Dans le domaine du handball, les hommes ont un revenu moyen de 5 200 € et les femmes de 2 300 €.[13]

11 autres (sept femmes et quatre hommes) cumulent des aides fédérales à des partenariats privés, et s’appuient également sur les revenus de leur conjoint. Les sportifs de haut niveau bénéficient ainsi d’une aide personnalisée qui est cependant moindre pour les femmes. Au cours de l’année 2008, les femmes ont en moyenne perçu 293,28 € de moins que les hommes, et de 460,96 € de moins en 2009. [14]

Les 14 athlètes restants sont en revanche dans une situation précaire. Bien des sportives doivent donc avoir un emploi rémunéré supplémentaire limitant le temps consacré à leurs entraînements. De plus, l’enquête révèle qu’en matière de capitalisation sur les performances, la question du physique est cruciale pour les femmes alors qu’elle demeure moins importante pour les hommes. L’apparence des sportives peut être un atout, si elle correspond aux standards de beauté féminins et qu’elle accepte de s’y conformer dans une certaine mesure. Or le sport de haut niveau nécessite souvent des changements physiques partiellement incompatibles avec l’idée traditionnelle de la féminité: accroître la masse musculaire etc.[15]

  • La difficile alliance de la surmédiatisation des sportives avec la sauvegarde de la santé mentale

Bien des défis sont associés à la question de la gestion de l’image en ligne. Le montant des contrats avec les partenaires privés dépend de plus en plus du nombre d’abonnés de l’athlète sur les différents réseaux sociaux. Or, cette activité difficile nécessite une maîtrise de nombreux codes auxquels les athlètes ne sont pas également confrontés. 

Bien qu’il n’y ait pas de différence notable dans la préparation de la maîtrise des réseaux sociaux, il n’en demeure pas moins que les femmes y sont surexposées. Cette surexposition peut être bénéfique pour les athlètes correspondant aux standards de beauté traditionnels, sachant adapter leur image et leur communication en fonction des attentes sociales. Cette médiatisation devient donc une source de pression supplémentaire concernant le physique et accroît les risques de troubles du comportement alimentaires chez les jeunes athlètes. Comme l’explicitent Filaire, Rouveix et Bouget (2008), « les troubles du comportement alimentaire font référence à l’ensemble des attitudes, comportements et stratégies complexes associés à une préoccupation permanente du poids et de l’esthétique corporelle » (p. 49). Or, comment se concentrer sur une performance sportive lorsqu’on est constamment ramené à son apparence physique et à la nécessité de se conformer à des critères de beauté alors que le sport que l’on pratique empêche souvent de les atteindre? Les troubles du comportement alimentaire, prévalent chez les jeunes athlètes féminines, entravent le développement et s’accompagnent de pathologies telles que l’anémie, l’ostéoporose, l’aménorrhée, l’affaiblissement des défenses immunitaires voire, dans les cas extrêmes, la mort.[16] Ces problèmes ne sont pas limités aux femmes. Bien des athlètes masculins développent des troubles du comportement alimentaire à force de restrictions pour rentrer dans une catégorie de poids. Cependant, la surmédiatisation des femmes liée à leur apparence physique est un facteur aggravant considérablement ces risques. 

La pression psychologique pesant sur les athlètes de haut niveau n’est pas limitée à l’apparence physique comme le souligne la gymnaste médaillée Simone Biles: « Nous devons protéger notre esprit et notre corps, pas seulement faire ce que le monde attend de nous. J’ai moins confiance en moi. Il y a ces quelques jours où tout le monde tweete sur vous et vous sentez le poids du monde. Nous ne sommes pas juste des athlètes. Au bout du compte, nous sommes des êtres humains et, parfois, il faut savoir se mettre en retrait. » Celle-ci a en effet choisi de se retirer de la compétition afin de privilégier sa santé mentale. La joueuse de tennis japonaise Naomi Osaka avait également annoncé le 31 mai son retrait de Roland-Garros pour des raisons similaires.[17] En effet, la pression pesant sur les athlètes de haut niveau est considérable et n’est pas limitée à l’influence des réseaux sociaux. Les Etats investissent sur eux dans l’espoir de remporter des médailles et contribuer ainsi à leur soft power. Ils sont également dans la ligne de mire du public qui tantôt les adule, tantôt les fustige au moindre faux pas. 

Cette année fut particulièrement ardue pour les athlètes qui ont dû surmonter les confinements, l’incertitude générale du maintien des épreuves olympiques, la suppression de diverses compétitions etc. 

