Groupe Socialiste Universitaire


Environnement, Le GSU

Peut-on se passer de voitures en ville ?

Posté le 11 décembre 2024 par Groupe Socialiste Universitaire

« L’automobile a transformé la vie des hommes en même temps que le visage d’un bon nombre de nations. […] L’auto n’est pas seulement un signe de promotion sociale, elle est véritablement le signe de la libération de l’individu[1]». Cette déclaration du Président Georges Pompidou au salon de l’auto en 1966 illustre parfaitement le sentiment général et l’enthousiasme qu’a provoqué en son temps la démocratisation de la voiture individuelle. Avec sa volonté « d’adapter la ville à l’automobile », le Président marque une nouvelle ère dans l’urbanisme des villes modernes. De la construction des autoroutes et du périphérique parisien à l’étalement urbain, l’essor de la voiture a changé la manière d’habiter, de travailler et de vivre dans les villes. 

Pourtant, on se rend, aujourd’hui,  compte de l’impasse dans laquelle cette croyance a conduit bon nombre de centres urbains : embouteillages, pollution, canicules, inondations… La voiture est à l’origine de nombreux maux dont souffrent les villes. Alors pourrait-on imaginer des villes sans voitures ? Tel est le but de cet article : explorer cette piste en revenant sur l’imposition progressive de la voiture dans l’espace urbain, les conséquences de cette progression sur la santé et l’environnement, avant de finalement s’engager dans une approche prospective de villes sans voitures et de quelles façons. La présente contribution se limite ainsi à l’étude de la voiture au sein des villes et n’aborde donc pas la question du milieu rural. Ce choix méthodologique a été fait au regard de la différence des enjeux traversant ces territoires, ainsi que de la part croissante de la population vivant en milieu urbain[2]

I – L’imposition progressive de la voiture dans le paysage urbain

  1. Comment la voiture s’est imposée dans l’espace urbain

Depuis la création des villes en -9000 av J-C[3], ces dernières ont toujours intégré le passage des flux – de personnes comme de marchandises – dans leur construction. Par exemple, les villes romaines possédaient des espaces que l’on pourrait qualifier aujourd’hui de trottoir et de passage piéton comme à Pompéi en Italie, c’est-à-dire des zones différenciées : sur le côté pour des personnes, au milieu pour les chevaux et les charrettes[4]. Les villes médiévales se sont construites sur ce même modèle.

Les modes de transports ont progressivement évolué, n’étant plus seulement la propriété des plus riches. Le vélo est apparu à la fin du XIXème siècle et connaît son âge d’or du début du XXème siècle jusqu’aux Trente Glorieuses, qui voit son usage remplacé par l’automobile. Il est intéressant de visionner les premières vidéos prises dans les villes à la fin du XIXème siècle et de constater l’omniprésence des bicyclettes dans les rues. En parallèle, le développement des moteurs et de l’électrification permet le déploiement de nouveaux types de transports en commun, accessibles à tous : le bus (1826 à Nantes), le tramway (1832 à New-York) et le métro (1863 à Londres). Mais, c’est au début du XXème siècle que la voiture s’impose au détriment de ces derniers. 

La démocratisation de la voiture n’explique pas à elle seule son succès, son développement s’est fait au détriment des autres modes de transport. Il est intéressant d’analyser la manière dont les transports en commun – et notamment le tramway – ont été délibérément démantelés par les lobbys automobiles aux Etats-Unis. Au début du XXème siècle, le pays comptait 35000 km de tramways[5] qui était alors à son apogée. Avec la démocratisation des voitures individuelles permis par le fordisme, leur nombre a explosé : 

« Entre 1915 et 1927, le nombre de voitures à New York bondit de 40 000 à 612 000, ce qui ralentit considérablement les tramways[6] ». Affaiblies par cette concurrence, les entreprises de Tramways ont été progressivement rachetées par General Motors et la Standard Oil, qui avaient intérêt à liquider cet adversaire pour favoriser la vente de leurs voitures à essence. Ainsi de nombreuses lignes ont fermé pour être remplacées par des lignes d’autobus fonctionnant à l’essence, créant ainsi un nouveau débouché pour ces entreprises.

