Groupe Socialiste Universitaire


Economique et social, Recherches

DES CLÉS DE RÉPONSE À LA CRISE SOCIALE DES JEUNES EXACERBÉE PAR LE CONFINEMENT

Posté le 15 avril 2020 par Groupe Socialiste Universitaire

Depuis près d’un mois l’économie nationale et mondiale est paralysée par la crise sanitaire du Covid-19. Cette crise sans précédent, en mettant en sommeil une partie de l’appareil productif, souligne les failles de la protection sociale en France envers les étudiants précaires que sont les étudiants salariés.

Les étudiants-salariés, étudiants précaires par excellence, sont aujourd’hui dans l’incapacité de continuer d’exercer leur activité professionnelle alors que ces revenus sont une source vitale pour près de 54% d’entre-eux selon le rapport de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE) de 2016. Le confinement exacerbe donc la crise sociale déjà présente chez les étudiants. 

La perte des revenus des emplois étudiants crée, à court et moyen terme, un problème majeur pour beaucoup d’entre eux. Les étudiants sont tendanciellement plus nombreux sous le seuil de pauvreté que le reste de la population, plus de 19% d’après le rapport de l’IGAS[1] de 2015. La capacité de cette population à supporter une baisse importante de son revenu est limitée, sauf à compter un hypothétique soutien des familles ou aggraver les découverts bancaires. En l’absence d’un réel soutien public, la crise sanitaire deviendra nécessairement une crise sociale et de grande précarité. Il ne serait pas impossible de voir se multiplier des épisodes dramatiques telles que des pénuries alimentaires comme le soulignait un récent article de Libération[2]. Ainsi, le Groupe Socialiste Universitaire propose dans cette étude quelques solutions pour répondre à cette crise.

Nous estimons que des mesures spécifiques à court comme long terme doivent venir répondre au risque de précarité causé par la crise sanitaire en visant particulièrement les étudiants exclus du chômage partiels, soit les plus précaires. Une action à long terme sera aussi nécessaire au vu de l’ampleur de la crise sociale à venir. Nous identifions deux leviers en mesure de répondre à ces objectifs :

  • Un soutien immédiat aux étudiants sous la forme d’un versement majoré des aides personnalisées au logement (APL) ou des bourses étudiantes  ;
  • La création d’un pacte social pour la jeunesse par l’intégration du revenu de solidarité active (RSA) dès 18 ans pour parer aux effets longs termes de la crise.

La problématique particulière des étudiants en emploi

Une action destinée à contrebalancer les pertes de revenus des étudiants précaires est rendue nécessaire par les failles du système de protection sociale français à leur égard. Les étudiants sont exclus d’un certain nombre de minima sociaux comme le RSA, par une limite d’âge ou de l’assurance chômage de par un emploi trop intermittent. Ce sont là des failles dans le système de protection sociale français qui peuvent être particulièrement dommageables dans la crise à venir. A ceci s’ajoute la fermeture de certains services des universités vitaux pour les étudiants précaires, comme les restaurants CROUS, augmentant d’autant plus les dépenses de nourriture des étudiants. 

L’emploi est une réalité de la vie étudiante. Selon l’OVE[3] 46% des étudiants – soit plus d’1,2 million d’entre eux[4] – ont une activité rémunérée. Parmi ces étudiants salariés, on en compte 30,2% en contrat d’alternance et 14,4% ayant un emploi en lien avec leurs études. 670 000 étudiants – soit 55,4% des étudiants salariés ou 24,8% du total des étudiants en France occupent un emploi sans lien avec leurs études. Cet emploi est le plus souvent : 

  • Précaire, CDD ou  intérim ; 
  • A mi-temps ;
  • Faiblement rémunéré.

La plupart des étudiants sont concernés par une perte de revenus dont l’intensité comme l’ampleur varient selon les cas. Une partie des emplois occupés par les étudiants ouvrent le droit au chômage partiel mis en place par le gouvernement. Le principal risque réside toutefois dans la part d’étudiants occupant un emploi en intérim ou en CDD. On peut craindre pour certains d’entre eux un arrêt brusque du contrat ou un non renouvellement et une incapacité à faire valoir des droits à l’assurance chômage. 