  • La persistance des violences sexuelles dans le milieu sportif 

De surcroît, les violences physiques ne se cantonnent pas à l’apparence et à l’habillement des sportives. En effet, les révélations d’abus sexuels sont fréquentes et s’opèrent de multiples manières. Le conditionnement lent (grooming) d’une jeune athlète par une figure d’autorité telle que l’entraîneur est une manoeuvre particulièrement fréquente.[18] En effet, les jeunes athlètes sont constamment entourés de figures d’autorité masculines: les dirigeants de club, les membres du personnel administratif, les membres du personnel médical et paramédical, les athlètes, les parents d’athlètes, etc[19] ce qui accroît les risques dans le domaine spécifique du sport de haut niveau. 

Récemment, le procès du médecin de l’équipe de gymnastique américaine, Larry Nassar, a replacé ces problématiques au premier plan. Un mouvement de libération de la parole s’étend désormais dans le monde sportif pour que « la honte puisse changer de camp».[20]

De même, en France, 445 personnes (des agents publics, des professeurs d’EPS et des éducateurs professionnels ou bénévoles) ont fait l’objet de suspensions en mars 2021 à la suite de signalements transmis à la cellule sur les violences sexuelles dans le sport. Les premiers états des lieux décomptent 63% de cas concernant des mineurs de moins de 15 ans.[21]

Afin d’accompagner la libération de la parole et contribuer à la fin du tabou, le Ministère des sports a lancé le 21 février 2020 la première convention sur la prévention des violences sexuelles dans le champ du sport dans le but de «donner une suite pérenne à ce mouvement de libération de la parole, au-delà de la prise de conscience qu’il a pu susciter au sein de l’ensemble du mouvement sportif et surtout, pour que le mouvement sportif se saisisse plus directement et ouvertement de la problématique.»[22] 

Ces pressions et violences accumulées sont autant de freins à la carrière et à la motivation des athlètes. Les parents, quant à eux, hésitent à mettre leurs enfants dans des clubs lorsqu’ils ont conscience des risques de violence. 

  • Les inquiétudes relatives à la parentalité 

Le rapport des sportifs et des sportives à la parentalité est foncièrement différent. Parmi les 30 sportifs interrogés, six sont pères et cinq sont mères. Les six pères font tous partie des meilleurs athlètes. Or quatre d’entre eux estiment que la paternité n’est pas incompatible avec le sport de haut niveau, et peut au contraire constituer un atout supplémentaire. Elle peut cependant devenir une source de pression, car ces sportifs sont à l’origine de la majorité des revenus de leur foyer, tandis que les mères s’appuient majoritairement sur les revenus de leur conjoint ou de leurs parents. Pour les deux meilleures athlètes parmi les mères, la maternité est aussi envisagée sous un angle positif, à condition d’être programmée et qu’elles aient la certitude d’obtenir un soutien de la part de leurs partenaires privés.

En revanche pour sept sportives, dont deux mères, la maternité est incompatible avec la carrière sportive de haute performance et ne peut donc être envisagée qu’en fin de carrière. Ainsi, nombreuses sont les athlètes qui renoncent à la maternité afin de poursuivre leur carrière. 

Pourtant, ce sacrifice peut être évité. Ainsi, le 15 mars 2021, la signature de la Convention collective du handball professionnel féminin marque une avancée cruciale dans le dialogue social et dans l’histoire du sport en assurant le salaire des joueuses professionnelles pendant un an lors d’une grossesse. Selon Jean-Marie Sifre, Président du club professionnel de Paris 92 et de l’UCPHF (Union des clubs professionnels de handball féminin), il s’agit d’ « une avancée pour le sport féminin en général(…). La signature de la première convention collective dans un sport féminin donne une nouvelle dimension au sport féminin. C’est un outil important de reconnaissance du caractère professionnel de notre discipline. Ainsi, par cet accord on montre que le sport féminin en France, peut-être un sport professionnel dans lequel on reconnaît l’importance du statut des salariés. Le développement de notre discipline se fait dans un cadre précis qui apporte la sécurité nécessaire aux salariés. Nous sommes en train de rattraper notre retard par rapport au sport masculin, grâce à des outils de professionnalisation comme celui-ci. On espère maintenant que le handball va ouvrir la voie à la signature d’autres accords de discipline ».[23]

Dans cette lignée, la Fédération internationale de football cherche à mettre en place un congé maternité de 14 semaines pour les footballeuses professionnelles en 2021.[24]

Apporter une sécurité aux athlètes professionnelles qui souhaitent avoir un enfant constitue une étape cruciale afin d’atténuer l’écart de performance entre les genres. 