En découle le développement exponentiel du réseau autoroutier. La France est passée de 130 km d’autoroute en service en 1962 à 800 km opérationnels et de 350 km en construction en 1966[7]. En ville, tout est fait pour favoriser le développement des voies rapides. Les quais de Seine ont été ouverts à la circulation en 1966, ce qui constituait une formidable prouesse. « On a trouvé le moyen de faire traverser tout Paris par une voie moderne sans en altérer le site[8] » déclarait ainsi Georges Pompidou, alors Premier Ministre de Charles de Gaulle.

Le maillage routier dans et entre les villes a permis la naissance du périurbain, une notion qui regroupe les extensions périphériques des villes, notamment les banlieues pavillonnaires. Il est important de comprendre l’impact de ces zones sur la formation des villes et la nécessité de la voiture qui en découle. Les temps de trajet entre le logement et le travail ainsi que les lieux de loisirs ayant considérablement diminué – car reliés aux réseaux routiers – il est désormais possible d’habiter plus loin de ces lieux, dans les espaces urbains moins denses, dans les zones pavillonnaires par exemple. Ces zones faiblement denses se sont développées en périphérie de ville, où le prix du foncier est moins élevé, et participent à l’étalement urbain – l’expansion horizontale des villes par ses périphéries – et l’artificialisation des sols.

En parallèle, les zones commerciales périphériques se sont développées sur le même schéma lors des Trente glorieuses. Télérama parlait ainsi en 2010 de l’essor de la « France moche » comme un ensemble « d’échangeurs, lotissements, zones commerciales, alignements de ronds-points[9] ». Elle s’est faite sans réelle planification, créant des surfaces imperméables et peu denses à vocation unique : l’usage commercial. Le périurbain répond à la logique du « zonage », à savoir l’attribution d’une zone à un usage généralement unique (commercial, résidentiel, tertiaire etc…), ainsi que leur séparation spatiale, alors même que certains usages peuvent être complémentaires. Il est donc impossible pour un propriétaire de maison en banlieue de se rendre à son travail ou dans les zones commerciales sans sa voiture, ce qui crée une dépendance, d’autant plus en raison de la diminution de l’offre de transports en commun. 

Le réseau ferroviaire français culmine à 60 000 km de voies à son apogée en 1920. Les Trente glorieuses marquent une diminution de 10 000 km en 1957, accompagnée de la fermeture de nombreuses petites lignes ferroviaires, reliant les villages entre eux[10]. Il en fut de même pour de nombreuses lignes de Tramways en ville, pour laisser place aux voitures. Par exemple, la ville de Dijon disposait à son apogée de cinq lignes de tram en 1911, qui  fut remplacé en 1961 par un réseau de bus afin de pouvoir mieux partager l’espace urbain avec les voitures[11]. En 2010, la ville fait marche arrière pour développer un réseau de tramway, qui a repris en grande partie le tracé originel des premières lignes[12].

La voiture est donc devenue incontournable en milieu urbain de par l’organisation de nos villes et l’affaiblissement de ses concurrents directs. Aujourd’hui, le constat est sans appel : 80% des européens vont au travail en voiture individuelle alors que 10% y vont en transports en commun[13]. 82% des ménages français ont une voiture et le taux de motorisation est de 578 voitures /1000 habitants[14]

  1. Des impacts sur la santé et l’environnement

Dès lors que les villes sont bétonnées pour pouvoir accueillir ces flux incessants de voitures, trois problèmes majeurs émergent. La voiture individuelle représente 16% des émissions de gaz à effet de serre (GES) en Europe[15]. Elle est la première responsable de la pollution aux particules fines en ville, provoquant de nombreux pics de pollution et la mort prématurée de 300 000[16] européens dont 48 000 français chaque année[17].