Cette activité professionnelle non liée aux études est un facteur d’inégalité entre étudiants. L’OVE note que ces emplois sont concurrents aux études pour près de 20%[5] des étudiants. Le même constat est posé par l’Institut national des statistiques et des études économiques (INSEE) qui affirme dans son rapport[6] de 2009 sur l’impact du travail salarié des étudiants sur leur réussite et la poursuite des études universitaires : « Les résultats montrent que l’occupation d’un emploi régulier réduit significativement la probabilité de réussite à l’examen de fin d’année universitaire. S’ils ne travaillaient pas, les étudiants salariés auraient une probabilité plus élevée de 43 points de réussir leur année ». 

La réponse du gouvernement a été de préserver les revenus des travailleurs malgré l’interruption partielle de l’appareil productif. Nous considérons que la même logique doit être appliquée aux étudiants précaires.

Un versement majoré exceptionnel des APL ou des bourses sur critères sociaux comme réponse conjoncturelle à la précarité étudiante

Une nécessité de simplicité et de réactivité à court terme

Une réponse efficace à court terme implique de cibler les étudiants précaires par des mécanismes déjà existants dont les montants seraient majorés. Nous identifions deux leviers :   

  • Les bourses sur critères sociaux ;
  • Les aides personnalisées au logement (APL).

La violence du choc économique implique une réactivité passant par l’utilisation de dispositifs déjà en place. Les Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) disposent de l’ensemble des données bancaires et administratives des 800 000 étudiants[7] qui bénéficient des APL. Il en va de même avec les CNOUS pour l’attribution des bourses sur critères sociaux. Il ne serait ainsi pas nécessaire de créer une nouvelle “allocation covid-19”, évitant de ce fait un délai de mise en place préjudiciable aux étudiants dans cette période d’urgence. 

Un premier levier serait de cibler les étudiants bénéficiant de bourses sur critères sociaux. Les étudiants bénéficiant d’une bourse sur critères sociaux sont plus de 712 000 selon[8] le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (MESRI). Cependant ce ciblage répondrait plus à un soutien exceptionnel qu’à un objectif de compensation des revenus du travail, tous les étudiants boursiers n’étant pas en emploi.

Un ciblage alternatif passerait par le fichier des allocataires des APL. Les étudiants touchant les APL sont les plus susceptibles à être concernés par l’occupation d’un emploi du fait du montant des loyers. Le fichier des allocataires des APL pourrait même être assez redondant avec celui des étudiants boursiers.

Un versement majoré suffisamment important pour avoir un impact immédiat

Pour cerner le montant de ce versement majoré nous estimons la base de temps travaillé des étudiants à 16 heures en suivant l’INSEE dans son rapport de 2009 cité supra. Au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) net[9] actuel, 16 heures travaillées correspondent à un revenu mensuel d’environ 514[10] euros. Plusieurs scénarios de compensation sont envisageables : 

  • Une compensation partielle à 80% du montant de la perte ; 
  • Une compensation de 100%. 

La compensation devrait couvrir l’intégralité du confinement pour reconstituer les revenus perdus. Notre chiffrage comprend donc tous les mois d’avril à juin 2020. 

Tableau 1
Base du revenu mensuel perdu : 514€Montant mensuel unitaire en €Coût prévisionnel pour un mois en €Coût prévisionnel d’avril à juin 2020 en €
Si compensation à 80%411[11]328,8 millions986,4 millions
Si compensation à 100%514411,2 millions1,2 milliards

Ce chiffrage à l’excès souligne le caractère assez modique de ce versement majoré, qui n’excède qu’à peine le milliard d’euros sur le trimestre. Cependant, compte tenu du choc économique attendu, des licenciements ou des non-renouvellements de contrat sont à craindre après le confinement. De même la capacité à faire valoir ses droits au chômage se poserait compte tenu des spécificités de l’emploi étudiant. Dans ce cas de figure de poursuite du dispositif, le coût n’excède pas 2,96 milliards pour une compensation à 80%, et 3,6 milliards d’euros pour celle à 100%.

Toutefois, comme l’indique l’intitulé de cette proposition, il s’agit d’une aide temporaire et non une solution durable. Une hausse durable des APL ou des bourses ne répondrait qu’imparfaitement au choc économique. Il convient plutôt d’élaborer une réponse structurelle à la précarité étudiante dans le contexte de crise qui s’annonce par une intégration de ceux-ci aux minima sociaux existant ou à la création sur le long terme d’un nouveau.

La création d’un “pacte social pour la jeunesse” (PSJ) comme réponse structurelle à leur précarité

L’ambition et les effets du dispositif

L’impact durable du choc économique sur les pourvoyeurs d’emplois étudiants traditionnels, restauration, hôtellerie, ne permettra sûrement pas aux étudiants en emploi de retrouver le niveau de revenu ex-ante. Cette situation implique une solution durable. L’assouplissement des conditions d’allocation est une option qui permettrait de réduire l’effet du choc sur les étudiants précaires. Une autre option serait la création d’un minima social conditionné aux ressources de l’étudiant autre que le RSA. 