  • Le rôle de l’éducation dans le succès futur des jeunes athlètes 

La spécialisation en athlétisme des femmes est fortement dépendante du milieu scolaire – le rôle des professeurs d’Éducation Physique et Sportive, également entraîneurs d’athlétisme est décisif -, ce qui n’est pas le cas des hommes pour qui la spécialisation en athlétisme est majoritairement familiale. Or, la manière d’aborder le sport en cours d’EPS est marquée par de nombreuses inégalités, allant des sports pratiqués, stéréotypiquement masculins dans certains établissements, jusqu’à la notation ne prenant pas suffisamment en compte la progression pour les novices,  menant à un sentiment d’injustice pour les élèves, qui se détournent des activités sportives ou bien acceptent les inégalités comme étant naturelles et intériorisent ainsi les stéréotypes de genre liés à la performance sportive.[25] En effet, dès la 6ème, les enfants acceptent la supériorité des garçons dans les sports à connotation masculine comme étant “normale”[26] alors qu’elle est souvent dûe à une pratique plus fréquente par les garçons en dehors de la période scolaire. Or la correction de ce décalage est complexe car il s’agirait de faire intervenir des pédagogues sensibles à la problématique de la construction sociale des différences de genre[27] [28] Ainsi les jeunes sportives voient leur possibilités d’accéder à des compétitions subordonnées à de nombreux facteurs supplémentaires. Or, cela réduit le nombre de jeunes femmes accédant aux compétitions sportives et donc le nombre de sportives de haut niveau. 

De plus, les 3 seules athlètes femmes Top Elite interrogées ont bénéficié d’une socialisation familiale précoce à l’athlétisme et de conditions géographiques et matérielles optimales. Elles ont également toutes les trois été médaillées en championnat international jeune.

Les premiers agents de socialisation sont l’entourage familial proche[29] qui joue un rôle premier dans la socialisation de l’enfant. L’environnement familial permet la transmission de valeurs et ce processus a un impact considérable sur la motivation et l’entraînement des jeunes athlètes.[30] Il est indéniable que l’environnement familial est l’un des facteurs essentiels à la réussite académique des jeunes étudiants. Il en est de même pour la réussite sportive. En effet, la réussite sportive individualiste est un mythe et demeure particulièrement rare dans les faits.[31] En revanche, bien des athlètes brillants attirent l’attention sur le soutien familial dont ils ont bénéficié dès l’enfance. C’est notamment le cas de la joueuse de tennis Serena Williams qui a été entraînée par son père et sa sœur Venus Williams avant de remporter 39 titres du Grand Chelem en simple et en double.[32] Le rôle familial, pourtant crucial, bénéficie peu aux femmes notamment en raison des stéréotypes de genre influençant l’éducation.

Ainsi, bien que le débat concernant la différence de performance sportive entre les femmes et les hommes soit souvent réduit à des différences physiologiques insurmontables, la réalité, comme souvent, échappe à la simplicité. Ainsi, l’écart de 10% des performances est dû à des facteurs variés tels que la couverture médiatique, l’accès au sport dans l’enfance et la possibilité de poursuivre une carrière tout en ayant des enfants. Il est donc nécessaire de travailler à combler ces décalages avant de pouvoir tirer des conclusions probantes au sujet de la réelle différence physiologique entre les hommes et les femmes. 

Par Lînah Bonneville, Directrice des Recherches du GSU


[1] The New York Times, “When Gender Equality at the Olympics Is Not So Equal”, By Talya Minsberg, Published July 22, 2021, consulté le 4 août 2021, https://www.nytimes.com/2021/07/22/sports/olympics/olympics-athletes-gender.html

[2] Bulletin du bureau international de pédagogie sportive, 1931, pp. 5-7

[3] IAAF, Tables de Cotation de l’IAAF pour les Epreuves Combinées, 2001 (réimpr. 2004) (lire en ligne [archive][PDF]), p. 29.

[4]1ere Conférence, Mondiale sur la femme et le sport Lausanne (Suisse),1996 

[5] 5e Conférence mondiale du CIO sur la femme et le sport 

16-18 février 2012

Los Angeles, Californie

Déclaration de Los Angeles

[6] Le Monde, “L’équipe norvégienne de beach handball sanctionnée pour avoir refusé de jouer en bikini”, Publié le 21 juillet 2021 à 12h30, consulté le 3 août 2021, https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/07/21/amende-pour-refus-de-jouer-en-bikini-l-equipe-feminine-norvegienne-de-beach-handball-sanctionnee_6089041_3242.html

[7] Anaïs Bohuon, Le Test de féminité dans les compétitions sportives. Une histoire classée X ?, Paris, éditions iXe, 2012, 192 p.