La voiture a permis aux villes de s’étendre et donc de consommer de nombreuses surfaces naturelles, agricoles ou forestières, détruisant ainsi la biodiversité au profit de voies rapides, d’autoroutes et de lotissements – ce qu’on appelle l’artificialisation des sols. Ces espaces végétalisés ont également diminué en pleine ville. La réduction de ses espaces entraîne une hausse considérable des inondations. La pluie ne pouvant plus s’infiltrer dans le sol, elle reste et s’accumule en surface. A titre d’exemple, les inondations d’automne 2021 ont causé la mort de 160 personnes en Allemagne[18].

L’absence d’espaces végétalisés accentue l’effet d’îlots de chaleur urbains. La végétation réfléchit une partie des rayonnements du soleil, tandis que les arbres rafraîchissent et humidifient l’air par le procédé de l’évapotranspiration. Au contraire, le béton absorbe la chaleur et la restitue pendant la nuit, empêchant ainsi une baisse des températures et crée un microclimat urbain. La différence de température entre un espace urbain et rural peut atteindre 10°C[19]. Les effets des canicules sont ainsi décuplés et entraînent des effets sur la santé et la vivabilité des villes. Pour rappel, la canicule de l’été 2003 a causé la mort de 19 450 personnes, dont la majorité étaient en ville[20]. L’intensification de ces phénomènes pourrait conduire à ce qu’un nombre équivalent de morts soit dénombré chaque été si rien n’est fait pour lutter contre ce phénomène.

Ces impacts risquent d’être amplifiés par deux phénomènes observables partout dans le monde : l’urbanisation et la création d’une classe moyenne. On estime que d’ici 2050, 68% de la population mondiale vivront en ville[21]. Cette concentration de la population favorise l’étalement des villes et donc la nécessité d’avoir une voiture. D’autre part, le développement économique des pays émergents entraîne la création d’une classe moyenne dont l’un des symboles est la possession d’une voiture. Si tous ces foyers veulent se doter d’un véhicule individuel, les conséquences de la pollution sur la santé et l’environnement seraient considérables, alors même que les ambitions climatiques mondiales prônent la diminution massive des émissions de CO2. 

II – Réduire la place des voitures : une solution aux problèmes urbains

Pour lutter contre les effets de l’urbanisation, réduire la place de la voiture en ville apparaît comme l’une des solutions car elle permettrait de libérer de l’espace en ville. La densification des villes atteint ses limites avec une forte occupation du foncier urbain. Les capacités de créer de nouvelles zones végétalisées sont très faibles. Le seul vivier restant consiste en la végétalisation des rues. Mais, pour planter des arbres, enherber le sol et développer de la végétation, il faut libérer de l’espace sur ces voies. Les infrastructures dédiées aux transports représentent une grande partie de l’espace urbain[22] (sachant que la majorité de ces transports sont des voitures individuelles). 

Si l’urbanisme, à travers la logique du zonage, privilégie l’usage de voitures individuelles, il peut aussi le résoudre. Une fois l’usage de la voiture réduit, un gain d’espace considérable sera gagné dans la ville. Si les places de stationnement ne peuvent pas être toutes supprimées et la majorité des rues ne peuvent pas être entièrement fermées à la circulation, une partie peut l’être, du moins être transformées en zone de rencontre. Alors, cet espace peut être rendu aux usages des habitants et développer les mobilités durables : les voies cyclables, des voies dédiées aux bus et fluidifier les déplacements en ville. Mais aussi développer la résilience de la ville au changement climatique et végétaliser les rues en empiétant sur l’espace destiné aux voitures, diminuant en même temps les risques d’inondation et de canicule. Ou encore faire de cet espace gagné sur la voiture des lieux de rencontre, en agrandissant les terrasses des commerces, en construisant des aires destinées aux enfants ou aménager de nouvelles places publiques. Pour parvenir à imaginer cette nouvelle utilisation de l’espace gagné sur la voiture, encore faut-il développer des stratégies urbaines pour réduire cette place, stratégies qui peuvent prendre de nombreuses formes. 