Un objectif de cette proposition serait d’associer à la garantie des revenus des étudiants durant la crise une perspective de réussite académique, tout en favorisant la poursuite d’études. La sécurisation des revenus permettrait de renforcer la réussite des étudiants et de réduire les inégalités persistantes selon l’origine sociale. 

Ce revenu permettrait enfin l’autonomie des étudiants précaires par rapport à un cercle familial qui sera lui-même fragilisé par les effets de la crise. La capacité des familles à soutenir les études de ses enfants sera impactée par la crise, en particulier pour les ménages les plus modestes. Cette fragilité peut créer une incitation parmi les jeunes de ces familles précaires à une insertion précoce sur le marché du travail sur des emplois peu qualifiés. Cette incitation serait particulièrement néfaste à long terme pour le pays en réduisant le degré de qualification des jeunes générations comme la capacité au rebond de l’économie. 

Deux scénarios : extension du RSA ou allocation d’autonomie étudiante

Une allocation d’autonomie, proposition récurrente de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) a souvent été évoquée comme réponse à la précarité étudiante et avait connu un écho particulier sous le quinquennat de François Hollande. L’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso avait d’ailleurs promis[12] lors d’un congrès de l’UNEF en 2013 qu’une pareille aide serait mise en place. Si les gouvernements[13]du quinquennat Hollande ont bien engagé des dispositifs en faveur des jeunes (garantie jeune, prime d’activité dès 18 ans, emplois aidés, création des échelons 0 bis et 7 des bourses du CROUS), la démarche n’est pas allée jusqu’à l’instauration d’un revenu étudiant. 

Une autre piste est l’extension du RSA aux étudiants. Ce scénario est évoqué dans le rapport[14] du député Christophe Sirugue “Repenser les minima sociaux : vers une couverture socle commune” en proposant l’abaissement du seuil du revenu de solidarité active (RSA) à 18 ans. 

Ce décalage du seuil de versement est aussi avancé par les 18 départements qui ont souhaité réaliser une expérimentation d’un “revenu de base”. Dans leur étude[15] publiée par l’Institut des politiques publiques (IPP) en juin 2018, ces derniers proposent également d’intégrer les jeunes dès 18 ans dans leur dispositif qui comprend une fusion du RSA et de la prime d’activité, et même de l’APL pour l’une des simulations. 

Nous proposons de reprendre cette philosophie pour penser le “pacte social de jeunesse”. 

Le contenu du “pacte social pour la jeunesse” et la projection

Nous proposons que ce pacte soit la combinaison de plusieurs dispositifs préexistants : les bourses sur critères sociaux du CROUS, la prime d’activité et le RSA une fois son seuil abaissé à 18 ans. Il ne s’agit pas ici de fusionner les trois dispositifs car ils ont des fonctions différentes : les bourses du CROUS sont exclusives aux étudiants mais ne sont pas suffisantes pour vivre ; la prime d’activité est très restrictive mais concerne ceux qui travaillent ; le RSA concerne tout le monde en permettant à certaines personnes de vivre et de trouver un emploi. Pour les étudiants, cela permettra de mieux vivre. 

Les financements des bourses et de la prime d’activité sont déjà assurés, le seul coût supplémentaire qui restera à financer sera donc celui de l’ouverture du RSA aux jeunes. Nous excluons de notre dispositif les aides au logement car elles constituent un levier important d’action pour l’Etat sur les prix des loyers et, de manière plus globale, sur les politiques publiques de logement. 

Le montant du RSA pour les jeunes ainsi que les critères d’attribution restent ceux définis par le droit commun, c’est-à-dire de 564,78 euros pour une personne seule, en comprenant le principe de progressivité ou de dégressivité selon la situation sociale de l’étudiant. Nous reprenons donc totalement la méthodologie définie par le rapport de l’IPP de 2018 sur l’expérimentation du revenu de base pour prendre en compte le RSA dans le calcul du pacte social de jeunesse. Cela concerne notamment le coût de la généralisation du RSA à 18 ans. Il conviendra de soustraire à la somme de base de 564,78 euros les avantages liés aux allocations logements, au bénéfice d’un logement gratuit ou des allocations familiales. 