[8] Traduction: L’écart des genre dans la performance sportive: l’influence de l’équité sur l’égalité,: Laura Capranica, Maria Francesca Piacentini, Shona Halson, Kathryn H. Myburgh, Etsuko Ogasawara, and Mindy Millard-Stafford

[9] Bergeron et al.,2015

[10] The New York Times, “When Gender Equality at the Olympics Is Not So Equal”, By Talya Minsberg, Published July 22, 2021, consulté le 4 août 2021, https://www.nytimes.com/2021/07/22/sports/olympics/olympics-athletes-gender.html 

[11] Hélène Joncheray, Sylvaine Derycke, Christine Hanon, Mathilde Julla-Marcy, Lucie Forté, et al.. Le rôle des facteurs sociaux dans l’accès et le maintien à une carrière de haute performance en athlétisme & La question de la spécificité de la performance féminine. [Rapport de recherche] INSEP; Fédération française d’athlétisme; Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports. 2021. ffhal03227729

[12] Egalité des genres dans les médias sportifs, UNESCO, consulté le 3 août 2021 https://fr.unesco.org/themes/egalite-genres-medias-sportifs

[13] Ministère des sports

[14] Ministère des sports

[15] infra

[16] Propos recueillis dans l’Obs Docteur Alexis Savigny, médecin du sport, consulté le 4 août 2021 https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-sport/20111006.RUE4785/les-troubles-alimentaires-chez-les-sportifs-de-haut-niveau.html

[17] Le Monde, “JO de Tokyo 2021 : la victoire morale de Simone Biles”, Publié le 4 août 2021 et consulté le 4 août 2021, https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/04/jo-de-tokyo-2021-la-victoire-morale-de-simone-biles_6090517_3232.html

[18] Brackenridge, 1997

[19] “Les agressions sexuelles en milieu sportif : une enquête exploratoire”, Anne Jolly, Greg Décamps, Dans Movement & Sport Sciences 2006/1 (no 57), pages 105 à 121

[20] Ministère chargé des sports, sports.gouv.fr, consulté le 4 août 2021, https://www.sports.gouv.fr/accueil-du-site/actualites/article/convention-nationale-sur-la-prevention-des-violences-sexuelles-dans-le-sport

[21]  Le Monde, “Violences sexuelles dans le sport français : 445 personnes mises en cause”, publié le 02 avril 2021 et consulté le 4 août 2021, https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/04/02/violences-sexuelles-dans-le-sport-445-personnes-mises-en-cause_6075404_3242.html

[22] Ministère chargé des sports, Violences sexuelles, page consultée le 4 août 2021 https://www.sports.gouv.fr/ethique-integrite/proteger-les-pratiquants/violences-sexuelles/article/violences-sexuelles

[23] Jean-Marie Sifre, Président du club professionnel de Paris 92 et de l’UCPHF

[24] Le Parisien, “Un congé maternité pour les footballeuses : la révolution est (enfin) en marche”, ​​Par Michel Bertin et Gilles Tournoux , Le 4 janvier 2021 à 07h12, consulté le 3 août 2021 https://www.leparisien.fr/sports/football/un-conge-maternite-pour-les-footballeuses-la-revolution-est-enfin-en-marche-04-01-2021-8417173.php

[25] “Les inégalités entre les sexes dans l’évaluation en EPS : sentiment d’injustice chez les collégiens”, Vanessa Lentillon-Kaestner, Geneviève CogérinoStaps 2005/2 (no 68), pages 77 à 93

[26] Lentillon & Cogérino, 2003

[27] Lentillon-Kaestner, Vanessa, et Geneviève Cogérino. « Les inégalités entre les sexes dans l’évaluation en EPS : sentiment d’injustice chez les collégiens », Staps, vol. no 68, no. 2, 2005, pp. 77-93.

[28] Grimminger, E. (2010). Conclusion. Dans : William Gasparini éd., Sport et discriminations en Europe (pp. 75-76). Strasbourg, France: Conseil de l’Europe. https://doi.org/10.3917/europ.talle.2010.01.0075″

[29] Coakley,1987

[30] Brustad et al.,2001;Coakley 1987;Côté,1999

[31] Lassalle, Geoffrey, Robin Recours, and Jean Griffet. « Role of Family Members in Sport Motivation, Involvement and Expertise of Track and Field Athletes in France. » Journal of Comparative Family Studies 49, no. 3 (2018): 333-54. Accessed August 4, 2021. http://www.jstor.org/stable/44873461.

[32] Serena Williams, Queen of the Court, Simon&Schuster 27 mai 2010