  1. Développer des stratégies urbaines pour réduire la place de la voiture : quelques études de cas

Le Président Pompidou parlait d’adapter les villes à la voiture. Il faut désormais inverser cette logique. La priorité est désormais d’adapter les villes au changement climatique. C’est dans cette nouvelle contrainte que la voiture doit trouver sa place. Pour autant, peut-on s’en passer complètement ? Les différentes stratégies menées par des villes peuvent nous éclairer.

Réduire la place de la voiture en ville entraîne la libération d’espaces considérables. L’exemple le plus frappant est à Séoul en Corée du Sud. La rivière Cheonggyecheon qui traversait Séoul a été recouverte en 1950 pour construire une autoroute par-dessus, entraînant de la pollution, et la dégradation de l’environnement et de la qualité de vie. En 2003, la Ville a détruit l’autoroute et découvrir la rivière. L’endroit est désormais un parc de 11km en plein centre qui permet d’améliorer la qualité de l’air, lutte contre les îlots de chaleur urbain, accroît la présence de végétation en ville[23]. La condition sine qua none était de réduire la circulation automobile.

Depuis 2003, la ville de Londres a instauré un péage urbain pour réduire le nombre de voitures dans le centre-ville[24]. Les transports en commun et les voitures électriques en sont dispensés, alors que les résidents disposent d’une réduction. Si la mesure a permis de réduire la pollution, les embouteillages et de financer les transports publics grâce aux bénéfices de la taxe, elle exacerbe les inégalités sociales. Ceux qui peuvent se permettre de payer la taxe ne se privent pas de rentrer dans le centre, tandis que les moins aisés n’ont d’autres choix que d’y renoncer[25].

La ville espagnole de Pontevedra, 82 000 habitants, a sauté le pas en 1999 et a banni la voiture du centre historique[26]. Pour y accéder, des parking gratuits pendant 24 heures ont été construits en périphérie, comptabilisant 8000 emplacements. La vitesse a été régulée à 30km/h. La ville a même mis en place une application mobile pour calculer le temps nécessaire pour se déplacer à pied dans le centre. Des travaux considérables de voirie ont été nécessaires pour piétonniser les rues – notamment pour élargir les trottoirs, mettre l’ensemble de la voirie au même niveau et végétaliser l’espace public. Ceux-ci se sont fait progressivement et chaque année, la zone piétonne grandit. Afin de limiter l’usage de la voiture, la municipalité a bloqué toute construction de centres commerciaux en périphérie, des zones qui nécessitent des voitures pour y accéder. Les commerces en centre-ville ont donc gardé un monopole commercial tout en bénéficiant de l’attractivité des zones piétonnes. Avec 90% du trafic automobile en moins, la ville est considérée comme un modèle international en matière de piétonnisation . Cependant, la voiture n’a pas entièrement disparu, elle n’est exclue que dans le centre-ville, et est tolérée dans certains quartiers, notamment pour des livraisons[27].

De même, Paris expérimente la piétonnisation partielle dans le cadre de “Paris respire”, de certains quartiers tous les dimanches de 10h à 18h, y compris les Champs Elysées les premiers dimanche du mois. Les zones piétonnes restent tout de même accessibles aux riverains. Ce type de dispositif habitue les habitants à envisager la ville sans voiture, même temporairement, et à penser les usages de la ville et ses moyens de déplacement différemment, et ouvre la voie à une piétonnisation plus ample[28]

Ces exemples montrent qu’il est possible d’exclure la voiture d’un espace défini ou durant une temporalité précise, mais les deux en même temps semblent difficilement conciliables. Aucune ville n’est totalement piétonne, du centre à sa banlieue. On assiste plutôt à la définition d’une nouvelle approche de la voiture en ville. Mais parmi ces initiatives, certaines peuvent être appliquées aisément.