Compte tenu de l’absence de données précises sur le nombre de dispositifs qui touchent individuellement chaque jeune, nous ferons deux estimations : l’une brute à partir du montant ordinaire du RSA ; l’autre approximative sur le fondement de l’analyse de l’IPP sur le revenu de base qui prenait en compte tous ces critères dans son calcul. 

Considérant les données provisoires de l’INSEE de 2020[16], il y aurait 5 236 809 personnes[17] ayant entre 18 et 24[18] ans en France aujourd’hui. Rapporté au montant brut du RSA, le coût supplémentaire engendré par ces nouveaux bénéficiaires du RSA est estimé à 2,96[19] milliards d’euros sur un mois, soit près de 35,5 milliards d’euros sur une année. Cependant, en prenant en compte l’analyse de l’IPP, il faut soustraire :

  • Le montant des personnes de 18 à 24 ans qui touchent déjà le RSA en raison de critères particuliers, notamment ceux qui travaillent ;
  • Le montant des personnes qui ne toucheront pas l’entièreté de la base RSA en raison des critères ordinaires (APL, logement gratuit, autre revenu, …).

En prenant en compte ces critères, le coût supplémentaire avoisinerait celui estimé par l’IPP à 11,8 milliards d’euros[20] sur la base du RSA. L’estimation de l’IPP ayant fait l’objet d’une projection en cas de recours à 100%, le coût réel sur le fondement du RSA 2020 serait légèrement supérieur à 12 milliards d’euros.

Enfin, pour rester dans l’analyse brute, nous proposons une projection du revenu d’un étudiant bénéficiant d’une bourse sur critères sociaux du CROUS et du RSA. Il est à noter que la bourse du CROUS est versée sur une période de 10 mois. Notre calcul divisera donc le montant annuel total par 12 et non par 10 pour une meilleure lisibilité du revenu par mois. 

Tableau 2
Montant de bourse du CROUS par échelon (2020)Montant de la bourse du CROUS en € par mois sur une annéeRevenu par étudiant selon l’échelon du CROUS avec base RSA
0 – 102085649,78
1 – 1687140,6705,38
2 – 2541211,8776,58
3 – 3253271,1835,88
4 – 3967330,6895,38
5 – 4555379,6944,38
6 – 4831402,6967,38
7 – 5612467,71032,48

Le revenu final par étudiant après addition de la bourse et le RSA doit être pris avec le recul en raison des raisons évoquées au paragraphe 5.


[1] Rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de janvier 2015 sur l’évaluation de la mise en œuvre du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, p.17  

[2] « Étudiants confinés certains confinement ne pas avoir mangé depuis deux ou trois jours », Libération, le 7 avril 2020 

[3] Enquête nationale de l’OVE sur les conditions de vie des étudiants en 2016, section « Activité rémunérée des étudiants », rapport publié en avril 2017, p.4.

[4] Calcul réalisé sur la base des 2,7 millions d’étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur selon la note flash N°2 du MESRI de janvier 2020

[5] Pourcentage des étudiants exerçant un emploi qui constituent une concurrence avec leur cursus universitaire, selon l’OVE.

[6] Rapport de l’INSEE : L’impact du travail salarié des étudiants sur leur réussite et la poursuite des études universitaires, du 11 septembre 2009

[7] Bénéficiaire des prestations légales versées par la CAF au 31 décembre 2018, INSEE

[8] Note flash du MESRI n°19 d’octobre 2019

[9] SMIC horaire 2020 : 10,15€ brut ; 8,03€ net. 

[10] Arrondi à l’euros supérieur.

[11] Arrondi à l’euro inférieur

[12] Fioraso Promet une allocation d’autonomie étudiante, Le Figaro, le 18 avril 2013 

[13] La réussite étudiante, Gouvernement, 14 mai 2017  

[14] Rapport du député Christophe Sirugue remis au Premier Ministre, Manuel Valls, “Repenser les minimas sociaux : vers une couverture socle commune”, avril 2016

[15] Revenu de base : simulations en vue d’une expérimentation, rapport de l’IPP n°18 de juin 2018

[16] Population totale par sexe et âge au 1 janvier 2020, INSEE, 14 janvier 2020 

[17] Calculer par l’addition de l’ensemble de la population née entre 1995 et 2001 selon les données de l’INSEE

[18] Nous excluons les personnes qui ont 25 ans puisque le bénéfice du RSA est accordé dès cet âge.

[19] Arrondi au centième près.

[20] Eligibilité à partir de 18 ans, rapport n°18 de l’IPP 2018, p.6