En complément, plusieurs mesures sont prises par ces villes, comme la limitation de la vitesse à 30km/h. En plus d’accroître la sécurité dans la ville et de réduire la pollution atmosphérique, elle favorise les mobilités douces en rendant l’usage de la voiture plus contraignant et plus lent. La mise en place de Zone à Faibles Émissions (ZFE) consiste en un périmètre géographique où l’accès aux véhicules les plus polluants est restreint – selon le classement des vignettes Crit’air. De nombreuses villes comme Paris, Toulouse et Strasbourg l’ont mis en place[29]. Elle permet de réduire la pollution et le nombre de voitures, mais n’a pas d’impact direct sur la proportion de l’espace public dédié à la voiture – et cela au même titre que la limitation de la vitesse à 30km/h . De plus, interdire l’accès à certains véhicules doit être compensé par l’amélioration de l’offre de transport afin de ne pas pénaliser leurs propriétaires. 

Face aux embouteillages liés au début et à la fin de la journée de travail, une option serait d’assouplir les horaires d’arrivée au travail, permettant à ceux qui le peuvent d’arriver et partir avant ou après les heures de pointe et diminuer la saturation des transports et des routes aux alentours de 9h et 18h. On ne joue plus sur le nombre total de véhicules mais de leur affluence au même moment dans la ville.

  1. La nécessité de (re)développer des réseaux denses de transports en commun.

L’utilisation des voitures dépend des alternatives de transports qu’offrent les villes. Le premier axe est donc de renforcer les réseaux de transports en commun déjà existants : des horaires plus fréquents, abordables avec des tarifications sociales et plus fiables avec moins de retard – pour cela on peut privilégier des voies dédiées aux bus par exemple. Cela passe aussi par la prolongation des lignes déjà existantes pour desservir plus de populations. Par exemple, la ligne 14 du métro parisien a été rallongée plusieurs fois pour atteindre Saint- Ouen au nord et l’aéroport d’Orly au sud. Un indicateur pertinent pour décider où développer prioritairement des transports en commun est le taux de motorisation (le nombre de voiture par habitant). Il est faible dans les grandes villes, car elles sont densément desservies en transports publics, mais il est plus élevé dans les banlieues, moins bien desservies, ce qui rend donc la voiture plus attirante[30]. C’est donc là qu’il est le plus urgent d’étendre les transports et de densifier leurs réseaux. Ces deux actions permettent aussi de décongestionner les transports, les rendant ainsi plus attractifs.

C’est aussi valable pour les pistes cyclables. Le premier enjeu est désormais de développer un réseau cyclable dans les villes, afin que les déplacements pendulaires – les travailleurs allant dans le centre le matin, puis vers la périphérie en fin de journée – puissent se faire en vélo. Le deuxième est de sécuriser les voies cyclables en les séparant des voies réservées aux voitures. Le troisième est de développer des infrastructures accompagnant le développement du vélo, comme des places de stationnement sécurisées dans l’espace public mais aussi dans les transports en commun, comme le font déjà des villes comme Bruxelles ou Berlin[31]. Le développement de l’espace dédié au vélo est notamment permis par la diminution de celui dédié à la voiture, en transformant des places de stationnement voiture en place de stationnement pour vélos. Ou encore en dédiant une couloir de circulation aux vélos au détriment de la voiture, comme cela a été fait rue de Rivoli à Paris. Pour être efficaces, ces voies dédiées au vélos doivent être pensées selon les axes de déplacement les plus importants dans les villes.

En parallèle du renforcement et de l’extension des réseaux déjà existants, le développement de nouvelles mobilités constitue une autre réponse. Les funiculaires semblent inappropriés pour une ville. Pourtant, les villes de La Paz en Bolivie, Medellin en Colombie et même Grenoble l’ont déjà adopté afin de désenclaver des zones peu accessibles grâce à cet équipement qui s’adapte facilement aux reliefs escarpés. Il est moins cher que le tram ou le métro et évite les trafics de voiture. 

  1. Penser un urbanisme différent

Diminuer la place de la voiture en ville implique un changement de paradigme plus grand au sein de l’urbain : sortir de la course à la croissance économique et démographique – et donc de l’étalement urbain – à tout prix, comme seuls facteurs d’attractivité. La ville du futur sera attractive par sa vivabilité, son air non pollué et ses espaces publics de qualité. Réduire la place de la voiture peut contribuer sur ces trois aspects.

Au-delà du développement des transports alternatifs, une réflexion peut être menée sur la notion de démobilité, qui consiste à réduire de manière globale les déplacements des individus. On parle ici, non pas de renoncer à des déplacements nécessaires, mais de réduire les déplacements que l’on peut éviter, grâce par exemple au télétravail, ou à la proximité des services, mieux répartis dans les villes et sur l’ensemble du territoire. Par exemple, aller dans des commerces de proximité proche de chez soi au lieu de prendre sa voiture pour aller au supermarché, ou encore des administrations décentralisées dans les quartiers. Elle implique donc une réflexion qui va au-delà de la seule thématique des transports et traite de la répartition de la population et des services qui l’accompagnent.

Cette notion est largement liée à celle de la ville du quart d’heure, développée par l’urbaniste Carlos Moreno. Elle consiste à organiser la ville de sorte à ce que tous les habitants puissent accéder aux services essentiels à moins de 15 minutes à pied – ou 5 minutes en vélo – de chez eux : se nourrir, travailler, se divertir, se soigner et apprendre[32]. Ce temps de trajet est réalisable à pied et ne nécessite pas l’usage de transport motorisé. L’objectif est de développer une multitude de centralités au sein de la ville, à l’échelle d’un arrondissement, là où une ville dispose souvent d’une seule polarité. Outre la diminution des déplacements véhiculés, elle accroît le caractère d’attractivité et de mise en valeur du cadre de vie dans une ville. La proximité de ces services assure à ses habitants une autonomie relative sur leur territoire. La proximité devient un élément de convivialité et de bien-être. Elle implique donc le maintien de services publics équitablement répartis en fonction de la population, le soutien des commerces de proximité, mais aussi la construction de nouvelles infrastructures sportives, culturelles ou d’espaces de rencontre.

En définitive, l’omniprésence des voitures en ville découle d’un choix politique, mis en œuvre par un urbanisme favorable aux véhicules individuels. Ce choix politique peut être remis en cause et contrebalancé par une politique urbaine volontariste s’appuyant sur plusieurs piliers : la restriction de l’usage des voitures dans l’espace urbain et dans le temps, compensée par le développement et l’amélioration des transports publics et plus généralement des mobilités douces. Mais aussi en réaménageant l’espace public gagné sur la voiture pour le mettre à la disposition des habitants et de leurs usages, et le mobiliser en faveur de l’adaptation des villes au changement climatique. Ces choix impliquent des financements considérables et coûteux pour les collectivités, qui ne peuvent pas assumer seules ce coût. Pourtant, l’inaction coûte encore plus cher, en termes d’impact sur la qualité de vie et la santé publique, de dégâts provoqués par les aléas climatiques, d’externalités négatives sur l’économie. Les villes concentreront bientôt les deux tiers de l’humanité, et revêt donc un enjeu crucial pour les conditions de vie humaines. Ce changement de paradigme urbain doit être accompagné par l’Etat et les acteurs privés afin de trouver une nouvelle organisation urbaine. 

Par Damien Picot 

Plan de la RAPT. Consulté le 12 octobre 2024. https://www.ratp.fr/plans


[1] George Pompidou, Discours au salon de l’automobile, 1966, INA. 

https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/voiture-pompidou-democratisation-automobile-salon-de-l-auto

[2] Philippe Testard-Vaillant. En 2050, 75% de la population mondiale vivra en ville. « Un monde de villes », Carnets de Sciences, n° 13, Automne/Hiver 2022

[3] Arnaud Sacleux, « Çatal Hüyük, la première ville du monde, était égalitaire », National Geographic

[4] « L’urbanisme et l’architecture de Pompéi », Lumni, 18 juillet 2022, Épisode 2/12

[5]  Bertrand Rouzies, « Comment les États-Unis ont sabordé leurs réseaux de tramway », Le Club Mediapart, 6 avril 2018

[6] Ibid

[7] George Pompidou, Discours au salon de l’automobile, 1966, INA

[8]  Ibid

[9]  Xavier De Jarcy, Vincent, Remy, « Comment la France est devenue moche », Télérama, 12 février 2010

[10] Arte, « Le train : transport d’avenir », Le dessous des cartes, Documentaire en ligne

[11] Guy Louis, « Le réseau de Dijon », Revue de la FACS, n° 142, 1977

[12] Gaël Simon, «  Il y a 10 ans, le tramway faisait son arrivée à Dijon et révolutionnait la ville », Franceinfo, 4 septembre 2022 

[13] Arte, « Villes jamais sans ma voiture », Le dessous des cartes, Documentaire en ligne

[14] Ibid

[15] Arte, « Mondial de l’automobile : la locomotive chinoise », Le dessous des cartes, Documentaire en ligne

[16] « La pollution de l’air responsable de 300 000 morts par an dans l’UE », France 24, 15 novembre 2021 

[17] Anne-Aël Durand, « Avec 48 000 morts par an en France, la pollution de l’air tue plus que l’alcool », Le Monde, 27 février 2019

[18] « Inondations en Allemagne : choquée par dégâts “surréalistes”, Angela Merkel promet de reconstruire », Le Monde, 18 juillet 2021

[19] Guillaume Krem, « Canicule : “Entre un espace rural et la ville, l’écart de température peut être de plus de 10°C” », Le Monde, 19 juillet 2016 

[20] Cédric Mathiot, «  Combien de morts y avait-il eu lors de la canicule en 2003? », Libération, 28 juin 2019 

[21] Claude Fouquet, « En 2050, plus de deux tiers de l’humanité vivra en ville », Les Echos, 19 mai 2018 

[22] George Pompidou, Discours au salon de l’automobile, 1966, INA. 

[23] Laurent Quisefit, « La renaissance de la Cheonggyecheon à Séoul (Corée du Sud) : nature et pseudo-nature dans la ville », Acte des Congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 2013, 137-3, pp. 21-29

[24] Marie-Laure Cittanova, « Londres inaugure son péage urbain », Les Echos, 18 février 2003

[25] Louis Servant, « Le péage urbain de Londres. Bilan après 6 mois de fonctionnement. Les impacts sur les transports et activités londoniennes », IAURIF, 10 décembre 2003 

[26] Laetitia Van Eeckhout, « “La ville sans voiture” : “Envoyé spécial” à Pontedevra, la cité où le piéton est roi », Le Monde, 17 juin 2021 

[27] « Pontedevra : la ville sans voiture », Tout compte fait, 24 octobre 2015, Documentaire en ligne

[28] « Paris Respire », Ville de Paris, 4 septembre 2024, Voir en ligne

[29] « Zones à faibles émissions (ZFE) », Ministère de la transition énergétique, de l’énergie, du climat et de la prévention des risques, 6 juillet 2023, Voir en ligne

[30] voir annexe 1

[31] Andreas Wettig, Robart Hänsch, « Transports et urbanisme à Berlin », Transports urbains, 2021/1, n° 120, pp. 26-33

[32] « Paris ville du quart d’heure, ou le pari de la proximité », Ville de Paris, 23 mai 2022, Voir en ligne